Frédéric Malaval, présente un nouveau texte, tout comme le précédent distrayant par son originalité mais marqué au coin du bon sens.
Polémia
Respecter ses rythmes biologiques serait donc l’étape suivante. Toux, rhumes, grippes, bronchites, fatigues, etc., caractérisent les mois d’hiver. Les enfants sont éreintés, les adultes pas en forme et, constat avéré, on meurt davantage qu’à la belle saison. Tout cela est normal.
À nos latitudes, l’hiver est une période éprouvante. Les organismes réagissent en se mettant alors en léthargie. Les ours hivernent, les marmottes hibernent, les plantes rentrent en dormance ; tout s’endort ou vivote. Les organismes inadaptés à ces conditions migrent vers le Sud s’ils le peuvent, ou meurent s’ils ne font pas l’objet de soins particuliers. Il en est ainsi des espèces exotiques. Mais, nous humains, dans nos sociétés modernes, et ceci en rupture avec les pratiques ancestrales de nos aïeux, nous vivons notre pic d’activité. Paradoxalement, on travaille plus l’hiver pour mieux nous reposer l’été, prenant ainsi à contre-pied nos rythmes biologiques.
Dans l’article « Avenir climatique et remigration », nous avions appelé au développement de l’éco-responsabilité en invitant chaque individu à vivre dans le climat et sur le territoire ayant engendré sa lignée. L’idée était que, en toute conscience, chacun agisse ainsi. Imaginons que cette étape soit accomplie : il resterait encore beaucoup de chemin à parcourir pour que des peuples désormais installés dans leur écosystème d’origine s’engagent résolument dans des pratiques écovertueuses. Respecter ses rythmes biologiques serait donc l’étape suivante.
Une littérature abondante existe sur le sujet. Internet en regorge. Pourtant, nos pratiques sociales ne cessent de transgresser ce que la Nature nous impose et la Science révèle. Tout le monde connaît les rythmes circadiens d’une période de 24 heures. Aussi, la majorité d’entre nous dort la nuit en respectant cette évidence. Cela paraît naturel. Mais personne n’est gêné par l’idée de faire des efforts l’hiver et de se reposer l’été. Et là, nous contrarions allégrement nos rythmes circannuels ou saisonniers. Tous les spécialistes s’accordent sur les conséquences néfastes du non-respect de ces rythmes.
Les sportifs généralement s’y soumettent. L’hiver est une période de préparation aux entraînements plus intensifs du printemps avant la saison des compétitions. On travaille la technique et le foncier. On ne recherche pas la performance. Cela sera fait pendant l’été. Il est même dangereux de ne pas agir ainsi. La blessure est alors une menace réelle. Les cyclistes, pratiquant un sport très exigeant, arrêtent de rouler. Hier, commerçants, paysans et soldats restaient tranquilles et prenaient leurs quartiers d’hiver. Mais la Modernité a tout bouleversé.
La transgression est désormais la règle. L’hiver, on bosse. Les quelques jours de vacances sont utilisés pour dévaler des pistes de ski ou encore, pire, s’allonger dans des pays exotiques au soleil et au chaud alors que nos organismes sont en léthargie pour s’adapter à la nuit et au froid septentrionaux. Conséquence : ceux-ci sont en stress et déclenchent des maladies pour nous alerter sur l’incongruité de la situation qu’ils subissent.
Mais la pression sociale nous oblige à ne rien changer. Tout est fait pour travailler, s’agiter, consommer, voyager, s’éclater… alors que biologiquement nous dormons. Pour surmonter ce déterminisme naturel, nous absorbons des médicaments pour tenir le coup, éclairons et chauffons nos habitats. Or, tout ceci pollue. Cette hyper-activité hivernale n’est possible que par l’ultra-artificialisation de nos environnements. Nous sommes devenus « exotiques » sur notre sol. La conséquence en est des pollutions de tout genre. Aujourd’hui, la recherche-développement en « environnement » s’intéresse particulièrement aux micropolluants issus, entre autres, des tonnes de médicaments consommés, donc des molécules inconnues de la Nature rejetées avec nos selles et nos urines. Un cercle vicieux en est à l’origine. On travaille, on se fatigue (au mieux). On lutte contre cette fatigue, mais en travaillant plus pour avoir les moyens de la limiter : partir en vacances, par exemple ; voir le médecin ; absorber des pilules et potions. Tout ceci pollue. Cela oblige à travailler davantage pour réduire ces pollutions, et ainsi de suite.
Hormis l’inconfort, voire les pathologies, qu’une transgression des rythmes biologiques engendre, en quoi ceci est-il dangereux ? La réponse est que cela participe à l’augmentation des impacts environnementaux à l’origine des désordres écologiques que connaît l’écosphère depuis les années 1960. En effet, cette transgression n’est possible qu’au prix d’une artificialisation exacerbée. Or, plus celle-ci est élevée, plus les impacts environnementaux sont forts. La théorie écosystémique est inattaquable sur cette relation. Limiter cette artificialisation au niveau n’obérant pas l’avenir est donc impératif. Quel est ce niveau ? Là, écologues et économistes discutent. Il n’y a rien de certain, mais les travaux abondent pour proposer des perspectives.
Une certitude s’impose malgré ces incertitudes. Nous vivons des mutations aujourd’hui qui s’inscrivent sur des temps longs. Il ne s’agit plus de faire de la politique politicienne, ni de l’économie politique, ni même encore de la métapolitique. Le temps est venu de l’éco-politique, c’est-à-dire envisager tous les moyens de gérer demain l’écosphère selon des modèles politiques en rupture avec ceux dominant aujourd’hui. Déjà une opposition franche oppose les bioconservateurs aux transhumanistes dans la sphère biomédicale. D’autres antagonismes animent nos contemporains. Tous participent à la mutation de nos sociétés modernes en sociétés post-modernes.
Nous tenterons d’exposer dans de prochaines contributions les caractéristiques de cette mutation et de proposer des outils pour les penser et les réaliser. Une des voies serait de recoupler nos pratiques sociales avec les déterminants naturels : vivre sur le territoire de nos aïeux, dormir la nuit, ralentir le rythme l’hiver, travailler l’été, cesser de parcourir le monde pour sourire devant tel ou tel monument, etc. En bref, renouer avec des pratiques d’un temps que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître. Cela serait déjà un pas important.
Frédéric Malaval
19/12/2014