Le débat sur les vaccins fait rage. Si de nombreuses personnes estiment que certains vaccins sont dangereux pour plusieurs raisons, certains pensent aussi que la vaccination – avec un vaccin sûr – est le seul moyen de sortir enfin de la spirale interminable des confinements à répétition. Et parmi les vaccins qui semblent efficaces à première vue, le vaccin russe, après avoir été moqué, est diabolisé par l’inénarrable Bernard-Henri Lévy ! Comme si tout ce que faisait la Russie de Poutine était sujet à polémique.
Polémia
Extraordinaire Bernard-Henri Lévy. Il a donné sur CNews une leçon de totalitarisme idéologique impeccable, en adjurant de refuser le vaccin russe pour défendre la cause d’Alexeï Navalny et de ses partisans. Au nom de l’idéologie des droits de l’homme, il ne faut donc pas hésiter à priver les hommes d’un vaccin qui peut sauver des vies. Périsse l’humanité plutôt que nos principes !
L’urgence n’est pas de commander des vaccins à #Poutine, mais de condamner la répression inouïe qui s’abat sur les libertés en #Russie et dont #Navalny est devenu le symbole. Il existe, aussi, une géopolitique des vaccins. Matinale du 5/02 sur @CNEWS #COVIDー19 @LaurenceFerrari pic.twitter.com/y06V15IEx9
— Bernard-Henri Lévy (@BHL) February 6, 2021
Le virage de l’Europe
Ainsi donc parlait BHL qui, pour éliminer Kadhafi, a poussé Nicolas Sarkozy et quelques autres à une guerre qui, depuis, fait le malheur du peuple libyen. Sa détestation des dictateurs – ou de ceux qu’il considère comme tels – passe avant tout.
Ce ne sera pas le cas heureusement de nos démocraties prêtes à tout pour se sauver du naufrage politique, variant du virus. Et c’est ainsi que de Berlin à Paris après Budapest, on a maintenant pour le vaccin de Poutine les yeux de Rodrigue pour Chimène. Quel virage ! Après l’humiliation britannique pour l’Europe en général et la France en particulier, voici l’humiliation russe.
Il faut tout de même se souvenir de l’ironie méprisante de nos sachants et de nos commentateurs médiatiques quand Poutine annonça, avant tout le monde, que son pays disposait d’un vaccin. Il était même plus en avance que Trump et Boris Johnson. Mais c’était impossible, de la simple propagande ! La presse comme L’Opinion remet les pendules à l’heure. « Quand on parle produit pharmaceutique, en ce moment, on a un peu trop tendance à ne voir les Russes que comme les empoisonneurs de Navalny, avec des substances manipulées dans des laboratoires datant de l’URSS. La réalité est donc tout autre et voici les Russes, tellement moqués jusqu’ici pour leur Spoutnik, en passe de nous aider à obtenir des doses de vaccins, et de savourer une petite vengeance à leur humiliation. »
Un vaccin qui, de plus, parait avoir des avantages. La revue médicale The Lancet établit à 91,6 % son efficacité contre le Covid-19, à peine en-dessous de Moderna (94,5%) et de Pfizer (95%), et nettement mieux qu’AstraZeneca (59,5%). Il est aussi peu moins cher — moins de dix dollars la dose selon le Fonds russe d’investissement direct, contre 19 dollars pour Pfizer — et plus facile à conserver — entre 2 et 8 degrés contre -70 degrés pour Pfizer.
En raison du cours de l’épidémie dans le pays, le gouvernement allemand se voit aussi contraint à l’efficacité. Si le nombre de contaminations baisse à nouveau outre-Rhin, l’Allemagne a connu plus de morts liés au Covid-19 depuis décembre que pendant toute la période entre mars et novembre 2020.
Ce n’est pas un hasard si le ministre-président de Bavière et le ministre de la Santé ont tous deux appelé l’UE à approuver le vaccin russe : « Markus Söder jouit toujours de la bonne gestion de la crise qu’on lui a attribuée [en Bavière lors de la première vague], et Jens Spahn est appelé à des postes plus importants », rappelle un chercheur. Les deux hommes sont en lice pour représenter les conservateurs à la chancellerie lors des élections fédérales, en septembre prochain.
L’exemple hongrois
Budapest avait donné l’exemple. 40 000 premières doses du Spoutnik anti-Covid sont arrivées le 2 février en Hongrie, dont le ministre des Affaires étrangères s’est réjoui sur son compte Facebook : « Les doses ont été transportées sans délai au Centre national de santé publique afin que les derniers tests nécessaires soient effectués avant que les Hongrois puissent les obtenir selon le calendrier de vaccination arrêté ».
Au total, ce sont deux millions de doses du Spoutnik V qui sont attendues d’ici trois mois dans ce pays de 9,7 millions d’habitants. Avec cette livraison, Budapest devient ainsi le premier pays de l’Union européenne à recevoir le fameux vaccin russe, pas encore homologué par l’Agence européenne du médicament.
« Nous avons été les premiers dans l’UE mais nous ne serons probablement pas les derniers », a insisté ce proche du Premier ministre Viktor Orbán, évoquant « les voix qui s’élèvent en Europe occidentale pour demander l’examen des vaccins russe et chinois ».
Le 29 janvier, les Hongrois ont d’ailleurs donné leur feu vert au vaccin chinois Sinopharm, précommandant cinq millions de doses.
Pour le Sinopharm subsiste en France une très forte réticence, soulignée par le président Macron lui-même, alors que celle sur le russe a cédé.
La France parait s’aligner sur le pragmatisme allemand. On ne s’en plaindra pas, n’en déplaise à BHL.
Pierre Boisguilbert
07/02/2021
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