Historiquement, la tendance des États à vouloir unifier des nations ou des territoires sous une forme ou sous une autre, ou bien d’assurer un certain contrôle sur d’autres nations, d’autres États, ou d’autres territoires, a toujours mené à la guerre.
« La logique d’unification par le haut et par la civilisation est en revanche le modèle prôné par Moscou au sein de la grande réorganisation eurasiatique. Dans cette région du monde, la Russie est souvent le promoteur des coopérations qui se développent actuellement… »
Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale cette tendance n’a pourtant pas disparu, elle paraît en général plus apaisée, mais jamais la planète n’a connu autant de systèmes supranationaux, supra-étatiques. Leur objectif: unifier les régimes politiques, promouvoir un certain ordre global, permettre le commerce mais surtout tenter de structurer les interactions entre États.
C’est le résultat de l’évolution que connaît le monde actuel. La mondialisation a fait apparaître un nombre croissant de défis et de menace qui dépassent les cadres territoriaux nationaux ou même régionaux existants.
La démocratie originelle, locale et directe, fonctionnelle à petite échelle, a été remplacée par le développement de systèmes démocratiques ou péri-démocratiques dont on voit bien qu’ils ne semblent pas aptes à gouverner des groupes humains trop complexes ou trop vastes, ou encore des territoires trop étendus, que l’on pense à la Russie, à la Chine, à l’Inde ou même aux États-Unis.
Au sein du monde d’après 1945, la dynamique dite « démocratisante » s’est surtout concentrée dans l’hémisphère nord, dans le monde occidental, sous les bannières étoilées de l’Amérique et de l’Union européenne. Cette dynamique a en réalité surtout permis à un système économique, libre-échangiste, militaire et politique de déployer son modèle au sein d’un espace territorial qui a peu à peu aboli ses frontières: l’espace transatlantique.
Cette dynamique, propre aux empires en extension, se heurte actuellement à de profonds problèmes systémiques ne lui permettant visiblement plus de bénéficier d’une confiance suffisante de la part des populations qu’elle prétend intégrer. Les dérèglements économiques et le ralentissement de la croissance ont sans doute discrédité peu à peu la gouvernance supranationale d’un ensemble USA-UE de 900 millions d’habitants et de 14 millions de kilomètres carrés.
Cette crise de confiance met en lumière des insuffisances et traduit également une défaillance profonde du modèle.
L’économisme, le commerce et la démocratie libérale ne sont sans doute pas suffisants pour souder des populations, surtout en période de crise. L’unité profonde et sincère entre nations européennes semble ne pouvoir se réaliser que par un pacte entre ces nations, et seulement entre elles, par un pacte sur des bases d’abord politiques, diplomatiques et civilisationnelles. En clair, l’inverse de ce que l’UE a construit en misant tout sur l’économie et le commerce. C’est cette unité purement économique et monétaire qui a engendré des relations conflictuelles profondes entre Berlin et Athènes par exemple, et a surtout servi à déconstruire l’Europe en tant qu’ensemble civilisationnel.
La logique d’unification par le haut et par la civilisation est en revanche le modèle prôné par Moscou au sein de la grande réorganisation eurasiatique. Dans cette région du monde, la Russie est souvent le promoteur des coopérations qui se développent actuellement, et on observe que les projets de partenariat qui progressent donnent la priorité à la combinaison de coopérations bilatérales, ne visant pas la constitution d’ensembles centralisés et hiérarchisés comme l’OTAN, ou au détriment des souverainetés nationales comme l’UE.
Plus localement, dans la gestion de son étranger proche, la Russie n’essaie pas de concurrencer l’Occident sur la qualité du modèle économique, puisque le niveau de vie en Europe de l’ouest reste largement supérieur à celui de l’Eurasie.
C’est l’idée civilisationnelle qui a pris le dessus, axant le regroupement des intérêts des États autour des similitudes sociétales et politiques et du modèle commun de civilisation qui existe au sein d’un ensemble transcontinental élargi. Cette idée de civilisation commune permet de surmonter la frontière, dont l’autorité au sein de l’ancien monde soviétique n’est visiblement pas affirmée, ni au cœur de l’Eurasie, ni sur les périphéries russes.
Elle confirme également le concept clef d’État-civilisation prôné de longue date par les élites russes.
Le Président kirghize Almazbek Atambaev a par exemple récemment confirmé que l’Europe devrait s’étendre à Bichkek, mais que la voie vers l’Europe passait par Moscou.
Peut-on imaginer à l’avenir, au sein d’un monde sans Union européenne, que ce soient les nations européennes qui se rapprochent de l’Eurasie, via Moscou?
Alexandre Latsa
Source : fr.sputniknews.com
09/04/2015
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