Pierre Lours, essayiste
♦ Le livre du général de corps d’armée Bertrand Soubelet, paru aux éditions Plon, Tout ce qu’il ne faut pas dire, est sous titré Insécurité, justice : un général de gendarmerie ose la vérité ». Nécessité oblige.
En vérité, le propos de l’auteur est plus vaste puisqu’il traite aussi de l’organisation des pouvoirs publics, de la composition et de l’action du personnel politique, des hauts fonctionnaires, de l’utilité et du coût des syndicats et des partis politiques, des fraudes en tout genre affectant les ressources de l’Etat, du rapport de la morale et de la politique, des autorités administratives indépendantes, de la Cour européenne des droits de l’homme, de l’importance du politiquement correct, des relations entre les politiques et les militaires… Mais là n’est pas le plus original du propos, même si l’on peut ainsi constater qu’un militaire peut aussi avoir une bonne culture générale.
Non, l’apport le plus significatif de ce livre apparaît à chaque fois que le général de corps d’armée de la gendarmerie, qui a commandé sur le terrain et en état-major dans des postes de premier plan, raconte son expérience et en tire des leçons.
Retour d’expériences
Ainsi, nous apprenons qu’au détour d’une réunion des principaux responsables de la sécurité, « le premier ministre (Jean-Marc Ayrault) semble pris au dépourvu. (…) Ce jour-là, on pouvait percevoir ce que j’ai interprété au mieux comme étant du détachement, au pire comme de l’ignorance dans les réactions du premier ministre concernant les questions de sécurité ».
Dans « l’affaire Léonarda », le général regrette que « l’implication des plus hauts responsables du pays dans des faits divers exploités et présentés par des groupes de pression comme des faits graves portant atteinte à des principes (qui en réalité n’en sont pas) devienne une habitude désastreuse. (…) Gouverner avec, en permanence, le souci du « coup politique » qui permet de briller ou qui compense un échec, voilà la vraie nature de l’action de politique politicienne aujourd’hui. »
Au sujet du drame du barrage de Sivens où un manifestant Zadiste a trouvé la mort à cause d’une grenade à effet de souffle destinée à éloigner les manifestants n’obtempérant pas aux ordres de dispersion, le général déclare qu’ « il n’y a dans notre pays aucun problème de fond en termes de doctrine ni de technique de maintien de l’ordre » mais « regrette que l’autorité administrative ne donne pas toujours de directives précises sur l’effet à obtenir sur le terrain ». « L’Etat, dans la résolution des crises, n’est capable d’aucun message de fermeté lorsque c’est nécessaire. Tous les conflits actuels le démontrent. »
En ce qui concerne la répartition des services de l’Etat sur le territoire national, « les motivations qui président aux décisions de suppression de tel tribunal, de tel hôpital, tel commissariat ou brigade de gendarmerie n’ont souvent aucun rapport avec la logique et le pragmatisme. (…) C’est l’occasion de conforter un élu en difficulté ou d’en déstabiliser un autre qui fait partie de l’opposition ».
Autre exemple de faiblesse de l’Etat : « En 2009, sous la pression conjuguée des politiques, de la CNIL et de certains groupes de pression, la gendarmerie a été contrainte de détruire en urgence son fichier alphabétique, dans toutes ses unités de France. (…) Personne ne peut dire aujourd’hui combien de nos actuels djihadistes figuraient dans ces fichiers… »
L’Etat plie encore devant la Cour européenne des droits de l’homme qui impose à la France d’autoriser le syndicalisme, malgré l’existence dans les armées et dans la gendarmerie d’instances de représentation et de participation permettant aux personnels de défendre leurs intérêts. Pour Bertrand Soubelet, « Par essence, le mode de fonctionnement des syndicats traditionnels français n’est pas compatible ni avec le maintien de la cohésion ni avec les exigences du niveau opérationnel des forces armées. Gendarmerie comprise. »
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Ainsi, on trouvera dans Tout ce qu’il ne faut pas dire des témoignages précieux, des analyses réalistes et de bon sens que l’on aimerait lire plus souvent sous la plume des responsables qui prétendent gouverner.
Les postes importants que le général Bertrand Soubelet a occupés dans une institution au cœur de l’Etat et en première ligne dans la défense de la paix intérieure donnent un poids incontestable à ce livre courageux et intelligent d’un homme qui a décidé d’oser la liberté d’expression, nécessité oblige : « Je ne fais pas de polémique, je ne roule pas pour un parti politique. Simplement j’alerte. (…) La sécurité dans notre pays n’est pas assurée comme elle le devrait (…) Il est grand temps de réagir, grand temps. Il y a urgence. »
Pierre Lours
27/03/2016
Bertrand Soubelet, Tout ce qu’il ne faut pas dire, Editions Plon, 24 mars 2016, 256 pages.
Note de la rédaction :
Voir aussi : Un livre du général Soubelet fait des vagues au sein de la Gendarmerie
Correspondance Polémia – 28/06/2016
Image : Tout ce qu’il ne faut pas dire, et son auteur