Par Michel Geoffroy, auteur de La Super-classe mondiale contre les peuples et La Nouvelle guerre des mondes ♦ Le roman que vient de publier Thomas Clavel, Un traître mot[1], aux éditions La Nouvelle Librairie, ne laisse pas indifférent. Mieux, il trouble le lecteur et, surtout, il donne à penser. Ce qui est particulièrement dangereux, de nos jours, pour les gardiens du politiquement correct ! Il s’agit certes d’un roman de fiction, qui décrit une France où le langage est soumis à un contrôle policier permanent, au nom du « vivre ensemble » et où l’on punit plus sévèrement les crimes de langue que les crimes de sang.
Mais, finalement, s’agit-il d’une fiction ou d’une description du nouveau totalitarisme qui s’installe partout en Europe occidentale, et notamment en France, sous prétexte de bannir toute discrimination ?
Une phrase fatidique
Avec Un traître mot, Thomas Clavel, professeur de français et chroniqueur à Causeur et à Boulevard Voltaire, nous entraîne d’abord dans la descente aux enfers de son héros, Maxence, jeune professeur de littérature à l’université.
Excédé d’avoir été piégé par une télévendeuse peu scrupuleuse, qui lui a vendu contre son gré un « pack découverte » inutile, Maxence laisse échapper au téléphone une phrase qui va peser lourd dans son existence jusque-là bien tranquille : « On se plaint des Roms qui nous font les poches dans le métro à l’heure de pointe, mais alors, vous, c’est encore pire[2] ! »
À partir de cet instant fatidique, la machine répressive instaurée par la loi AVE (loi d’application du vivre ensemble) se met en branle. Cette loi récompense (c’est la « récompense civique » !) notamment les dénonciateurs des propos politiquement incorrects, ce qu’a donc fait la télévendeuse.
Cela vaut d’abord une amende de 456 euros à Maxence, pour « préjugé racial à caractère romophobe », prélevée automatiquement sur son compte bancaire, car le Trésor public s’est modernisé… Puis il se trouve convoqué au commissariat de police pour complément d’enquête.
Devant la 4e chambre correctionnelle
En effet, le héros avait écrit, deux ans plutôt, un article littéraire intitulé « Renaud Camus ou la poétique du journal » : le voilà incriminé pour « diffusion de contenu à caractère raciste » puisque ayant trait à l’inventeur de la formule « le grand remplacement ».
Pire, une de ses élèves, d’origine africaine, l’accuse de l’avoir discriminée en notant mal un de ses devoirs : le voici coupable de « négrophobie et de sexisme ».
Au total, Maxence se trouve passible de deux à quatre ans de prison pour « oppressisme [sic] dans l’exercice de fonctions enseignantes, romophobie caractérisée et diffusion de contenu idéologique à caractère xénophobe sur les réseaux sociaux ».
Et, comme en matière de délit textuel, il faut faire prompte justice, Maxence se retrouve devant le tribunal, 4e chambre correctionnelle, une semaine après !
Justice expéditive pour les délinquants textuels
L’audience va d’autant plus mal se passer que Maxence commet l’erreur d’affirmer qu’il traitait également tous ses élèves. Le procureur lui rétorque alors que, s’agissant des élèves d’origine africaine, leur « discrimination millénaire devait au contraire faire l’objet d’une réparation substantielle[3] ».
Et comme il n’y a pas de voies de recours en cas de viol de la loi AVE, voici donc Maxence condamné à deux ans de détention avec mandat de dépôt et versement d’une indemnisation de 4 000 euros au profit de l’élève plaignante.
Direction la maison d’arrêt de Villepinte ! Où Maxence va endosser la tenue sépia spécifique aux pénitents, qui les distingue des autres détenus pour lesquels le règlement est plus souple, puisque l’on punit désormais avant tout les mots, et de moins en moins les actes.
La prison des pénitents
Maxence va supporter les séances hebdomadaires de rééducation sémantique, auxquelles se mêlent des enfants des écoles car « la connaissance des mots interdits et autorisés […] était désormais considérée comme le cœur nucléaire des nouveaux programmes et faisait l’objet d’une formation rigoureuse auprès des enseignants admis aux concours[4] ».
Nature, homme, frontière, race, sexe, blanc, dioxyde, voiture, religion : on passe en revue toutes les semaines les méchants mots qu’on ne doit plus prononcer ni même concevoir !
Et malheur au pénitent récalcitrant ou ironique : il peut se voir infliger, outre un allongement de peine décidé par l’éducateur, des séances dites de « salle de lecture » : en fait une torture psychique où l’on enferme le pénitent dans une cellule capitonnée pendant qu’un haut-parleur hurle en permanence les slogans du vivre ensemble !
Mais en prison Maxence va aussi découvrir qu’il n’est plus seul, car les maisons d’arrêt regorgent désormais de mauvais parleurs, la cible prioritaire des juges du vivre ensemble.
Et, progressivement, le héros de Thomas Clavel va élaborer une stratégie pour échapper au conditionnement et permettre aux pénitents de retrouver la maîtrise de leurs mots. C’est la seconde partie du roman qu’on ne dévoilera pas ici.
Le monde de Maxence est déjà le nôtre
Le roman Un traître mot fait froid dans le dos car le monde qu’il décrit est déjà presque le nôtre.
Un monde où seuls comptent les mots que l’on prononce, où les mots prennent le pas sur les actes, où les politiques communiquent d’autant plus qu’ils ne peuvent plus rien faire, où les seuls affrontements politiques ne sont plus que linguistiques[5], où tout le monde se trouve terrorisé par un appareil répressif aux mains des minorités agissantes et de plus en plus agressives.
Un monde aussi où l’on souffre de nausée linguistique, parce que le langage officiel, celui des politiques, des cultureux ou des médias ne veut plus rien dire.
Un monde enfin où la passion idéologique et le sectarisme détruisent l’université et le savoir. L’histoire de Maxence s’entrelace d’ailleurs, dans le roman, avec celle d’Antoine Karam, président d’université à Beyrouth, confronté aux progrès de l’islamisme, qui dresse à son tour la liste des mots « défendus aux non-musulmans[6] ».
Un appel à la résistance
Alors qu’Orwell dénonçait l’appauvrissement du langage que provoquait la novlangue, Thomas Clavel souligne un travers inverse : la création continue de nouveaux mots et de nouvelles expressions alambiquées pour nous empêcher de parler. Pour nous empêcher de voir et de décrire le monde tel qu’il est.
Mais son roman est aussi une belle incitation à la résistance : reprendre la maîtrise de ses mots, c’est-à-dire de la langue de sa culture, c’est aussi devenir ce que l’on est.
À la fin du roman, Maxence « s’enferma chez lui à double tour » : une conclusion ambiguë, qui doit conduire le lecteur à la réflexion.
Maxence veut-il fuir le monde qu’il avait affronté, ou rentrer en lui-même pour se ressourcer ? S’enferme-t-il pour ne plus être confisqué par les mots et les bruits du Système ? Pour retrouver les vertus du silence propice à la pensée créatrice ?
« La solitude est une tempête de silence qui arrache toutes nos branches mortes[7] », écrit Thomas Clavel citant Gibran Khalil Gibran.
Il est grand temps, à notre tour, de faire tomber les branches et les mots morts du Système.
Michel Geoffroy
24/09/2020
[1] Clavel (Thomas), Un traître mot, éditions La Nouvelle Librairie, 2020, 14,90 euros.
[2] Ibid., page 17.
[3] Ibid., page 63.
[4] Ibid., page 99.
[5] Que l’on songe au débat extravagant entre ministres et médias autour du terme « ensauvagement » !
[6] Clavel (Thomas), op.cit., page 223.
[7] Ibid., page 217.
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