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Voyage au bout de la réinfosphère : une thèse universitaire sur Polémia, les Bobards d’Or, TVL, etc.

Voyage au bout de la réinfosphère : une thèse universitaire sur Polémia, les Bobards d’Or, TVL, etc.

par | 8 février 2024 | Société

Voyage au bout de la réinfosphère : une thèse universitaire sur Polémia, les Bobards d’Or, TVL, etc.

Par Johan Hardoy ♦ Dans le cadre de sa recherche doctorale, Gaël Stephan, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine, s’est intéressé au thème de la « réinformation ». La réinformation : un monde aux frontières du journalisme, sa thèse universitaire, mérite d’être considérée avec intérêt en raison d’un effort d’objectivité manifeste. Nous proposons ici un résumé à grands traits des éléments qui concernent plus précisément la fondation Polémia.

Le monde de la réinformation

Gaël Stephan passe en revue, avec force explications méthodologiques et références universitaires, ce qu’il qualifie de « contre-médias » de réinformation d’« extrême droite ».
Depuis une quinzaine d’années, l’espace francophone a connu une multiplication des sites et blogs animés par des « médiactivistes » proposant une lecture alternative de l’actualité et « brocardant les médias mainstream suspectés d’être menteurs et dissimulateurs ».
Ces « altermédias » sont très hétérogènes en matière de financement et de moyens matériels et humains. Leurs ressources financières proviennent essentiellement des dons du public (parfois déductibles des impôts à hauteur de 66%). Par ailleurs, les rédacteurs et contributeurs ne sont qu’exceptionnellement rémunérés.
Les médiactivistes ne sont pas, dans leur grande majorité, passés par des formations en journalisme, mais ils « sont généralement bien dotés d’un point de vue culturel et social ».

Pourquoi vouloir réinformer ?

Les réinformateurs considèrent que « l’omniprésence de puissances économiques et financières au capital des entreprises médiatiques réduit les journalistes à la position de simples employés de banque », d’autant que lesdites puissances exercent encore un contrôle indirect sur les médias et leurs contenus par le biais de la publicité. En outre, des sommes conséquentes sont allouées à la grande presse par l’État.
On assiste ainsi à « la sainte alliance du trotskysme de salles de rédaction et du capitalisme financier ».
Dès lors, « il ne s’agit de rien moins pour les acteurs traditionalistes du web que de “rétablir la vérité”, dans une perspective de “salut” social ».
Des journalistes de la web-télévision TV Libertés, qui se posent en « créateurs d’information », préfèrent pourtant éviter la référence à la réinformation, car ils estiment que les médiactivistes restent dépendants des médias mainstream lorsqu’ils se contentent de réagir aux informations données par ces derniers.

Les réactions de la presse de grand chemin

Les médias dominants réagissent aux discours formulés par les médiactivistes en remettant en question la légitimité de leur travail, tout en cherchant à le délégitimer par le biais du fact-checking censé rétablir la réalité des faits, conformément à une éthique professionnelle « de neutralité, de rigueur et de vérification ».

Le milieu journalistique refuse ainsi d’accorder à Julian Assange la qualification de journaliste, car celui-ci aurait outrepassé trois grands principes : « l’institutionnalisation, soit le partage par la profession de routines de travail, de valeurs et de normes éthiques conférant aux journalistes une identité commune, et surtout reconnue », le « rapport aux sources, qui induit l’entretien de rapports normalisés avec les autorités administratives et politiques » et « l’objectivité ».

Par ailleurs, la grande presse se livre régulièrement à de véritables enquêtes sur ce qu’elle nomme la « fachosphère ». En 2019, Libération s’est ainsi demandé « Qui se cache derrière le nouveau media d’extrême droite Sunrise ? » [Ndrl : l’auteur de l’article doit être rassuré car la photographie, le nom et le prénom de l’intéressé – que nous saluons au passage – sont aujourd’hui clairement visibles sur Youtube…]

A contrario, Éric Zemmour estime que « ces sites “réactionnaires”, “identitaires”, peu importe leur nom, ont eu l’immense mérite de briser le monopole idéologique sur l’information du “politiquement correct” », en réintroduisant « la diversité authentique qui régnait dans la presse française, parmi les quotidiens, jusqu’aux années 1970 ».

Les Bobards d’Or

En 2007, cinq ans après avoir fondé Polémia, Jean-Yves Le Gallou animait le Bulletin de réinformation de Radio Courtoisie.
Les années suivantes, cette fondation proposait des Journées d’études de la réinformation ayant pour objet d’initier les médiactivistes à des techniques et savoir-faire spécifiques, tout en produisant des textes militants visant à mettre le vocabulaire au cœur du « combat culturel ».

Depuis 2010, Polémia organise un évènement annuel, les Bobards d’Or, qui développe « un univers de discours brocardant les médias et appliquant un doute systématique à chacune de leurs productions ».
Dans un contexte humoristique agrémenté d’images, de caricatures et d’extraits audio ou vidéo, les mensonges les plus exemplaires du « système médiatique » sont dénoncés et qualifiés de « bobards ». Les médias dominants, de même que les fact-checkers, sont présentés comme « les complices d’identités menaçant l’intégrité du corps social français » et accusés de ne pas respecter les règles éthiques et professionnelles dont ils se prévalent.

Après un vote en ligne, le public, qui a payé sa place, est invité à récompenser les meilleurs « bobards » lors de la cérémonie. Les lauréats, « ceux qui n’hésitent pas à mentir délibérément pour servir le politiquement correct », se voient décerner symboliquement une statuette renvoyant à Pinocchio.

« La visée parodique de l’évènement s’inscrit clairement dans la lignée du prix Lyssenko, remis par le Club de l’Horloge, qui était remis à des universitaires accusés d’avoir apporté une contribution exemplaire à la désinformation en matière scientifique ou historique, avec des méthodes et arguments idéologiques. » [Ndrl : le Club de l’Horloge avait été fondé en 1974 par feu Yvan Blot, Henry de Lesquen et Jean-Yves Le Gallou.]

Les informations nationales représentent environ les trois quarts des thématiques retenues, qui concernent notamment l’immigration, l’Islam, les minorités sexuelles et de genre.

Des intervenants traitent également du thème de la réinformation, de la « novlangue », de la « manipulation du langage par les élites médiatiques et politiques », ou présentent sous un mode ironique des portraits de journalistes et de dirigeants de médias.

Gaël Stephan, qui a analysé les vidéos archivées sur Internet et assisté à cette cérémonie dont il note le succès croissant en terme de fréquentation, observe qu’elle constitue « un moment de célébration d’un entre-soi, et ce avant même l’ouverture des portes du théâtre l’abritant ». Dans la salle, le rire dirigé contre les médias dominants renforce un principe identitaire commun.

« L’appel à la résistance lancé par les animateurs de Polémia s’appuie alors sur trois principaux piliers : occuper une position de “lanceur d’alerte” en remontant des informations aux médiactivistes, contribuer au financement des médias de réinformation et participer au travail de sape des médias conventionnels. »

Johan Hardoy
08/02/2024

Johan Hardoy

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