Propos de David Rigoulet-Roze, enseignant et chercheur, consultant en relations internationales, spécialisé sur la région du Moyen-Orient (*), recueillis par Atlantico. Cette étude, en deux parties, nous a été communiquée par un contributeur régulier et fidèle lecteur que nous remercions.
Rôle de l’Arabie Saoudite dans la diffusion de l’islamisme salafiste et évolution de sa relation avec les États-Unis.
L’Arabie saoudite a beau être l’allié traditionnel des puissances occidentales au Moyen-Orient, et notamment dans la lutte actuelle contre l’État islamique, le royaume est le principal soutien des mouvements fondamentalistes qui s’étendent dans le monde entier
David Rigoulet-Roze (suite) : C’est ce qui aurait poussé Riyad à passer un deal avec Oussama Ben Laden, à la faveur d’une rencontre organisée en 1991 entre le chef d’Al-Qaïda et le prince Turki Al-Fayçal[17] lorsque ce dernier était encore l’omnipotent chef du GID (services secrets saoudiens) : en contrepartie d’une somme de quelque 200 millions de dollars destinée à financer le djihad, il aurait été demandé et obtenu de Ben Laden, alors autorisé à quitter l’Arabie saoudite, de ne pas importer ce même djihad au sein du royaume saoudien, laissant en revanche une entière liberté d’action au fils prodigue pour aller semer la tempête aux quatre coins du monde[18]. Ce deal a toujours fait l’objet des plus vifs démentis de la part du principal intéressé saoudien mais il poursuit encore la réputation sulfureuse du Prince Turki al-Fayçal. Si pacte il y eut il devint bel et bien caduque avec la vague d’attentats des années 2003-2004 imputés à Al-Qaïda.
La menace sur le royaume n’a pas disparu depuis et elle connaît un regain de vigueur inédit avec l’apparition de l’« État islamique » officiellement établi le 29 juin 2014[19], lequel a largement pris le relais d’une Al-Qaïda pour partie supplantée par sa redoutable concurrente djihadiste. On retrouve la même schizophrénie que précédemment si l’on considère que, dans un premier temps, l’EILL (« État islamique en Irak et au Levant ») devenu depuis l’« État islamique », a probablement bénéficié d’une certaine complaisance de la part des pétro-monarchies en général, voire de l’Arabie saoudite en particulier via la politique planifiée par le prince Bandar devenu chef d’Al Mukhabarat Al A’amah ou General Intelligence Directorate (GID) selon l’acronyme anglo-saxon, c’est-à-dire les services de renseignements du royaume, le 19 juillet 2012 jusqu’à son retrait sur décision royale le 15 avril 2014. L’EIIL, en effet, représentait un potentiel de déstabilisation avéré contre le régime alaouite – une secte dérivée du chiisme – du président Bachar al-Assad en Syrie et du gouvernement chiite pro-iranien de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki en Irak. C’est certainement ce qui fait que cette organisation djihado-terroriste ait pu faire l’objet de financements de la part de certains « généreux donateurs privés » du Golfe ainsi que l’on qualifie souvent les initiateurs de ces fonds, afin éviter d’avoir à mettre éventuellement en cause les États en tant que tels. Mais cette indulgence coupable risque d’avoir un prix, car aujourd’hui l’« État islamique » est devenu une sorte de créature de Frankenstein qui proclame ouvertement son ambition d’expansion territoriale sur une large échelle du Proche et du Moyen-Orient arabo-musulman et de renverser les régimes stigmatisés comme « corrompus » de ces pétro-monarchies. La pression se fait d’ores et déjà sentir sur les frontières régionales. La menace n’épargne plus le royaume d’Arabie saoudite, pourtant siège des « deux lieux saints » que sont La Mecque et Médine, puisque l’« État islamique » par la voix d’un responsable de l’organisation, un certain Abou Tourab Al Mugaddasi, est allé rien moins que jusqu’à prôner la destruction de la Kaaba (« la Pierre noire »)[20] de la Mecque et de « tuer ceux qui adorent la pierre ». Et ce au motif que la vénération de cette « Pierre noire » qui faisait l’objet d’un culte pré-islamique renverrait au péché du Shirk (« associationnisme »), c’est-à-dire à une séquelle du polythéisme : « Si Allah le veut, nous allons tuer ceux qui adorent des pierres à la Mecque et détruire la Kaaba. Les gens vont à la Mecque pour toucher les pierres, pas pour Allah »[21].
Cette logique stricto sensu iconoclaste a de fait déjà été mise en pratique dans les territoires soumis à leur emprise de l’« État islamique ». Ainsi ce dernier avait-t-il ordonné la destruction, le 24 juillet 2014, la tombe du prophète Jonas, un vaste complexe dans l’Est de Mossoul qui s’élève sur le lieu d’une ancienne église et d’un ancien château, considéré comme l’endroit où fut enterré Younous (Jonas), un prophète juif révéré également par les chrétiens. L’endroit était administré par un ordre soufi auquel les salafistes s’opposent souvent violemment.
Il avait déjà fait l’objet d’un attentat en 2010, mais n’avait été que légèrement endommagé. Le site de Jonas, situé sur une hauteur, fut longtemps appelé Tall al-Tawba, la « colline du repentir ». Le même jour, un autre lieu de culte (la mosquée de l’imam Aoun Bin Al-Hassan) avait également été détruit alors que le mausolée du prophète Daniel se trouvait bombardé. Les mausolées sont considérés comme une déviance de l’islam, en particulier ceux des Chiites, à propos desquels l’article 10 de la même charte interdit désormais toute manifestation publique – les cérémonies de l’Achoura, notamment -, au prétexte qu’elles sont contraires à l’islam[22].
A cet égard, il n’est pas anodin de rappeler que parmi les croyances contre lesquelles le wahhabisme lutte farouchement, il y a notamment ce qui relève du tawassoul, une forme d’invocation qui consiste à solliciter l’intercession d’un prophète ou des saints (awlias) pour se rapprocher davantage de Dieu. C’est ce qui conduit les Wahhabites à vouloir détruire tout lieu de culte qui pourrait éventuellement amener les croyants à adopter des pratiques relavant du péché du shirk susmentionné, et donc du polythéisme. La première destruction importante de sites s’était déroulée en 1806 lorsque les Wahhabites avaient occupé Médine une première fois. Ils avaient alors saccagé le Baqi’, ce cimetière qui contenait les restes des figures principales de l’Islam des origines. Plus tard, après avoir de nouveau pris le contrôle des villes saintes, les Wahhabites avaient détruit, en avril 1925, les tombes des compagnons du prophète et dispersé leurs restes pour éviter toute forme de vénération jugée contraire à l’islam authentique. Ils n’étaient pas allés jusqu’à le faire pour celle du prophète lui-même.
Un plan visant à déplacer la tombe du Prophète située dans la mosquée de Médine, le deuxième lieu saint de l’islam, et à transporter son corps dans un cimetière voisin serait pourtant envisagé aujourd’hui[23]. C’est du moins ce que préconiserait un rapport de 61 pages qui circule entre les mains des responsables en charge du lieu saint. La mosquée du Prophète, Masjid Al-Nabawi, à Médine, qui renferme la tombe de Mohammed, attire chaque année des millions de visiteurs musulmans. Le corps du Prophète, selon le document, pourrait être déplacé dans le cimetière voisin d’al-Baqi, et placé dans une tombe anonyme, pour éviter tout recueillement jugé inconvenant. Plusieurs membres de la famille de Muhammad reposent déjà dans ce cimetière. En 1924 déjà, toutes les inscriptions des tombes avaient été retirées, pour que les pèlerins ne sachent pas où ils sont enterrés, et qu’ils ne prient pas sur leurs tombes. Le père du Prophète y avait été déplacé dans les années 70. Le document recommanderait aussi de retirer le « Dôme vert », surplombant la tombe et les chambres qui l’entourent. Ces dernières, utilisées par les femmes et les filles du Prophète, devraient aussi être détruites, pour les mêmes raisons. Ces pièces attenantes sont pourtant particulièrement vénérées par les chiites en raison de leur lien particulier avec Fatima, la plus jeune des filles de Mohammed et épouse du calife Ali. Les mausolées étant, pour cette raison, considérés comme une déviance de l’islam, en particulier ceux des Chiites, c’est sans doute ce qui sous-tend l’édiction de l’article 10 de la « charte » de l’« État islamique » diffusée fin juin 2014, laquelle interdit désormais toute manifestation publique – les cérémonies de l’Achoura, notamment -, au prétexte qu’elles seraient contraires à l’islam[24].
Ce type de règlement ne dépare donc pas tellement avec la doctrine du fondateur de l’actuelle obédience saoudienne, à savoir Ibn Abdal Wahhab, lequel était marqué par une forme dangereuse d’intransigeance « purificatoire ». Selon lui, tout ce qui n’est pas explicitement autorisé (halal) sur le plan religieux devait être, dans le doute, résolument interdit (haram). Dès lors, la musique allait être strictement bannie comme elle l’est par l’« État islamique » dans les territoires qu’il contrôle. Le Kitab Al Tawhîd[25] (le « Livre de l’Unification ») du théologien Ibn Abdal Wahhab constitue en l’espèce la base de la doctrine qui fait toujours aujourd’hui office de religion d’État en Arabie saoudite. Le Kitab, écrit vers 1840, va jusqu’à déconseiller aux mosquées de s’orner de minarets au motif que ces derniers risquent d’apparaître comme des éléments décoratifs inutiles risquant de distraire les croyants[26]. Cela pouvait également renvoyer au fait que les minarets étaient inconnus au temps du Prophète et que leur érection aurait alors renvoyé à une forme de bida (« innovation »).
Ibn Abdal Wahhab était intimement persuadé d’avoir été investi d’une mission, celle de purifier l’islam de ses dérives « hérétiques », sinon « idolâtres ». Voilà pourquoi le Wahhabisme serait en mesure de prôner pour la première fois dans l’histoire de l’islam le djihad contre d’autres musulmans, en les dénonçant comme « hérétiques », voire « adorateurs d’idoles » (Mushrikun en arabe, stricto sensu « associant », nom donné aux païens dans le Coran[27]). Il s’estimait en droit de prendre des fatwas[28] (« décrets religieux ») takfiristes, c’est-à-dire jetant l’anathème et prônant l’excommunication (en référence au mot arabe takfîr, littéralement « anathème », « excommunication » qu’on retrouve aujourd’hui dans la terminologie djihadiste d’une organisation comme l’« État islamique », c’est-à-dire pouvant aller jusqu’à condamner d’autres musulmans à mort – au premier rang desquels les Chiites – , en stigmatisant comme Kouffar [pluriel de kafir signifiant « infidèle »] tous ceux qui refuseraient de s’aligner sur cette doctrine qui a, d’une certaine façon, servi de fondement à l’actuelle idéologie takfiriste très en vogue chez la plupart des djihadistes contemporains.
Atlantico : Pourquoi le pays reste-t-il alors invariablement un allié des États-Unis ? Les avantages sont-ils vraiment supérieurs aux inconvénients qui apparaissent pourtant considérables pour ces derniers ? La diminution de la dépendance américaine par rapport au pétrole saoudien, et le rapprochement avec l’Iran peuvent-ils changer la donne ?
David Rigoulet-Roze : L’Arabie saoudite demeure officiellement un allié stratégique des États-Unis, même si les attentats du 11 septembre perpétrés par une vingtaine d’« islamikazes », dont 15 d’origine saoudienne, ont sans doute constitué un tournant dans cette relation finalement ambivalente. Le syndrome d’une saudi-connection plane toujours comme une « ombre portée » sur cette relation. Les 28 pages non-déclassifiées du « Rapport final de la commission nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis » publié le 22 juillet 2004[29] le prouvent également. Mais le « pacte du Quincy », qui avait scellé une alliance de 50 ans qui arrivait à échéance en 2005, aurait été reconduit de nouveau pour cinquante ans, même si on ignore si les clauses sont identiques. Le fait est que, depuis le 11 septembre, c’est l’extrémisme sunnite qui est devenu l’ennemi fondamental pour les États-Unis, qu’il prenne le nom d’Al-Qaïda ou d’« État islamique ». Or, il n’est pas anodin de relever la supposée gaffe commise par l’actuel VIP (vice-président) américain Joe Biden au forum de John Kennedy Jr de l’université de Harvard, dans l’État du Massachusetts, à l’occasion de sa conférence sur « La politique des États-Unis au Moyen-Orient ». Lors de son allocution du 3 octobre 2014, Joe Biden a stigmatisé des « alliés arabes et musulmans pour leur implication directe avec les terroristes en Syrie, y compris les militants d’Al-Qaïda ». Il a souligné : « Notre plus gros problème était dans nos alliés dans la région. Les Turcs sont de grands amis, ainsi que les Saoudiens et les résidents des Emirats Arabes Unis et autres. Mais leur seul intérêt était de renverser le président syrien Bachar al-Assad et pour cela ils ont mené une guerre par procuration entre les Sunnites et les Chiites et ils ont fourni des centaines de millions de dollars et des dizaines de milliers de tonnes d’armes à tous ceux qui acceptent de lutter contre al-Assad ». Et de poursuivre : « Mais les gens qui ont reçu ces sommes et ses armes étaient des militants du Front al-Nosra et d’Al-Qaïda sans compter d’autres éléments extrémistes venant d’autres régions du monde. Pensez-vous que j’exagère ? Regardez le résultat » [avec l’émergence de l’« État islamique » qu’il faut désormais combattre, NDA]. « Sauf que maintenant, nos alliés ont pris conscience de leur erreur et ont accepté de se joindre à la coalition antiterroriste dirigée par Washington » a tout de même ajouté le vice-président américain. En concluant : « Contre toute attente, chacun d’entre eux a compris ce qui se passait ». Le verbatim avait provoqué un tollé dans les capitales des pays concernés et il avait dû s’excuser. Deux jours après l’avoir fait auprès des Émirats arabes unis et de la Turquie le lendemain de sa prestation, le vice-président s’était senti obligé d’ appeler, le 7 octobre suivant, le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saud al-Fayçal, pour s’excuser de sa gaffe diplomatique suggérant que l’Arabie saoudite ainsi que d’autres « alliés » avaient financé et armé des djihadistes en Syrie.
Ce n’était pas la première fois qu’une personnalité de premier plan stigmatisait les relations problématiques du royaume saoudien avec l’extrémisme musulman. Le site Wikileaks avait ainsi divulgué un message de Hillary Clinton, classé document secret, en date du 28 décembre 2009, et selon lequel : « Les donateurs d’Arabie Saoudite constituent la source la plus significative du financement du terrorisme sunnite à travers le monde dont les Talibans en Afghanistan et Lashkar-e-Taiba (LeT) au Pakistan. Elle qualifiait même l’Arabie Saoudite de « cash machine du terrorisme »[30]. C’est dire.
Ce type de déclaration pourrait traduire une évolution sans doute progressive mais profonde de la politique américaine vis-à-vis de Riyad, précisément pour cette raison. Cela tient peut-être en partie au fait que les États-Unis ont moins besoin du pétrole saoudien que ce n’était le cas auparavant.
L’AIE (Agence internationale de l’énergie) a officiellement déclaré, en octobre 2014, les États-Unis comme étant désormais le plus grand producteur de pétrole brut et de gaz naturel, détrônant ainsi l’Arabie saoudite, leader historique. Ce passage de témoin au sommet de la hiérarchie des producteurs d’hydrocarbures liquides serait en réalité effectif depuis avril dernier, mois au cours duquel les États-Unis ont produit 11,58 millions de barils par jour (mbj) contre 11,31 mbj pour l’Arabie saoudite, selon les dernières données révisées de l’AIE. En mai, juin, juillet, août et septembre, les États-Unis ont produit respectivement 11,57 mbj, 11,85 mbj, 11,71 mbj, 11,78 mbj et 11,97 mbj. L’Arabie saoudite a, quant à elle, produit ces mêmes mois, 11,44 mbj, 11,499 mbj, 11,75 mbj, 11,44 mbj et 11,47 mbj. Ce boom de l’énergie américain est dû à l’exploitation du gaz de schiste, qui a provoqué une véritable révolution économique dans des États comme le Texas et le Dakota du Nord.
C’est dans cette configuration inédite qu’il convient de s’interroger sur l’actuelle politique pétrolière menée par l’Arabie saoudite. Riyad a en effet décidé d’assumer l’idée d’un baisse des cours du brut en ouvrant délibérément les vannes en septembre ce qui revient a augmenter sa production, en même temps qu’il a réduit les prix pratiqués vis-à-vis de ses clients en Asie. Les Saoudiens ont ostensiblement déclaré qu’ils pouvaient envisager un cours du pétrole à 90 dollars le baril, et même à 80 dollars le baril pour les deux prochaines années, voire un prix du baril oscillant entre 50 dollars et 60 dollars pour ses clients asiatiques et nord-américains. L’objectif non-déclaré serait de pénaliser économiquement les deux gros producteurs que sont la Russie d’une part, et l’Iran d’autre part, pour cause de soutien indéfectible aux régimes chiites ou assimilés de de Bachar al-Assad en Syrie et du gouvernement de Bagdad avec en arrière-plan la crise sur le nucléaire iranien[31]. Mais derrière ce jeu baisser, existe peut-être aussi le mobile caché pour Riyad d’hypothéquer la potentielle indépendance énergétique des États-Unis susceptible d’intervenir avant 2030 en devenant même exportateur net de brut, selon la même AIE. Une éventualité qui inquiète au plus haut point Riyad dont le moyen de pression pétrolier serait alors considérablement dévalué stratégiquement parlant. Le prince milliardaire Walid bin Talal, dans une déclaration en date du 28 juillet 2014, considère de fait que l’exploitation de ces hydrocarbures non-conventionnels « constituait une menace pour l’économie saoudienne » et justifierait une plus grande diversification interne. La rentabilité des gaz et pétrole de schistes exploité aux États-Unis implique, en effet, un cours oscillant autour de 70 dollars. Le jeu en vaudrait la chandelle pour Riyad même si le même prince Walid bin Talal estime que cette politique risque d’être catastrophique pour le royaume[32].
Comme le souligne le chercheur Bruno Tertrais de la FRS (Fondation de la Recherche Stratégique) : « Un cycle stratégique d’une décennie s’est conclu fin 2011, avec la mort d’Oussama ben Laden et le retrait des dernières forces américaines d’Irak. Quelques mois plus tard, les États-Unis ont annoncé qu’ils allaient ‘rééquilibrer’ leur stratégie vers l’Asie. Derrière ces événements géopolitiques très médiatisés, une autre évolution majeure, moins visible, est en cours : la réduction rapide de la dépendance énergétique des États-Unis vis-à-vis de l’étranger. Pris ensemble, ces trois événements annoncent une ère stratégique nouvelle ». Les États-Unis continueront sans doute « d’être engagés fortement dans la sécurité de la région [du Golfe]. Mais ils le seront sans doute plus librement que cela n’a été le cas durant les quatre dernières décennies »[33]. C’est ce qui est à l’œuvre aujourd’hui avec le « ré-engagement » américain dans une nouvelle guerre en Irak – la troisième en l’espace de trois décennies – cette fois contre l’« État islamique ». Mais cette nouvelle intervention militaire se fait selon des modalités très différentes des deux premières, c’est-à-dire sans envoyer un corps expéditionnaire de plusieurs centaines de G.I.’s sur le théâtre d’opérations, même si la question de la nécessité ou non d’engager un certain nombre de soldats au sol demeure posée, nonobstant le No Boots on the Ground qui constitue le viatique du président Barack Obama.
David Rigoulet-Roze
Propos recueillis par Atlantico
04/11/2014
Note de la rédaction
(*) Voir : Les clés du Moyen Orient
Voir la première partie : Wahhabite connection : comment l’Arabie saoudite a déstabilisé le monde en exportant son islam radical depuis 40 ans. (1/2)
Notes de l’auteur (de 17 à 33)
[17] La nouvelle était passée quasiment inaperçue avant le 11 septembre, mais elle était d’importance. Le Prince Turki Al-Fayçal avait été limogé le 31 août 2001, – deux semaines à peine avant le 11 septembre -, de son poste de chef de l’Istakhbarat, les services secrets saoudiens également connus sous l’acronyme anglo-saxon GID (General Intelligence Directorate). Turki Al-Fayçal Al Saoud, fils de feu le roi Fayçal et donc neveu de feu le roi Fahd, avait pourtant été depuis plus de vingt-cinq ans, l’un des personnages les plus importants du pouvoir saoudien.
[18] Cf. Gerald Posner, Why America Slept, New York, Random House, 2003.
[19] C’est nouvelle dénomination de ce qui se faisait appeler jusque-là et depuis le 9 avril 2013 l’« État islamique en Irak et au Levant (EIIL) ou encore ad-dawla al-islāmiyya fi-l-ʿirāq wa-š-šām (DAESH) en arabe, lequel avait lui-même remplacé l’« État islamique en Irak » (EII) initialement établi le 13 octobre 2006 sur les ruines d’Al-Qaïda en Irak (AQI) après la mort d’Abou Moussa Al-Zarqawi en juin 2006.
[20] La « Pierre Noire » : vénérée par les musulmans, c’est une météorite enchassée dans un cadre en argent à l’un des angles de la Ka’aba angle dit « de la pierre », dans la mosquée de La Mecque. La « Pierre Noire » est placée à proximité de l’unique porte d’accès de la Ka’aba à environ un mètre au-dessus du niveau du sol afin que les pèlerins puissent la toucher et l’embrasser, mais en se penchant en signe de soumission. On lui donne diverses origines légendaires. Parmi les « souvenirs » qu’Adam aurait ramené du Paradis, figurait un rocher précieux, blanc et brillant qu’il aurait fait enchâsser dans un des murs de la Ka’aba. C’est à force d’avoir été effleuré par les mains et les lèvres des croyants que ce rocher blanc à l’origine serait devenu la « Pierre Noire » en « déchargeant » les croyants de leurs péchés. Ce serait Abraham qui aurait fait transporter la « Pierre Noire » depuis une caverne des environs pour l’enchâsser dans un angle de la Kaaba afin de marquer le point de départ de la circumambulation déjà amorcée par Adam. Elle aurait été donnée à Ismaël, le fils d’Ibrahim, par l’ange Djibril-Gabriel. Allah aurait lancé la « Pierre Noire » depuis le Ciel sur La Mecque en gage de sa fidélité. La « Pierre Noire » fut dérobée au Xème siècle par les Qarmates, membres de la secte ismaélienne prêchant l’égalitarisme social. C’est en attaquant La Mecque, en 930, qu’ils parvinrent à emporter la « Pierre Noire » qui fut récupérée vingt ans plus tard contre une forte somme d’argent. Le cas de la « Pierre Noire » relève à bien des égards d’une manifestation de fétichisme car cette pierre ne symbolise en tant que telle strictement rien. A l’époque préislamique, elle était adorée pour elle-même. Dans les oasis du Nedj, on avait adoré l’idole des Banû Rabia avant que le Prophète ne se mette à prôner le monothéisme. D’abord adorée dans le temple de Rodha, cette idole des bédouins du Nedj avait ensuite été transportée dans la Kaaba de La Mecque. Aussi n’est-il pas étonnant qu’elle ait été foulée aux pieds par les Wahhabites. Enfin, il faut relever la « Pierre Noire » de la Ka’aba n’a pas toujours été – loin s’en faut même – la qibla des musulmans. Dans les premiers temps de l’islam, ils se tournaient, non pas vers la pierre-fétiche, mais vers Jérusalem, ville que le Prophète nommait parfois Bayt al-Maqdis (« Demeure du sanctuaire »). Jérusalem demeure d’ailleurs en tant que al Bayt al Muqaddas (« Demeure sainte ») ou al-Quds (« la Sainte ») la troisième « grande ville sainte » de l’islam après La Mecque et Médine. Ce n’est que lorsque Muhammad décida de consommer sa rupture avec le judaïsme – les juifs refusaient de se soumettre et s’étaient même alliés avec les Arabes encore païens – qu’il décida, en représailles, au mois de février 624 (peu après la bataille de Badr), d’ignorer désormais Jérusalem et exhorta ses disciples à prier en direction de La Mecque.
[21] C’est l’agence de Presse Azerie (APA) qui relaie l’information en citant des médias turcs selon lesquels l’« État islamique » aurait l’intention de prendre d’abord le contrôle de la ville d’Ar en Arabie Saoudite avant d’entamer des opérations hostiles au régime saoudien à partir de la frontière saoudo-irakienne. Cf. Ftouh Souhail, « Vers un fin proche de l’islam : l’EIIL a juré de détruire la Kaaba à la Mecque », on Dreuz.info, 12 juillet 2014.
[22] Cf. Jean-Pierre Perrin, « Les seize commandements de l’État islamique en Irak et au Levant », dans Libération, 23 juin 2014.
[23] Cf. Andrew Johnson, « Saudis risk new Muslim division with proposal to move Mohamed’s tomb », dans The Independent.
[21] C’est l’agence de Presse Azerie (APA) qui relaie l’information en citant des médias turcs selon lesquels l’« État islamique » aurait l’intention de prendre d’abord le contrôle de la ville d’Ar en Arabie Saoudite avant d’entamer des opérations hostiles au régime saoudien à partir de la frontière saoudo-irakienne. Cf. Ftouh Souhail, « Vers un fin proche de l’islam : l’EIIL a juré de détruire la Kaaba à la Mecque », dans Dreuz.info, 12 juillet 2014.
[22] Cf. Jean-Pierre Perrin, « Les seize commandements de l’État islamique en Irak et au Levant », dans Libération, 23 juin 2014.
[23] Cf. Andrew Johnson, « Saudis risk new Muslim division with proposal to move Mohamed’s tomb », on The Independent.
[24] Cf. Jean-Pierre Perrin, « Les seize commandements de l’État islamique en Irak et au Levant », dans Libération, 23 juin 2014.
[25] Il est significatif que l’on retrouve cette terminologie aujourd’hui dans la dénomination de certains groupes terroristes islamistes comme le Tawhîd wal Jihâd (« Unicité et Guerre sainte ») de Mussab al-Zarquawi, groupe qui prêta allégeance à Al-Qaïda en octobre 2004, d’abord sous le nom Jama’at al-Tawhid wal-Jihad (« Groupe du monothéisme et du djihad») puis Tanzim Qaïdat al-Jihad fi Bilad al-Rafidayn (« Organisation de base du djihad dans le pays des deux fleuves » que sont le Tigre et l’Euphrate, correspondant à la Mésopotamie). En janvier 2006, le groupe avait annoncé la création du Conseil consultatif des Moudjahidines en Irak, puis en octobre 2006, de l’« État islamique » dont l’actuel « État islamique » se trouve être l’héritier direct.
[26] Cf. Stéphane Marchand, Arabie saoudite. La menace, Paris, Fayard, 2003.
[27] Le terme formé à partir de shirk (« association »), désigne l’attitude de ceux qui donnent des « associés » à Allah, voire plus grave encore, qui adorent des divinités ? ce qui explique qu’il finisse par désigner le « polythéisme » en général.
[28] Il s’agit ici d’une traduction libre. La fatwa est stricto sensu un avis juridique religieux délivré par une personne « autorisée », qu’elle soit faqih, Ouléma ou muftî. Mais il n’est pas doté d’un caractère contraignant dans la mesure où il constitue toujours le résultat d’une interprétation personnelle (ijtihad).
[29] Cf. « Le trou noir au cœur de la véritable histoire du 11 Septembre : mais que racontent les 28 pages consacrées à l’Arabie Saoudite et encore top secrètes de l’enquête du Congrès américain ? », dans Atlantico.fr, 15 septembre 2014.
[30] Cf. « US embassy cables: Hillary Clinton says Saudi Arabia ‘a critical source of terrorist funding’», dans The Guardian, 5 décembre 2010.
[31] Cf. Nihan Cabbaroglu, « Saudi Arabia to pressure Russia, Iran with price of oil », on Anadolu Agency, 10 octobre 2014.
[32] Cf. Andrew Critchlow, « Saudi Prince Alwaleed says falling oil prices ‘catastrophic’», dans The Telegraph, 14 octobre 2014.
[33] Cf. Bruno Tertrais, « La révolution pétrolière américaine : quelles conséquences stratégiques », Note n°9, Fondation de la Recherche Stratégique, avril 2013.