« Le gouvernement, c’est comme un orchestre qui joue de la musique contemporaine sans prévenir.»
Dans le fond, notre président normal a un sacré talent. Naguère, le bavardage des politiciens branchés usait de la formule « il faut bouger les lignes » pour essayer de meubler un peu leur méconnaissance totale des sujets et leur absence d’idées. On ne savait pas quelles étaient les lignes, mais on admirait l’effort de les changer, d’aller plus loin, et ensemble, bien sûr. Bref, on se disait qu’on n’avait pas affaire à un conservateur, ce mot qui commence si mal, mais à un homme ou une femme de progrès, mobilisés !
Le président qu’on sentait un peu timide, mal à l’aise, pour tout dire emprunté, comme son budget, a fait bouger les lignes. Il n’y en a même plus du tout. Il a inventé un style, comme Dalí, avec ses montres molles : la présidence floue. Il a commencé physiquement par la sienne : en retrait pendant la campagne, elle a rebondi à l’Élysée. Bref, un véritable accordéon. Vous me direz qu’il n’était pas le premier à en jouer à cet endroit.
Mais les lignes qui nous intéressent, ce sont celles qui indiquent des directions, comme dans le RER, les orientations politiques sur lesquelles la majorité doit s’aligner. Sinon, on est viré du bord comme Delphine Batho. Bon, mais c’est une exception qui confirme la règle, qui permet seule de bien tracer les lignes. Hollande a inventé la règle molle. Le gouvernement, c’est comme un orchestre qui joue de la musique contemporaine sans prévenir. Au bout d’une heure, les spectateurs pensent qu’ils en sont toujours à accorder les instruments avant de commencer.
Alors, vous avez le ministre de l’Éducation qui prône l’étude de l’autorisation des drogues dites douces, rejoint par Duflot, qui n’est donc pas systématiquement opposée à toutes les fumées, si on excepte celles du Tricastin ou du Vatican. Elle a inventé la géographie incertaine et innovante en plaçant le Japon dans l’hémisphère austral. Le président a suivi la mode en inversant Chine et Japon, Égypte et Tunisie. La créativité a été sans limites : le ministre des Sports a fait passer Laura Flessel chez les judokas, la porte-parole du gouvernement a demandé à un médecin-légiste s’il continuait d’avoir des relations avec ses patients. Enfoncer les lignes est le signe du grand artiste : Montebourg et les nationalisations, Sylvia Pinel et la fin des auto-entrepreneurs, Bertinotti et la PMA sont des avancées aventureuses, mais grâce à elles, les lignes flottent, l’opinion publique est prise d’un trouble qui est le délicieux vertige du sentiment esthétique, tel que le décrit Mishima, un Japonais de l’hémisphère nord. La palme inégalable revient, bien sûr, à Cahuzac : un ministre du Budget fraudeur du fisc faisait rentrer la poésie surréaliste en politique.
Après ces mises en bouche, il y a les grands mouvements qui font tomber les barrières désuètes : on est désormais sur le podium avec Taubira qui efface ces frontières insupportables dans un pays moderne et ouvert, entre l’homme et la femme, entre les gens honnêtes et les délinquants. Le mariage pour tous, la prison pour personne. La gauche fait sa mue. Elle qui n’aime pas que les tribunaux administratifs et non les judiciaires s’occupent des clandestins n’hésite pas à utiliser les premiers avec la rapidité de l’éclair pour réduire une liberté publique qu’une tradition rance confiait aux seconds, si lents. Les murs s’écroulent enfin…
Pas tous ?
Comme c’est bizarre ! Il resterait la paroi qui sépare la vie privée de la vie publique chez un homme public. Pourquoi voudriez-vous demander des comptes à celui qui a osé bousculer le modèle familial bêtement traditionnel, en ne se mariant pas, en installant une concubine à l’Élysée et dans les voyages officiels, sans qu’on ait l’outrecuidance réactionnaire de s’interroger sur la légitimité de cette situation. Il va en retrouver une autre, mais c’est privé. Il y va sous protection. Comment l’éviter ? C’est une artiste. Tiens, ça rappelle quelqu’un…
Christian Vanneste
14/01/2014