[colored_box bgColor= »#f7c101″ textColor= »#222222″]Période de vacances d’été 2017 – Pendant la période de vacances d’été, Polémia se met au repos du lundi 10 juillet au jeudi 31 août 2017. Voulant éviter à nos lecteurs tout assoupissement pendant ladite période, notre équipe a planifié un calendrier de mises en ligne d’articles déjà diffusés au cours des mois passés mais dont l’intérêt est toujours d’actualité et qui auraient pu échapper à certains d’entre eux…[/colored_box]
Par Laurence Maugest, philosophe, essayiste ♦ Nous nous souvenons, après l’attentat du 20 avril dernier où Xavier Jugelé a trouvé la mort, des propos que son compagnon a formulés. Parmi ceux-là, une phrase que nous lisons ou entendons fréquemment dans les médias, dans les fumées acres des bougies, sur les pages Facebook, en leitmotiv depuis l’épidémie d’attentats : « Vous n’aurez pas ma haine » (voir : liberation.fr et huffingtonpost.fr).
Phrases à tiroirs, à tiroirs cachés
« Vous n’aurez pas ma haine », cela signifie que la haine existe mais qu’elle est rétractée, par force, muselée. En effet, ce qui fait « la grandeur » de l’homme n’est pas de contenir ou contourner sa haine mais de la dépasser, de la métamorphoser, de la sublimer, diraient les psychanalystes, en énergie positive, énergie qui est l’expression d’une humanité singulière, élevée et transcendante qui se nourrit de ses affects pour mieux les franchir. C’est, je crois, ce que l’on appelle la civilisation.
Imposer la forme de son deuil à l’homme, c’est chercher à le formater
Nous pouvons redouter que cette retenue requise par les mises en scène médiatisées ne soit aussi superficielle que des images télévisées fugitives. En effet, ces commémorations peuvent-elles être assimilées à des rituels qui seraient d’ordre ethnologique alors qu’elles sont fortement incitées par les médias ? Leur forme, qui se développe à chaque attentat, à l’identique, indique une certaine « modélisation » et cela dans tous les pays occidentaux. Cette « modélisation » du travail de deuil est le signe que la globalisation, via les médias, influence ce qu’il y a de plus intime chez l’individu comme dans une société donnée.
Nous pourrions en rester là et constater simplement qu’il est, en définitive, assez normal que les médias, qui ont une place de plus en plus considérable au sein des groupes humains, interviennent dans l’expression de ces rituels collectifs et individuels comme le rappelle cette phrase qui est devenue un hymne : « Vous n’aurez pas ma haine ».
Nous espérons, évidemment, que ces comportements psychopompes puissent aider, un temps, les victimes directement concernées ainsi que les habitants des pays ciblés.
Mais, néanmoins, nous pouvons réfléchir sur l’effet de ces « modélisations » qui imposent, de l’extérieur, une forme au processus de deuil et une attitude retenue de la colère. Ne perturbent-elles pas ainsi le travail de deuil naturel et singulier à chaque individu, à chaque société ? Le deuil comme l’amour, les naissances, les traumatismes et les joies d’importance construisent et révèlent la profondeur et l’énergie particulières à chaque homme. L’application d’un « formatage » dans ces rouages les plus intimes ne risque-t-elle pas de nuire à l’élévation et à l’évolution de l’humanité à titre individuel et collectif ?
Ce « formatage » qui bride la colère ne perturbe-t-il pas le travail de deuil qui, selon Freud, après le déni, se poursuit par une période de rébellion et de haine inévitable qui permet le dépassement de la perte douloureuse ?
De surcroît, ces manifestations et hymnes répétitifs et médiatisés ne sont en rien des incantations destinées à des forces surnaturelles, incernables. Si elles gardent des allures religieuses, dues sans doute à quelques « vertus chrétiennes devenues folles », elles ne portent pas de dimensions spirituelles, ontologiques réelles.
En effet, elles sont essentiellement destinées à éviter « les amalgames ». Tout au moins officiellement, elles s’adressent à la cité et non pas au Divin.
Le deuil et, avec lui, ce qu’il porte d’amour, de haine et de questions existentielles révèle aussi ce qu’il y a de plus bas et de plus élevé en l’homme. Ce sont ces sphères sacrées qui sont peu à peu façonnées par la puissance médiatique internationale.
Il ne s’agit pas, évidemment, de faire l’apologie de la haine mais de reconnaître, encore une fois, son rôle essentiel dans l’élévation et la singularisation des individus et des sociétés qui doivent la dépasser comme en témoignent la littérature, des tragédies grecques au théâtre de boulevard.
Mais qui donc va la recevoir cette haine ?
Contenir la haine semble un vœu bien dangereux. Elle risque de se scléroser et d’exploser plus fort, plus tard. Elle peut aussi se détourner vers les individus qui « ne jouent pas le jeu », n’acceptent pas le silence des affects et expriment une réalité crue qui met à mal la rétention de la colère imposée par les médias et « l’air du temps ».
Il est classique d’avoir du ressentiment pour une personne qui nous annonce une très mauvaise nouvelle, les professionnels de santé connaissent bien ces réactions épidermiques.
Parmi les « cons » épinglés sur le fameux Mur se trouvait un rebelle qui n’a pas souhaité « allumer de bougies » pour éviter tout amalgame. En effet, le père d’une jeune fille assassinée lâchement fut placardé sur ce mur, à côté d’Éric Zemmour et d’Alain Bauer, eux-mêmes mouchetés pour leur acharnement à identifier les causes réelles des attentats.
Désormais, ceux qui dénoncent les raisons de ces attaques meurtrières font l’objet paradoxal de cette haine qui reste entière. L’acharnement médiatique contre le Front national qui tourne à la caricature et contre Robert Ménard qui ne fait que dire courageusement la vérité en témoigne. Tous ces exemples confirment que la classe médiatique casse le thermomètre pour éviter de constater la fièvre.
Plus dangereusement encore, ce passage de la « ritualisation » au « formatage » du deuil prouve la puissance de l’endoctrinement par les médias sur les individus qui va jusqu’à manipuler ceux qui sont touchés dans leur chair.
Existe-t-il un trans-sentimentalisme ?
Cette manipulation est, en définitive, effrayante, surtout si on la rapproche des recherches en cours sur le trans-humanisme au budget colossal. Elle vise à contrôler les réactions affectives des foules et se destine à asservir ce qu’il y a de plus libre et de moins prévisible chez l’homme : sa sensibilité au monde – sensibilité, qui est le tremplin du développement spirituel et de l’évolution de l’humanité qui tend vers la recherche du « sens » de la présence de l’homme sur Terre. Une telle recherche, le mythe du Progrès l’a proscrite en revendiquant sa connaissance de l’avenir : forcément meilleur que le passé, et en limitant l’évolution de l’humanité aux simples domaines techniques donc strictement humains, bien loin de tout sens métaphysique.
Nous entendons parler au quotidien de l’intelligence artificielle qui émerge des couveuses de la Silicon Valley. Au grand jour, domestiquée dans les arènes de nos cités, façonnée par les tapages médiatiques, la sensibilité artificielle est en train d’être imposée par ceux qui savent que l’homme augmenté dans ses aptitudes intellectuelles et sensorielles doit être impérativement un « sous-doué » de la sensibilité au monde. En effet, il doit perdre sa lecture personnelle qu’il a de l’univers et de sa raison d’être mais aussi sa lecture culturelle – par le déracinement des peuples et le multiculturalisme – pour répondre aux exigences de la consommation globalisée du mondialisme.
Laurence Maugest
27/07/2017
Correspondance Polémia – 04/07/2017
Image : Le dimanche 1er novembre 2015 est déclaré en Russie jour de deuil national en hommage aux victimes du crash en Égypte d’un avion civil russe avec 224 personnes à son bord. A l’occasion du deuil, toutes les chaînes de télévision russes ont supprimé la publicité dans leurs émissions.