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Une ONG anglo-saxonne anti-russe dans la guerre d’influence

Une ONG anglo-saxonne anti-russe dans la guerre d’influence

par | 3 avril 2025 | Géopolitique, Médiathèque

Une ONG anglo-saxonne anti-russe dans la guerre d’influence

Après s’être intéressé au rôle majeur joué par la pègre en Ukraine dans La guerre avant la guerre, Thierry Marignac revient au polar avec L’Interprète (Éditions Konfident, 230 pages, 19 euros), dans lequel une enquête criminelle dans les milieux russophones va révéler l’existence d’une ONG anglo-saxonne menant une guerre de l’information contre la Russie. Cet organe d’influence, qui existe réellement, est peu connu du grand public français bien qu’il ait fait l’objet d’un scandale politique au Royaume-Uni.

Le Havre du crime

Le personnage central du roman, qui exerce la profession de traducteur d’anglais et de russe et vit au Havre, est sollicité par la police judiciaire pour traduire une inscription en cyrillique figurant sur un poignard caucasien ayant servi à commettre un crime. « Et la blessure sera mortelle », est-il écrit en vieux slavon, une langue employée essentiellement dans les cérémonies religieuses orthodoxes.

La presse locale indique que le cadavre d’un homme non identifié au teint basané, âgé d’une quarantaine d’années, a été retrouvé à côté d’un bar à entraîneuses situé près du port. La victime avait généreusement offert des verres à la cantonade, en payant en livres sterling puis en dollars, tout en s’exprimant avec un accent indéfini dans un anglais tour à tour sophistiqué et familier.

Les policiers proposent au traducteur de l’associer à l’enquête en tant qu’expert de la culture russophone. Les investigations font apparaître que la lame du couteau est vieille d’au moins deux siècles. Le manche d’origine, retrouvé chez un coutelier de la région, révèle une nouvelle inscription qui complète la première : « Comme le fil de l’acier sanglant. »

La victime, finalement identifiée, est un citoyen russe d’origine ingouche qui a été incarcéré dans son pays suite à des soupçons de participation à des troubles au Daghestan.

Par chance pour les enquêteurs, le fourreau de l’arme, incrusté de pierreries et damasquiné d’or, est signalé à l’occasion d’une vente à l’Hôtel Drouot. Le vendeur est un collectionneur géorgien résidant à Londres et que l’interprète avait déjà croisé lors d’un vernissage dans la capitale britannique, où il avait appris que l’intéressé était anciennement lié à la pègre de Tbilissi.

Un influent Institut anti-russe

L’interprète travaille désormais pour un artiste russe qui réside également au Havre et dont le collaborateur a été initialement suspecté du meurtre. Les policiers chargés de l’enquête lui ont conseillé d’accepter cette collaboration en vue de recueillir d’éventuelles informations.
Son nouvel employeur le conduit dans une scierie abandonnée en Écosse pour lui parler d’une ONG, Integrity Initiative : defending democracy against disinformation. Il s’agit d’une adresse fictive permettant de bénéficier d’avantages fiscaux propres à cette nation.

En réalité, cette ONG travaille en partenariat avec des laboratoires d’idées néo-conservateurs en vue de créer des foyers de contre-propagande anti-russes, y compris dans les pays européens.
Étroitement liée aux services secrets britanniques, cet organisme a été à l’origine d’un scandale national en Grande-Bretagne quand un leader de l’opposition travailliste a été faussement présenté comme un agent russe.

L’artiste russe lui présente également une page programmatique d’Integrity Initiative, publiée à l’origine par la commission d’enquête parlementaire puis diffusé par un groupe d’universitaires de gauche de Cambridge. Ce document mentionne que l’ONG a été créée en 2015 par l’Institute for Statecraft [Institut pour l’habileté politique], avec la coopération de l’Université Libre de Bruxelles, « pour attirer l’attention des politiciens, administrateurs, leaders de l’opinion et autres parties intéressées sur la menace que fait peser la Russie sur les institutions démocratiques au Royaume-Uni, dans toute l’Europe et en Amérique du Nord ».

L’existence de la scierie abandonnée a été rendue publique par une enquête du Daily Mail survenue après les révélations des universitaires de Cambridge.
La lecture attentive du document révèle à l’interprète une information surprenante concernant l’Ingouche assassiné, mais la suite de ce roman au rythme endiablé ne sera pas divulgâchée…

Une ingérence politique en Europe

En 2019, le World Socialist Web Site du Comité international de la IVe Internationale, d’obédience trotskyste, a détaillé les activités de l’Institute for Statecraft et son projet Integrity Initiative, créés respectivement en 2006 et 2015, en le présentant comme « un réseau de propagande secret lié aux services de renseignement britanniques ». Des responsables militaires et des services de renseignement, des journalistes et des universitaires en étaient membres.

« Leur rôle secret dans la promotion de fausses nouvelles et de la désinformation n’a été révélé qu’en 2018 par le groupe de piratage informatique Anonymus. » Ce dernier a publié un document mentionnant l’existence de fonds importants provenant du Bureau des Affaires étrangères du Commonwealth, de l’OTAN, du Département d’État américain, de la fondation néo-conservatrice Smith Richardson et de Facebook.

Avant même l’affaire, survenue en 2018 à Salisbury, de l’empoisonnement au Novitchok de l’agent double russe Sergueï Skripal et de sa fille, attribué par le gouvernement britannique à la Russie, des documents indiquaient que des généraux cherchaient à faire pression sur leur gouvernement pour que le Royaume-Uni se prépare à un conflit militaire majeur contre un ennemi lourdement armé, désignant ainsi tout particulièrement la Russie.

Après l’affaire Skripal, Integrity Initiative a proposé l’instauration de mesures autoritaires telles que l’interdiction des chaînes d’informations russes et la mise en œuvre d’un « barrage de propagande » par le biais de médias institutionnels, de médias sociaux et de la collaboration de spécialistes qualifiés comme ceux de l’Institute for Statecraft.

En décembre 2018, le quotidien La Croix a consacré un article à cet institut, présenté comme « le bras armé du Royaume-Uni dans la lutte d’influence avec la Russie » en vue de « contrer la désinformation russe ».

Au Royaume-Uni, le parti travailliste [alors dans l’opposition] a émis de vives critiques contre cette ONG après avoir été visé par une campagne de dénigrement sur les réseaux sociaux. Son dirigeant, Jeremy Corbin, était notamment qualifié « d’idiot utile » de Vladimir Poutine.
La mise en œuvre de cette opération calomnieuse à l’égard du leader de l’opposition était ainsi réalisée par un institut recevant des financements considérables en provenance des ministères britanniques des Affaires étrangères et de la Défense.
Par ailleurs, 115 documents récupérés sur le serveur d’Integrity Initiative par les Anonymous ont fait apparaître un soutien financier et opérationnel de la part de l’OTAN et l’existence d’un réseau étoffé de correspondants en Europe, notamment en Espagne, en Italie et dans les pays scandinaves.
Dans notre pays, considéré comme « stratégique », la branche française était dirigée par Anne-Marie Goussard, consul honoraire de Lituanie. Natalie Nougayrede, une ancienne directrice du Monde devenue éditorialiste pour le quotidien britannique The Guardian, apparaissait également dans cette structure.
Selon le député travailliste Chris Williamson, le gouvernement britannique était, du fait du financement gouvernemental de l’Institut, impliqué en matière d’ingérence dans la politique intérieure d’autres démocraties.

***

La propagande, la manipulation et la désinformation, confiées ici aux bons soins d’une ONG, ne sont évidemment pas l’apanage d’un seul camp et ne datent pas d’aujourd’hui.

Dans le Voyage, Céline se souvient de l’époque du Premier conflit mondial : « On mentait avec rage au-delà de l’imaginaire, bien au-delà du ridicule et de l’absurde, dans les journaux, sur les affiches, à pied, à cheval, en voiture. Tout le monde s’y était mis. C’est à qui mentirait plus énormément que l’autre. Bientôt, il n’y eut plus de vérité dans la ville. »

Il ajoute plus loin : « Mais je me méfiais des impressions à présent. On m’avait possédé une fois à l’impression, on ne m’aurait plus au boniment. Personne. »

Johan Hardoy
03/04/2025

Johan Hardoy

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