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« Véridique histoire des Oustachis » de Christophe Dolbeau

« Véridique histoire des Oustachis » de Christophe Dolbeau
« Véridique histoire des Oustachis » de Christophe Dolbeau

Camille Galic, journaliste, écrivain.

♦ Soixante-dix ans après la disparition de l’Etat oustachi, la Croatie reste stigmatisée par les crimes imputés au régime d’Ante Pavelić. Mais qu’en est-il réellement ? Au terme de lustres de recherches, Christophe Dolbeau propose la Véridique Histoire des Oustachis, fort éloignée de la légende noire.


Ecœurés par les boucheries de la Première Guerre mondiale et les horreurs de la Seconde – tout aussi suicidaire –, beaucoup d’Européens rêvèrent longtemps d’une Union fédérale où jadis séparés par des intérêts qui leur étaient étrangers, les frères issus de races voisines et héritiers d’une même civilisation se retrouveraient rassemblés, toutes frontières abattues : idéal légitime que cette construction d’une Europe-puissance face, d’une part, au totalitarisme soviétique et, d’autre part, au rouleau compresseur états-unien… ou naïve utopie ?

Sans même remonter à la Guerre de Sécession (1), l’époque contemporaine, en effet, n’a guère été favorable aux fédérations et le « divorce de velours » entre la République tchèque et la Slovaquie fait figure d’exception. Car l’éclatement du Raj britannique à peine promu à l’indépendance entre l’Inde et le Pakistan, puis l’éclatement de ce dernier avec la création du Bangladesh donnèrent lieu à des massacres débouchant sur des guerres sanglantes. De même l’implosion de la Yougoslavie pendant la dernière décennie du XXe siècle donna-t-elle le branle à une série de cruels conflits, envenimés encore par les interventions étrangères.

Cette implosion avait des causes économiques – le refus des « régions actives » (Slovénie et Croatie) de continuer à financer à leur détriment les « régions passives » (la Macédoine, le Monténégro, la Bosnie-Herzégovine et dans une certaine mesure la Serbie) mais prédominant dans le désir des Républiques fédératives d’accéder à la souveraineté était le joug que Belgrade faisait peser sur elles.

Marseille 1934 : assassinat ou tyrannicide ?

C’est ce même et insupportable joug qui avait conduit dès la fin des années Vingt à la fondation du mouvement oustachi ou insurgent après que le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, créé le 1er décembre 1918 et à l’origine constitutionnel, eut connu sous la poigne d’Alexandre Ier Karageorgevitch une dérive si autoritaire qu’en juin 1928 un député monténégrin à la solde de Belgrade fit assassiner en plein Parlement fédéral Stjepan Radić, fondateur du Parti paysan croate républicain et chef de l’opposition croate.

Dès lors, la guerre était déclarée entre les nationalistes croates – très majoritairement catholiques – et le nouveau Royaume de Yougoslavie instauré en 1929, à dominante orthodoxe… et, dans les hautes sphères, maçonnique. Les attentats allaient se multiplier, aussi bien en Serbie qu’à l’étranger, le plus connu étant l’assassinat, le 9 octobre 1934, du roi Alexandre en visite officielle à Marseille et de dix victimes collatérales, dont le ministre des Affaires étrangères français Louis Barthou, par un Bulgare de l’ORIM lié à l’Oustacha.

On peut estimer que Christophe Dolbeau pousse le bouchon un peu loin quand il considère que « cet acte n’est pas un banal meurtre politique mais un “tyrannicide” que justifient amplement, aux yeux des Croates en tout cas, les excès sanglants commis sur l’ordre ou au nom du souverain » défunt. Mais beaucoup d’étrangers partagèrent alors ce point de vue, tels André Gide et Robert Schuman, le futur « père de l’Europe », horrifié par le pillage économique de la Croatie et la répression aveugle dont elle était victime.

Avocat, membre du Parti du Droit et marié à une femme de mère juive, rien, sinon son nationalisme, ne prédisposait apparemment Ante Pavelić (1889-1959) à fonder le mouvement oustachi puis à en devenir le Poglavnik (le dirigeant) après l’entrée des forces de l’Axe en Yougoslavie le 6 avril 1941 et la transformation de la Croatie en un royaume nominalement dévolu à Aymon de Savoie, duc de Spolète puis duc d’Aoste, cousin du roi d’Italie Victor-Emmanuel III, qui n’y mit jamais les pieds.

Jasenovac, un super-Auschwitz balkanique ?

En Serbie, la guerre civile fait rage entre Tchetniks royalistes et partisans communistes, mais ces deux forces antagonistes font aussi des ravages en Croatie en trouvant des points d’appui notamment dans la Lika où, fuyant les Ottomans, s’était jadis installée une importante communauté serbe. Sur ces terres où des populations opposées par l’histoire et la religion sont étroitement imbriquées, où la séculaire emprise turque a laissé un héritage de férocité, les affrontements atteignent un degré inégalé de cruauté. L’Etat oustachi, qui englobe la Bosnie-Herzégovine, surpasse-t-il ses adversaires dans l’horreur, comme le soutient depuis la doxa titiste qui s’est imposée en Occident, confortée par les récits terrifiants d’écrivains tels l’Italien Curzio Malaparte, le judéo-bosniaque Mosha Pijade ou les Monténégrins Milovan Djilas et Miodrag Bulatović ?

Pour l’historien engagé – d’aucuns diront révisionniste – qu’est Christophe Dolbeau, spécialiste de cette région et de cette période (2), le régime du Poglavnik n’a fait que riposter, avec les armes dont il disposait. « Cet animal est très méchant. Quand on l’attaque il se défend », a rimé notre bon La Fontaine, et c’était exactement la situation de l’Etat croate qui, « dès sa naissance », a « fait l’objet de terribles attaques terroristes de la part des Tchetniks puis des partisans communistes. Une guerre atroce, faite de coups de main, de massacres et de représailles, s’instaure, et la violence aveugle s’empare du pays tout entier ». Mais, ajoute-t-il, Mgr Stepinac, archevêque de Zagreb, « demeure intransigeant sur les principes, n’hésitant pas, malgré les menaces, à rappeler aux belligérants et notamment à ceux qui se réclament du catholicisme, qu’il est des actes qui offensent Dieu ». Ainsi s’oppose-t-il au « contrôle des conversions par les autorités civiles ou militaires ».

En ce qui concerne les lois raciales, les hiérarques du parti, dont beaucoup – legs de l’occupation austro-hongroise – avaient des attaches juives, les appliquèrent avec un zèle modéré et, aussi bien sur le sol national que sur le Front de l’Est où servirent 9.000 volontaires, l’armée croate n’eut « rien à se reprocher ».

Dans l’imaginaire collectif balkanique, le camp de Jasenovac est l’équivalent, encore aggravé, d’Auschwitz car, pendant les 122 jours de son fonctionnement, auraient disparu 68.000, voire 80.000 déportés juifs, tziganes et serbes. « Une efficacité criminelle aussi prodigieuse que peu crédible », s’étonne l’auteur dans son dernier chapitre intitulé « Trucages, oublis et élucubrations » – ce qui rappellera quelque chose à certains de nos amis. Il est difficile de croire, en effet, que le sous-officier oustachi Petar Brzica, dont le cas est encore aujourd’hui cité en exemple, « aurait, à l’aide d’une simple serpette et en l’espace d’une nuit, égorgé à lui seul 1360 détenus ».

1945 : le « démocide yougoslave »

Ce qui est en revanche avéré – bien que totalement ignoré en France malgré le livre passionnant de Bernard George paru en 1968 à la Table ronde sous le titre L’Occident joue et perd, étude qui, sauf erreur, ne figure pas dans la bibliographie du présent ouvrage –, c’est le bilan de ce que Ch. Dolbeau appelle le « démocide yougoslave » de Bleiburg.

Fin avril 1945, devant les menaces des généraux titistes de « réduire Zagreb en cendres », les autorités croates tentent de convaincre l’armée britannique d’accepter leur reddition et d’occuper le pays. Faute de réponse, Zagreb décide le 6 mai la retraite vers l’Autriche. Six cent mille personnes, Croates en majorité mais aussi Tchetniks serbes et monténégrins, ainsi que leurs familles, craignant les représailles des « hommes des bois » communistes, se mettent en route dans « l’espoir de se rendre aux avant-gardes du maréchal [anglais] Alexander ». Les Anglais font croire aux réfugiés qu’ils vont être évacués vers l’Italie. En réalité, ils sont attendus par les partisans, auxquels Churchill n’a rien à refuser. « En quelques semaines, la Styrie, la Carinthie et la Carniole [autrichiennes] se couvrent de charniers », ainsi que la montagneuse Slovénie dont les gouffres et les ravins deviennent de si gigantesques cimetières qu’un mois plus tard « le commandement communiste devra faire draguer certaines rivières afin de pouvoir continuer à alimenter Ljubljana en eau potable ». « Même les enfants n’échappent pas à cette folie meurtrière, comme en témoigne l’assassinat de 5.000 d’entre eux à la sucrerie d’Isora, près de Doboj. »

Selon le Committee for Investigation of the Bleiburg Tragedy sis à Cleveland, on a compté « 200 à 300.000 morts sur la frontière ». Des morts auxquels s’ajoutèrent celles – peut-être aussi nombreuses – des victimes des embastillements dans des camps « dont l’horreur n’a rien à envier, si l’on en croit les rapports de la Croix-Rouge, à celle des prisons nazies ou du Goulag soviétique », ainsi que des marches et travaux forcés organisés par les titistes pendant les deux années qui suivirent (3).

Un tel démocide était, paraît-il, « nécessaire pour que vive la Yougoslavie », selon Milovan Djilas, commissaire politique dans les rangs partisans et pour cela fait « Héros national de la Yougoslavie » – ce qui ne l’empêcha pas d’être ensuite lui-même incarcéré pour avoir critiqué l’illustre « maréchal-président » Josip Broz, dit Tito depuis les Brigades internationales en Espagne, où il avait sévi en qualité d’agent du Komintern.

En réalité, ce démocide était surtout inutile. Née dans le sang et la terreur, la République socialiste fédérative ne survécut à son mythique (4) fondateur qu’une dizaine d’années.

Camille Galic
2/12/2015

Christophe Dolbeau : Véridique Histoire des Oustachis, 420 pages, avec annexes, très copieuse bibliographie en français, anglais, allemand et croate, et illustrations. Editions Akribeia, www.akribeia.fr/. Chez le même éditeur, Ch. Dolbeau a publié l’été dernier un Petit Dictionnaire des résistances nationales à l’Est de l’Europe, 1917-1989, 408 pages grand format).

Notes :

(1) Voir Alain Sanders, Robert E. Lee :
(2) Parmi ses livres précédents : Ante Pavelic, La Croatie, sentinelle de l’Occident, Le Panserbisme, cancer yougoslave, Les Forces armées croates 1941-1945 et France-Croatie : Une vieille amitié (Atelier Fol’Fer).
(3) Tito s’occupera ensuite des Serbes soupçonnés de royalisme ou de nationalisme. Déportés en masse à Goli Otok, l’île nue, beaucoup succombèrent à l’épuisement, à la soif et à la faim.
(4) Mythique est le mot, beaucoup de Yougoslaves ayant douté de la biographie officielle de Josip Broz, présenté comme né dans le village croate de Kumrovec (dont les archives ont brûlé en 1945) et ouvrier serrurier de son état. Paradoxalement pianiste accompli, il s’exprimait, paraît-il, beaucoup mieux en allemand que dans sa supposée langue maternelle.

Correspondance Polémia – 2/12/2015

Image : Ante Pavelic passe en revue un détachement de la marine italienne à la Gare de Venise, le 14/06/1941.

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