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Une guerre oubliée dans le dernier bastion soviétique : « La Neuvième cible »

Une guerre oubliée dans le dernier bastion soviétique : « La Neuvième cible »

par | 21 mars 2022 | Géopolitique, Société

Une guerre oubliée dans le dernier bastion soviétique : « La Neuvième cible »

Par Johan Hardoy ♦ Alors que l’actualité est évidemment marquée par l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Johan Hardoy évoque La Neuvième cible, un roman paru récemment qui revient sur une autre guerre dans laquelle la Russie a joué un rôle. Pavel Kreniev, l’auteur de cet ouvrage étant un ancien du FSB, service de renseignement russe, il est certain que cette Neuvième cible n’est pas nécessairement impartiale, mais le clin d’œil historique et littéraire est intéressant.
Polémia

 

Il y a trente ans, lors de la dislocation de l’URSS, une lutte armée opposait les forces pro-russes de Transnistrie à celles de leur voisin moldave pro-roumain.
Pavel Kreniev, qui s’est inspiré de faits véridiques pour rappeler le contexte géopolitique de cette guerre méconnue, est vice-président du conseil d’administration de l’Union des écrivains de Russie et ancien général-major du FSB, le principal successeur du KGB.
Son récit est agréablement servi par la qualité de la traduction du romancier Thierry Marignac, fin connaisseur de la Russie et de l’Ukraine réelles.

Un république sécessionniste post-soviétique

La République moldave du Dniestr ou Transnistrie compte à peine plus de 500 000 habitants qui vivent sur un territoire situé entre la Moldavie et l’Ukraine, dont la superficie toute en longueur est comparable à celle d’un département français. Bien qu’ayant rompu avec le communisme du point de vue économique, cet État présente la particularité d’avoir conservé les symboles soviétiques.

En 1992, après la fin de l’Union soviétique, cette république a proclamé son indépendance de la Moldavie qui venait elle-même d’être indépendante de l’URSS. L’ONU n’a toujours pas reconnu cette sécession et considère qu’il s’agit d’une région autonome de la Moldavie.
Deux ans plus tôt, la volonté des autorités moldaves d’imposer le roumain comme seule langue officielle, dans la perspective d’une réunification avec la Roumanie, avait déjà généré des tensions dans les rues puis des affrontements entre les forces gouvernementales et des milices russophones appuyées par Moscou.
En décembre 1991, un référendum a approuvé l’indépendance de cette république pro-russe et les combats ont repris quelques mois plus tard, suivis de négociations entre les gouvernements moldave et russe, Moscou déclarant rester neutre en échange de la reconnaissance d’un statut d’autonomie.

Un enjeu géopolitique entre l’Occident et la Russie

Selon Pavel Kreniev, les affrontements survenus en Transnistrie découlent de la volonté de l’Occident, dominé par les États-Unis, de créer un monde unipolaire en démembrant leur ancien adversaire à l’issue de la Guerre froide.

Ce projet a été facilité par la trahison de Boris Eltsine, « un homme qui conduisait les affaires non dans l’intérêt de la Russie, mais au profit de ses patrons américains ».

Ainsi, le Président russe n’a pas donné l’ordre d’intervenir à la 14ème armée stationnée en Transnistrie alors que la Moldavie avait rompu le traité d’armistice de 1992 en pilonnant les secteurs cruciaux de la petite république puis en lançant une grande offensive impliquant 8 000 hommes. C’est un officier d’état-major russe qui a pris la décision de sortir des tanks et des blindés pour repousser les forces moldaves, ces dernières étant finalement défaites après l’intervention d’un bataillon de parachutistes venu de Moscou et commandé par le général Alexandre Lebed.

Terroriser les populations via des snipers

Le récit se situe donc en 1992 à Tiraspol, capitale de la Transnistrie, où des tireurs d’élite prennent pour cible des civils. L’auteur les dépeint comme des mercenaires à la solde des services secrets roumains.

Un tireur d’élite russe, Nikolaï Gaïdamakov, est envoyé par Moscou avec pour mission « d’éteindre » ces snipers. Arrivé sur place, il se glisse dans la peau de ses proies en observant méthodiquement leurs terrains d’action et en étudiant les angles de tirs utilisés afin d’en localiser l’origine.
Son premier ennemi, qu’il désigne intérieurement sous le nom de « Roumain », agit toujours entre le crépuscule et l’aube pour ne pas se faire repérer, se révèle capable de toucher sa cible avec précision à une distance de trois cents mètres et se sert très probablement d’appareils d’écoute d’une portée de deux cents mètres.
Cette « liquidation » est donc périlleuse. Tout en se camouflant, Nikolaï doit attendre longuement que l’objectif se signale dans les endroits où il est susceptible de se cacher, puis l’atteindre immédiatement au premier signe de présence pour ne pas être tué.
Ce sniper reste cependant insaisissable alors qu’un habitant est encore tué dans la ville. Furieuse, sa hiérarchie fixe au tireur russe un délai de deux jours pour éliminer son ennemi.

L’idée de Nikolaï consiste à créer un leurre, en collaboration avec un lieutenant, de façon à amener le tireur à se découvrir. À la fin de la nuit, il remarque des branches qui bougent légèrement sur une rive, puis discerne enfin une lunette de visée ! Immédiatement, une balle atteint le « Roumain » entre les deux yeux.
Le massacre se poursuit cependant car un véritable tueur en série opère dans la ville, ce qui entraîne à nouveau une grosse pression hiérarchique sur Nikolaï qui demande de l’aide pour recueillir des informations utiles auprès des habitants. Surprise, le tireur se révèle être une femme !
L’intéressée est une mercenaire balte payée par les services secrets roumains pour discréditer les autorités de la République auprès de leur population. Une dernière opération très importante lui est confiée avant son retour chez elle.
Un autre sniper, fait prisonnier, reconnaît être un Moldave membre des forces spéciales roumaines dont la mission consiste à tuer le maximum de personnes afin de créer un climat de panique en Transnistrie. Il évoque également un vague projet d’assassinat d’un général russe.

Outre cette capture, Nikolaï « éteint » ainsi huit tireurs, mais sa hiérarchie le tance parce que la femme tueuse, qu’il n’a pas réussi à éliminer, pourrait tenter d’assassiner un général qui serait, selon toute vraisemblance, Alexandre Lebed lui-même. En effet, sa mort violente compromettrait le processus de règlement du conflit et pourrait, in fine, aboutir au rapprochement et même au rattachement de la Moldavie à la Roumanie.

Le tireur russe va donc traquer sa neuvième cible… Une chasse à la femme particulièrement ardue et dont la fin sera tragique.

En guise de postface

La Transnistrie, dont beaucoup de ressortissants possèdent des passeports russes ou ukrainiens, n’est pas, à ce jour, impliquée dans l’actuel conflit en Ukraine malgré la présence de plusieurs milliers de soldats russes stationnés en permanence sur son territoire. À la mi-mars 2022, la Présidente moldave a appelé la Russie à retirer ses troupes.

Affaire à suivre, car Tiraspol n’est située qu’à une centaine de kilomètres d’Odessa…

Johan Hardoy
21/03/2022

Johan Hardoy

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