Alors que le Conseil représentatif des associations noires (CRAN) est en cours de pourparlers avec Matignon depuis plusieurs mois pour tenter de conclure au versement de réparations relatives à l’esclavage, François Hollande, à sa descente d’avion à Dakar, s’est laissé surprendre par une journaliste qui l’a interrogé sur les dites « réparations » que la France pourrait engager dans le dossier des traites négrières.
Le lendemain à l’ile de Gorée, passage obligé pour tout visiteur de marque au Sénégal, le président de la République, a « rendu hommage à la mémoire des innombrables victimes de l’esclavage ».
L’authenticité de la « Maison des esclaves » d’où étaient censés embarquer les esclaves pour l’Amérique et les Caraïbes est fortement contestée par certains historiens. Bernard Lugan, spécialiste du continent africain, fait le point.
Polémia
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Comme tous les voyageurs de passage à Dakar, François Hollande devrait se rendre à Gorée, île inscrite au patrimoine de l’humanité par l’UNESCO. Or, ce n’est pas pour y visiter un des plus beaux sites de l’Afrique de l’Ouest, lieu dégageant une impression envoûtante, mais pour y sacrifier à la sempiternelle repentance.
Gorée est en effet présentée comme ayant été une des bases de la traite par laquelle des millions de malheureux esclaves auraient transité. Les voyagistes américains proposent même au public afro américain la visite pèlerinage de l’île qui aurait vu passer leurs ancêtres ; au mois de février 1992, lors d’un voyage au Sénégal, le Pape Jean-Paul II lui-même accrédita la légende de « Gorée l’île aux esclaves ».
Le « clou » de la visite est la tristement célèbre « Maison des esclaves » où les chaînes qui retenaient les captifs sont encore en place. L’histoire de ce bâtiment est racontée avec lyrisme par des guides auxquels aucun superlatif n’est étranger. Ils racontent ainsi qu’elle fut construite par les Hollandais au XVII° siècle, que ce fut à l’origine une « esclaverie », qu’elle fut le cœur du honteux système esclavagiste régional centré sur l’île de Gorée. Ses murs ont vu passer des centaines de milliers ou même des millions de Noirs arrachés à leur terre. La visite détaillée permet d’ailleurs de se faire une idée des épouvantables conditions de vie des malheureux. Elle se poursuit par la découverte des cellules des hommes, de celles des femmes et même, moment particulièrement émouvant, de celles des enfants. Le cachot n’est pas oublié dans lequel étaient enchaînés et enfermés les sujets rebelles.
Cette maison a fière allure depuis qu’elle a été restaurée. Une plaque apprend ainsi au visiteur que, parmi les mécènes figure une association prestigieuse, la Fondation France Liberté, présidée par Madame Danielle Mitterrand, veuve d’un ancien président de la république française.
Le seul problème, mais il est de taille, est que la « Maison des esclaves » n’en n’était pas une et que Gorée ne fut pas un centre important de la traite esclavagiste !
La véritable histoire de la « Maison des esclaves » a en effet été écrite notamment par deux historiens de l’IFAN (Institut fondamental de l’Afrique noire), Abdoulaye Camara, préhistorien et archéologue, ancien conservateur du Musée de Gorée puis du Musée d’Art africain de Dakar, et par le père jésuite Joseph Roger de Benoist, spécialiste de l’histoire du Sénégal. Le lecteur curieux pourra se reporter à ce sujet au journal Le Monde en date du 27 décembre 1996 et à l’article intitulé « Le mythe de la Maison des esclaves qui résiste à la réalité ».
L’histoire racontée par ces historiens est bien différente de la légende officielle de Gorée pieusement récitée par les guides locaux :
François Hollande a donc à son tour cautionné un montage historique. Et pourtant, il ne manque pas de lieux, réels ceux-là, où il est possible de voir comment était véritablement organisé l’odieux commerce des esclaves. J’en citerai un seul dans cette Afrique de l’Ouest littorale qui vit tant de royaumes africains esclavagistes vendre plusieurs millions d’hommes, de femmes et d’enfants à leurs partenaires européens. Il s’agit du fort de Cape Coast, situé au Ghana, à environ 200 kilomètres à l’ouest d’Accra et qui fut le principal point d’exportation des esclaves vendus par le royaume Fanti aux négriers anglais, hollandais et même suédois qui s’y succédèrent. Il serait également possible de citer, entre autres, Elmina à l’est de Cape Coast et Christiansborg (ou Osu) à Accra.
La « mauvaise monnaie chassant la bonne », les petits arrangements avec l’Histoire sont peut-être favorables à l’industrie touristique de Gorée, mais, outre le fait qu’ils décrédibilisent ceux qui les cautionnent, ils risquent de faire le lit de ceux qui nient la traite esclavagiste ou qui la relativisent.
Bernard Lugan
Actualité africaine
12/10/10 http://bernardlugan.blogspot.fr/2012/10/francois-hollande-et-la-legende-goree.html
Correspondance Polémia – 14/10/2012
Image : Lors de sa visite au Sénétal, François Hollande s'est rendu sur l'île de Gorée, lieu du martyr de millions d’esclaves, le 12 octobre 2012.