Par Johan Hardoy ♦ En 2016, le journaliste franco-hongrois Ferenc Almássy (bien connu de Polémia) a fondé le Visegrád Post, un site d’analyse, d’information, d’entretiens et d’études consacré à l’Europe centrale et, plus particulièrement, aux pays du Groupe de Visegrád, une organisation intergouvernementale réunissant la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie. Dans Viktor Orbán – Douze ans au pouvoir, Ferenc Almássy et les co-auteurs du livre – l’équipe du Visegrád Post – s’intéressent à la politique du Premier ministre hongrois Viktor Orbán et à la place de la Hongrie dans le concert international.
L’« homme fort de Budapest »
En remportant les élections législatives de 1998, Orbán est devenu le plus jeune Premier ministre d’Europe à l’âge de trente-cinq ans. Il était ainsi parvenu à faire du Fidesz, un parti initialement libéral, la force principale de la droite hongroise après huit années passées dans l’opposition.
Durant ce premier mandat, la Hongrie a intégré l’OTAN et s’est impliquée dans le conflit au Kosovo en autorisant des avions militaires à décoller depuis son territoire (Orbán exprimera plus tard des regrets sur ce dernier point), tout en préparant son adhésion à l’Union européenne (UE) en 2004.
En 2002, le MSZP socialiste a gouverné avec les libéraux après l’avoir emporté de peu sur le Fidesz. Une fois dans l’opposition, ce parti s’est reconstruit en privilégiant un solide maillage territorial.
En 2006, la position politique d’Orbán est apparue compromise après une nouvelle défaite électorale mais le gouvernement en place a grandement souffert des conséquences économiques et sociales d’une sévère politique d’austérité, ainsi que d’un scandale majeur résultant de la diffusion publique d’un enregistrement audio d’une réunion à huit clos du groupe parlementaire socialiste. Des manifestations violentes d’opposants ont été réprimées brutalement par la police qui a éborgné des manifestants avec des balles en caoutchouc, comme lors des rassemblements de Gilets jaunes en France. Ces événements ont été peu médiatisés par la presse européenne, qui a surtout évoqué la présence de radicaux de tendance « nationaliste » lors des échauffourées.
En 2008, la crise financière mondiale a encore aggravé la situation sociale dans le pays.
En 2010, Orbán est revenu au pouvoir en bénéficiant d’une majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale. Un parti de droite radicale, le Jobbik, a également fait une entrée remarquée au Parlement.
Au printemps 2022, le Premier ministre sortant a encore prolongé son règne politique en remportant largement les élections législatives.
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La « Loi fondamentale » hongroise
Forte d’une majorité absolue après la deuxième victoire d’Orbán en 2010, la coalition au pouvoir a adopté une nouvelle constitution, dite « Loi fondamentale », qui est entrée en vigueur dès 2012 après une réforme des médias visant à contrebalancer l’hégémonie culturelle de la gauche libérale.
Cette réforme constitutionnelle, qui avait été précédée d’une consultation d’un an auprès des citoyens, a mis fin à plus de vingt ans de flou juridique hérité de l’ère communiste.
En réaction, le Parlement européen, garant de l’État de droit comme chacun sait, a voté une résolution incriminant notamment le « manque de transparence », l’« absence de débat public » et de « consensus politique » (arguant que l’opposition hongroise était hostile à cette réforme), tout en soulignant les vives critiques émises par des organisations internationales et des ONG.
Comme ce sera ultérieurement le cas concernant la Pologne, l’origine de la confrontation avec Bruxelles réside surtout dans l’opposition de deux conceptions différentes de la légitimité juridique, à savoir le « gouvernement des juges », statuant selon des normes jurisprudentielles transnationales, et le « contrôle démocratique » résultant de l’expression des citoyens des pays membres. La « Loi fondamentale » permet ainsi à la majorité gouvernementale de voter des amendements constitutionnels quand elle considère que les décisions de la Cour constitutionnelle vont à l’encontre de la volonté démocratique exprimée par les urnes.
En outre, le préambule de la nouvelle constitution, qui met l’accent sur « la protection de la communauté et la morale de la société », est jugé rétrograde par les milieux libéraux occidentaux en raison de références aux racines chrétiennes et à l’histoire millénaire du pays, au mariage comme consacrant l’union d’un homme et d’une femme ainsi qu’à la protection de la vie dès son commencement.
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Un peuple qui veut persévérer dans l’être
En 2015, malgré la forte réprobation exprimée par de nombreux partenaires européens, le gouvernement hongrois s’est opposé frontalement à l’immigration massive en durcissant sa législation et en faisant construire une barrière à la frontière serbe.
Les sollicitations pressantes de Bruxelles concernant la relocalisation de demandeurs d’asile et de clandestins en Hongrie ont également suscité une vive opposition des autorités, qui ont incriminé publiquement la responsabilité du milliardaire spéculateur américain d’origine hongroise George Soros et de son réseau d’ONG promouvant la « société ouverte ».
Par ailleurs, des mesures natalistes ont été initiées en vue d’augmenter la croissance naturelle de la population autochtone car la démographie du pays subissait un déclin depuis le milieu des années 1970. Depuis 1981, le nombre de décès était même supérieur à celui des naissances.
En 2017, 1,6 % du PIB (4,6 % en tenant compte des remises d’impôts) était ainsi consacré au soutien des familles. Cependant, le taux de fécondité, qui était de 1,25 % enfants par femme en 2010, demeure encore loin des 2,1 permettant le renouvellement naturel puisqu’il n’atteint que 1,6 % en 2021.
[Le 23 juillet dernier (soit après la parution du livre), lors d’un discours tenu devant des étudiants, Orbán a recommandé la lecture d’un livre récemment publié en Hongrie, « Le Camp des Saints » de Jean Raspail, « à tous ceux qui veulent comprendre les développements spirituels qui sous-tendent l’incapacité de l’Occident à se défendre ». Il a ajouté « que la migration a divisé l’Europe en deux (…). Une moitié est un monde où les peuples européens et non-européens vivent ensemble. Ces pays ne sont plus des nations : ils ne sont rien d’autre qu’un conglomérat de peuples. (…) L’Occident dans son sens spirituel s’est déplacé en Europe centrale. (…) Une bataille est en cours entre les deux moitiés de l’Europe. (…) Nous ne voulons pas devenir des peuples métis ».]
Une politique de souveraineté
Dès avant son retour au pouvoir en 2010, Orbán avait décidé de normaliser les relations avec la Russie, faisant ainsi abstraction de toute l’antipathie que pouvait lui dicter l’histoire de son pays.
Ce premier pas a été suivi par l’ouverture vers l’Asie centrale, la Turquie (avec la promotion de l’origine touraniste du peuple hongrois), le monde arabe et la Chine, en vue notamment de réduire la dépendance économique vis-à-vis des Européens qui atteint près de 90 %.
Au sein de l’UE, la Hongrie est membre du Groupe de Visegrád dont la population globale est supérieure à 60 millions d’habitants. Pour de nombreux citoyens de ces pays, les sanctions financières mises en œuvre par la Commission à l’égard de démocraties jugées « illibérales », car trop portées vers le patriotisme et le conservatisme, rappellent tristement l’emprise exercée jadis par l’URSS.
Au niveau interne, l’assainissement des finances publiques et la diminution de la pression fiscale sur les ménages constituent des réussites indéniables. La création d’un secteur national de l’énergie a également permis d’atteindre l’objectif de sécurité énergétique : en 2010, les Hongrois dépensaient plus pour l’énergie de leur logement que pour s’alimenter, aujourd’hui c’est l’inverse.
Les conséquences de la guerre en Ukraine risquent néanmoins de fragiliser ces résultats à cause de la dépendance du pays envers le gaz russe. L’opposition ne manque d’ailleurs pas d’accuser Orbán d’être « à la solde de Poutine » !
[Le Premier ministre considère que la Hongrie, bien que membre de l’OTAN, ne doit pas s’impliquer dans ce conflit. Dans le discours précité, il a exprimé le souhait d’un retour des Républicains américains au pouvoir car « cette guerre n’aurait jamais éclaté (…) si, à cette heure cruciale, le Président des États-Unis d’Amérique s’appelait Donald Trump ».]
Johan Hardoy
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