La Société instaure une thérapie matérialiste des douleurs les plus naturelles

jeudi 19 novembre 2009

Un tremblement de terre, un accident d’avion, un feu destructeur, toutes ces catastrophes s’accompagnent d’emblée d’une comète médiatique remarquable.

Les annonces font le tour du monde en quelques heures, la communication horizontale (géographique, dans l’espace) fonctionne bien à notre époque. Des cellules de crise germent instantanément, l’écoute et l’accompagnement « individualisés » sont montés en kit et s’installent aussi facilement que les tentes des « Don Quichotte » partout dans le monde, identiques.


La dimension verticale s’exprime timidement

Face à ces drames, la dimension verticale (existentielle, spirituelle) s’exprimera timidement.

Parfois, un prêtre apparaît à la télévision et semble s’excuser de parler de sa mission qui est de redonner de l’espoir aux proches des victimes. N’est-ce pas le rôle d’un religieux de porter haut et fort le message du Christ et de sa résurrection ? N’aurions-nous pas perdu de vue que l’immortalité de l’âme est une des notions essentielles de l’humanité ? La mort de Dieu nous a-t-elle rendus tous myopes ? Il est certain que les myopes sont plus faciles à diriger, ils ont besoin de soutien « individualisé », de guide, ils sont perdus dans leur brouillard…

En revanche, dans les cas où les drames touchent des personnes de religions différentes les rencontres œcuméniques s’imposent. Leurs annonces sont    diffusées avec une belle énergie médiatique. Il est vrai que la dimension « œcuménique », très à la mode et porteuse d’une bonne « image », donne un axe quelque peu horizontal à une initiative religieuse qui devrait nous élever.

Notre monde obsédé, voire imprégné, par l’immédiateté et la communication de l’instant est peu porté à la théologie d’abord complexe et fastidieuse. Nous pouvons donc redouter que les rencontres ainsi théâtralisées entre religieux d’obédiences différentes ne s’apparentent davantage à une soupe à la bonne conscience plutôt qu’à un échange spirituel réel.
Par sa nature « œcuménique » cette réponse de la société à la douleur est très adaptée aux besoins de l’individu du XXIe siècle. Relayée par les médias, elle a une image mondiale qui se substitue très humainement et superficiellement au message universel  de Dieu.


Le XXIe siècle se place en adversaire du destin

Les types de réponse mis en place aux souffrances de l’homme révèlent la nature de cet homme et de la société à laquelle il se destine.
Le Moyen Age répondait aux affres de l’humanité à travers la notion de rédemption et d’immortalité de l’âme. Le XXIe siècle qui se relève du néologisme insignifiant de « pro-activité », parle du « principe de précaution » et se place ainsi en adversaire à part entière du destin ! Dans les situations où le drame ne peut être évité, l’homme doit être encore le maître absolu. Même dans le domaine si insaisissable des affects, il s’agit encore de « gérer son deuil », d’en circonscrire les effets dans ces « cellules de crise » ou autres « groupes de paroles », afin de protéger la société de ses douleurs les plus naturelles. Elles ne seront retransmises que par voie de presse, sous forme d’informations rapides qui se succèdent à une telle cadence qu’elles ne peuvent plus toucher la sensibilité du téléspectateur mais attisent plutôt des réactions superficielles et courtes d’une société qui ne sait plus « penser » ses plaies.

Les athéistes reprochent à la religion d’avoir donné un sens à la douleur et, en cela, d’avoir été le fameux « opium du peuple » qui, pour avoir été tant rabâché, s’assimile pour certains aux parfums d’encens.

Comment nommer cette approche de la douleur qui doit être « gérée » et maintenue sous les toiles hermétiques des cellules de crise ? Il est certain qu’il n’est plus question de chercher un sens susceptible d’élever l’homme au-dessus de son destin mais plutôt de savoir « communiquer », « dire » ses souffrances et, éventuellement, achever sa thérapie en un témoignage qui fera un bon tirage pendant quelques jours. Maintenant, la douleur se distille entre humains exclusivement et donne ainsi naissance à une société qui, ne supportant plus l’idée de toute instance supérieure, se calfeutre dans un obscur matérialisme qui la rend parfaitement narcissique.

Le nihilisme oblige la mise en place de ces « cellules de crise » qui, au-delà du soutien apparent, a, en réalité, une fonction de contrôle des états d’âme humains classiques. Dans ce monde sans finalité existentielle, il ne reste à l’homme qu’à apprendre à « contrôler » ses douleurs et, à la société, à les manipuler par voie de presse.

Ces réponses pavloviennes à ce qui est identifié comme crise émergent au moindre trouble. Quelle que soit la latitude, elles s’accompagnent de cette même empathie lénifiante qui, venue d’une certaine psychologie,  envahit le monde. Les ethnologues ont pourtant montré combien, confronté à la douleur, l’homme est porté à y répondre par des rituels spécifiques à sa culture.


Michael Jackson fait dieu par les néons

Que vont devenir la disparité et la singularité des comportements de deuil face à une réponse de plus en plus standardisée ? Le nivellement de la réponse ne va-t-elle pas, in fine, uniformiser les expressions de la douleur ? Le mondialisme du malheur est-t-il en marche ?  Le Coca Cola des larmes risque d’être efficace, car l’homme qui souffre est particulièrement  vulnérable. Il peut se laisser séduire par les néons des médias qui extériorisent et manipulent son deuil malgré lui.

Les médias créent en quelque sorte, en miroir, la nature du deuil qui est ainsi intériorisée par des foules hypnotisées. Dans les reflets démesurés de « la grande communication » qui enveloppent  notre monde, Michael Jackson sera fait dieu par les néons et les moult regards en manque de divin qui fixent la Toile : homme né de l’image qui a vécu dans l’image, qui est mort de et dans l’image, dont le corps est projeté sur la Toile médiatique, contrefaçon de la voûte céleste de notre  monde. Les sociétés ont les rêves et les étoiles qu’elles méritent. Michael Jackson sur la Toile fragile des désirs versatiles des hommes  sera-t-il une étoile pérenne ? Si l’homme du XXIe siècle a réussi à réduire la notion de distance et faire du monde « un village » par la rapidité de la communication d’un point du globe à un autre ce n’est qu’une victoire très prosaïquement limitée au temps de transmission d’un message. Car la   proximité, la connaissance de l’autre, nécessaire à une compréhension réelle, est là absente. Les médias, ici, prennent le relais avec deux armes redoutables : « la sensiblerie » et « la quantité d’informations » transmises. Voyez la somme d’éléments de la vie de Michael Jackson crachés en jets continus par les canaux médiatiques en tout genre, informations en masse qui permettent de combler l’absence de connaissance réelle et de lien sincère avec cet homme.

Les êtres divinisés tel Michael Jackson sont source de ce que les athéistes forcenés reprochent à la religion, soit, de cacher la situation réelle de l’humanité, de dissimuler les malheurs sous les lumières sulfureuses de leurs notoriétés. Les fracas médiatiques continus allant de la mort de Michael Jackson aux fluctuations sentimentales des « peoples » politiques, ou du « showbiz », peu importe, assourdissent quelque peu le chant continu des douleurs de l’humanité, un véritable « Ecstasy » du peuple.


Déconstruction du fondement de l’identité humaine

Ces deuils portés au paroxysme de l’absurde, de l’absence de sens, ces perfusions régulières de douleurs filmées à l’autre bout du monde dont nous sommes les témoins impuissants et par force habitués, les formes ovoïdes, douçâtres et enveloppantes des cellules de crise ne sont-ils pas des mécanismes de déconstruction du fondement de l’identité humaine construit dans sa relation réelle avec la souffrance, le deuil et la mort ? D’autres niveaux fondamentaux de la formation de « l’espèce humaine » semblent malmenés. Ainsi à propos du même Michael Jackson, un invité du Journal télévisé a reconnu (très sérieusement et il ne fut pas le seul !) sa dimension « universelle » née de sa sexualité indéfinie. Il semblerait que l’universel ne soit plus le fruit de l’union des hommes, des points communs qui les rassemblent dans leur espèce mais plutôt de ce qui est « entre deux », entre le noir et le blanc, entre l’homme et la femme…


Le grand questionnement

L’homme se cherche-t-il justement dans ce qu’il n’est pas, dans l’interspectre où gravit son espèce pour échapper à l’idée de la création divine ? Désire-t-il ainsi définir son propre champ de gravitation où il espère devenir le possesseur absolu de son évolution et de son histoire ? Leurre, où il bâtit tout autour de lui sa propre et abyssale solitude dont il devient par la force des choses le seul responsable. Il lui est donc nécessaire d’en étouffer les effets par la mise en place de nombreuses et diverses stratégies :
– la grande consommation dans un premier temps qui régule le plus fort du troupeau ;
– le culte du divertissement, du jeu, la presse nationale qui se fait « people », l’absence de limite claire entre le fait politique et personnel, entre le sérieux et le dérisoire… ;
– la répétition martelée des taux de suicide qui nous rend sourds à la signification de ce symptôme issu du nihilisme ;
– l’émergence des spécialistes dédiés à la « suractivité » des petites têtes blondes gavées d’images en tout genre, véritable kaléidoscope sans sens, sans lien, qui perturbent nos petits d’hommes dans leur identification de leur propre destin, de la ligne bleue des Vosges…

De multiples autres exemples pourraient être évoqués. Les anesthésiques sont multiples  et viennent tenter de combler l’absence de destinée ontologique qui seule donne à l’homme une dimension où il peut se respecter, s’aimer suffisamment pour se projeter dans la notion d’espèce. Lorsque cette notion précieuse d’espèce disparaît la souffrance perd tout sens. Elle retrouve néanmoins un semblant d’utilité sociale en alimentant l’importance disproportionnée que l’on porte maintenant à l’individu. Dans tous les cas, cette absence de sens eschatologique de la souffrance est en quelque sorte un  carburant de cet individualisme qui va bon train. La souffrance dénuée de sens   nécessite les voiles blancs des cellules de crise, des étouffoirs du malheur qui ne sont pas sans nous rappeler Le Meilleurs des mondes.

Laurence Maugest
21/09/09

Correspondance Polémia
18/11/2009

Le titre et les intertitres sont de la rédaction

Image : Michael Jackson, liberian girl

 

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