L’anachronisme et l’amalgame condamnent à ne rien comprendre au passé. Jean-Pierre Poli, dans un livre sans complaisance paru en 2007, explique le positionnement des autonomistes corses, certains d’entre eux en tout cas, dans la période 1926-1946. Le titre de son ouvrage fouillé est éclairant : Autonomistes corses et irrédentisme fasciste.
De l’autonomisme au fascisme ?
Le mouvement autonomiste dont il est question est celui d’un « corsisme » qui s’est développé autour d’un mouvement culturel, A Muvra, et de son leader, Petru Rocca. « Paradoxalement, A Muvra, “bulletin régionaliste de l’île de Corse”, naquit en mai 1920 à Paris, où son fondateur Petru Rocca était arrivé vers 1910 et où, ancien soldat exemplaire, il s’était réinstallé après la fin de la Grande Guerre. »
Le site L’histoire par l’image poursuit : « Du groupe rassemblé autour du journal, dont le siège fut rapidement transféré à Ajaccio, devait naître en 1923 un parti politique, le Partitu Corsu d’Azione, lequel devint, en 1927, le Partitu Corsu Autonomista. Bien que prétendant se démarquer ainsi clairement du séparatisme, A Muvra et les “muvristes” non seulement n’échapperont pas à ce premier soupçon, mais ils vont encore susciter une autre accusation, celle d’irrédentisme. L’assimilation à une lecture fasciste de l histoire discrédite aujourd’hui encore ce mouvement devenu historiquement et donc politiquement maudit. Né après 1870, ce mouvement politique italien [repris par autres pays depuis, dont la Hongrie] avait d’abord réclamé l’annexion au royaume d’Italie des terres encore soumises à la domination autrichienne, puis, plus largement, de toutes les terres jadis ou naguère “italiennes”. Insatisfait des résultats obtenus à l’issue de la Première Guerre mondiale, le mouvement connut un nouvel essor et favorisa l’avènement du fascisme. Vainqueur, ce dernier en reprit les revendications, désormais dirigées essentiellement contre la France (Nice, Savoie, Corse et Tunisie). »
Une histoire complexe
Le but de Petru Rocca est cependant clair et s’inscrit dans le seul combat culturel identitaire corse. Petru Rocca fonde le mouvement corsiste pour le réveil de la conscience insulaire et la protection du particularisme culturel. À travers une maison d’édition et un bulletin régionaliste appelé A Muvra, il cherche à promouvoir la langue et défend la nécessité d’un statut autonome pour la Corse. Ce programme affiche des positions incompatibles avec l’irrédentisme. Pourtant, le corsisme et l’irrédentisme sont rapidement confondus. En 1946, les corsistes sont condamnés pour « atteinte à la sûreté de l’État » dans le cadre des procès de l’épuration. Le corsisme sombre alors dans l’opprobre. Il est victime de ses adversaires mais aussi de quelques liaisons dangereuses de certains de ses membres dans une époque particulière. Lorsque la Seconde Guerre mondiale s’annonce, par peur des visées irrédentistes de l’Italie de Mussolini, l’État français ferme l’imprimerie de A Muvra. Certains autonomistes sont dénoncés comme amalgamés aux irrédentistes, dans les relations avec l’Italie fasciste. Ruiné, Petru Rocca est condamné à 15 ans de travaux forcés et traité comme un collaborateur.
L’histoire n’est jamais simple et c’est le grand mérite de ce livre qui se donne une seule obligation, « tout dire ». En Corse, l’irrédentisme n’a jamais été le nom des autonomistes. Mussolini, bien sûr, a tenté de soutenir des Corses attirés par la fascination fasciste de l’époque pour échapper au centralisme jacobin français par l’irrédentisme fasciste. La revendication du fascisme sur l’île est bien à l’origine du discrédit du mouvement de Petru Rocca. Il y a une confusion qui perdure entre ces deux mouvements pourtant si différents, comme le prouve sans rien occulter des liaisons dangereuses dans le climat de l’époque le livre de Jean-Pierre Poli.
Pierre Boisguilbert
24/10/2024
Poli (Jean-Pierre), Autonomistes corses et irrédentisme fasciste – A Muvra prise au piège 1920-1946, éditions Alain Piazzola.
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