Par Eric Delcroix, juriste, essayiste et écrivain, auteur de Droit, conscience et sentiments ♦ Ce samedi 18 novembre,Polémia organise son IX e Forum de la dissidence (s’y inscrire : https://my.weezevent.com/9eme-forum-dissidence). Le thème : « Gouvernement des juges : quel bilan, quelle légitimité ? » Nous republions à cette occasion ce texte d’Eric Delcroix, initialement paru en mars 2021.
Régis de Castelnau, qui a été avocat du Parti communiste et de la CGT, vient de publier un excellent ouvrage intitulé Une Justice politique. Toute personne qui prétend s’intéresser, en France, à la chose publique se doit de le lire. L’objet de l’ouvrage n’est pas le délit d’opinion, au titre duquel (dernier en date) l’essayiste Hervé Ryssen est embastillé à Fleury-Mérogis, dans le silence feutré de la bien-pensance, mais l’utilisation partiale de la justice pour peser sur le fonctionnement des institutions d’État.
Au nom du mythe pervers de l’État de droit, sur trois décennies, nos législateurs, stupides voire masochistes, ont constitué des chausse-trappe pour rendre la vie publique périlleuse. Ainsi les occasions de faire intervenir le juge se sont multipliées : financement des partis, cour de justice de la République, question prioritaire de constitutionnalité, etc.
Aussi l’auteur peut-il écrire : « L’indépendance de la justice vis-à-vis des deux autres pouvoirs séparés, exécutif et législatif, était à son détriment, plus que relative. Mais se sont déroulés dans notre pays au début du XXIe siècle toute une série d’événements qui ont vu le corps des magistrats soutenu par la presse mener un combat d’émancipation qui a pris la voie d’un affrontement politique » (page 17). Rappelons que, pour la Constitution, la justice est une « autorité » et non un « pouvoir »…
Coup d’État judiciaire contre François Fillion
En bonne place ce que Castelnau décrit comme le ralliement spontané de la magistrature à la cause d’Emmanuel Macron. Les institutions judiciaires ont ainsi été utilisées par des magistrats, grâce au Parquet national financier (PNF) inventé par François Hollande, pour éliminer François Fillion de la course à la présidentielle, ouvrant ainsi les porte de l’Élysée au jeune parvenu. Sous la direction d’Éliane Houlette, qui reconnaîtra devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale les interventions du pouvoir politique, ce parquet, qui était destiné aux affaires territorialement complexes (cf. comptes à l’étranger de Cahuzac) s’est saisi contre le candidat donné favori à l’élection présidentielle de 2017. Et ce, au vu d’un simple article de presse publié opportunément le matin même, et non pas sur un signalement ou une plainte, sachant qu’au surplus il s’agissait d’une affaire simple, puisque s’étant déroulée par hypothèse entre Paris (France) et la Sarthe (France – même si madame Fillion est Anglaise !). Mais surtout la célérité avec laquelle l’enquête a été menée est, de mémoire d’avocat, sans exemple : un véritable « raid judiciaire » en effet. Quant au caractère secret de l’enquête préliminaire, il a été systématiquement violé d’un bout à l’autre, toujours sans investigations sérieuses contre les auteurs de ces fuites délictuelles. Pour Régis de Castelnau, ce fut un coup d’État, certes formellement légal, mais foncièrement un coup d’État. Et on ne peut que lui donner raison.
A l’approche de la prochaine échéance présidentielle l’auteur nous met en garde contre les initiatives judiciaires intempestives qui pourraient être entreprises contre ceux qui pourraient gêner la réélection du Président…
Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et la ronde des parquets
Après l’acharnement judiciaire sans fin contre Nicolas Sarkozy, d’autres affaires plus récentes, apparaissent préoccupantes. Telles les poursuites contre Marine Le Pen, pour avoir publié des photos de victimes de l’État islamique, susceptibles d’avoir été vues par des « mineurs », l’enquête étant bien sûr lancée pendant la campagne présidentielle. On osera, même demander une expertise psychiatrique, prévue pour les détraqués sexuels qui s’en prennent aux enfants ! Et que dire de la procédure contre Jean-Luc Mélenchon dans l’affaire de la perquisition des locaux de sa permanence et de son parti ? Deux des cas relevés par Régis de Castelnau.
Pour ma part, je formulerais une remarque quand à la façon de voir les choses dans l’affaire Mélenchon. La presse s’est gaussée de la véhémence de Mélenchon vis-à-vis des policiers, en invoquant le caractère « sacré » de sa personne. La presse avait tort, car la personne d’un député est effectivement une part de « la République » . Malheureusement le Chef des Insoumis s’est dégonflé devant le tribunal correctionnel ; attrait devant le Tribunal pour avoir fait bobo au psychisme délicat des policiers, au lieu de se faire l’accusateur tonitruant qu’il aurait dû continuer d’être, il s’est excusé piteusement. Il avait pourtant raison : une telle perquisition chez un parlementaire et au siège d’un parti constitue une inadmissible violation de la séparation des pouvoir. Que dirait-on si une commission parlementaire, voulant s’assurer du bon fonctionnement de la justice, allait examiner les dossiers d’un juge d’instruction ? Mais Jean-Luc Mélenchon, qui se riait des malheurs des autres politiciens, n’a pas été à la hauteur. Grande gueule, petit plaideur : n’est pas la République qui veut.
Vengeance du Château ? Le Parquet national financier ira persécuter Gérard Colomb, après son départ du gouvernement, avec perquisition traumatisante à domicile, pour une obscure affaire ancienne d’embauche d’une ex-compagne à la mairie du 1er arrondissement de Lyon (France). D’où le propos de Castelnau : « Le PNF avait été créé pour les affaire financières complexes, on put constater avec cette saisine qu’il était également compétent pour les histoires de cornecul et les secrets d’alcôve. » (p. 454). Et ce pour le plus grand profit de David Kimfeld, concurrent de Colomb, estampillé En Marche…
Mais il a eu aussi les perquisitions contre des ministres en exercice, y compris à leur domicile privé, semonce de la magistrature « en même temps », selon Régis de Castelnau, pour rappeler à Emmanuel Macron un impératif que l’auteur résume par la formule : « Qui t’a fait roi ? » (page 553). La justice ne le soutient que comme représentant conforme d’un certain « ordre social ».
Quelques mesures nécessaire et urgente pour la restauration du pouvoir
Pour l’auteur les réformes à faire pour remédier à cette dérive sont :
- Dissolution du Parquet national financier ;
- Séparation radicale de la magistrature assise et du Parquet ;
- Suppression du syndicalisme dans la magistrature ;
- Encadrement du pantouflage politique (détachement dans des ministères) ;
- Responsabilité des magistrats dans l’accomplissement de leur mission.
Je ne peux qu’approuver les quatre premières, je suis beaucoup réservé sur la dernière, du moins quant aux magistrats du siège. S’ils avaient été personnellement responsables dans des affaires délicates idéologiquement que j’ai connues comme avocat, ils ne m’auraient jamais accordé certaines décisions révulsant le Système.
Un mot encore, quant au syndicalisme dans la magistrature, qui m’a toujours choqué, spécialement pour les magistrats du siège. La fonction des magistrats est par nature une fonction aristocratique. Il est admirable de voir que certains d’entre-eux, tout revendiquant paradoxalement leur indépendance, puissent se syndiquer, c’est à dire se comporter comme des employés.
Eric Delcroix
14/11/2023 – Publication initiale le 02/03/2021
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