La quasi-rupture entre le président américain et le président ukrainien en direct sur les écrans de télévision du monde entier constitue indéniablement un événement majeur.
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Un style nouveau pour une nouvelle stratégie
Ce serait cependant une grave erreur de voir dans ce moment de télévision le simple effet de la personnalité du nouveau président américain. Cette scène mémorable avait en effet été annoncée par d’autres faits importants comme l’a été par exemple le discours du vice-président Vance à la conférence de Munich, stigmatisant la faiblesse des nations européennes qui ne se préoccupent pas, selon lui, de puissance mais de morale alors qu’elles bafouent chez elles les principes de liberté d’opinion et de démocratie. Si l’on ajoute à cela les déclarations concernant le désengagement des États-Unis de la défense de l’Europe et la mise à l’écart de celle-ci des négociations russo-américaines sur l’Ukraine, force est de constater que la politique américaine est en train de changer du tout au tout et qu’une nouvelle donne géopolitique vient de voir le jour.
On peut certes gloser sur le caractère très entier du président américain et prétendre que, tel le chef d’entreprise impitoyable qu’il a été, Donald Trump ne respecterait que la puissance et mépriserait les faibles. Mais ses propos agressifs à l’encontre de Zelensky et son attitude condescendante à l’égard des Européens ne sont pas la simple expression d’un tempérament tumultueux, mais l’un des signes qu’une politique nouvelle a été engagée par l’administration Trump dans laquelle Zelensky est considéré comme un homme gênant et les Européens non plus comme une force qui pourrait être utile à l’Amérique mais plutôt comme une charge dont elle doit se libérer au plus vite.
Les États-Unis, de la guerre à la paix
Pour mesurer à quel point la politique étrangère des États-Unis connaît avec Trump une mutation importante, il convient de ne pas oublier qu’à l’origine de cette guerre en Ukraine, il y avait les Américains.
Ce sont eux, les Américains, qui, après s’être installés en Pologne ont décidé de s’implanter en Ukraine, conformément d’ailleurs à la stratégie développée dans Le Grand Échiquier, l’ouvrage de l’ancien conseiller à la sécurité nationale américain Brzezinski.
Ce sont eux qui ont suscité et financé la révolution orange et qui ont ensuite poussé au coup d’État de Maidan lequel a mis en place un pouvoir favorable à l’Occident. Les Américains ont alors fortement influencé les dirigeants ukrainiens, les incitant à adopter une démarche hostile à la Russie. Encouragés par les États-Unis, les gouvernements européens et la Commission de Bruxelles ont parallèlement lancé une campagne pour l’entrée de l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’Otan. Une perspective dont chacun savait qu’elle serait considérée par les Russes comme une menace majeure pour leur sécurité.
Ce sont encore les États-Unis qui, au lieu de répondre positivement aux demandes de Poutine d’organiser une conférence sur la paix en Europe qui aurait sans doute aboutit à faire de l’Ukraine un pays neutre ce qui n’a rien d’infâmant, ont continué à provoquer les Russes en affirmant que l’Ukraine avait toute sa place dans l’Otan. En clair, les Américains ont cherché à piéger la Russie, conduisant Poutine à estimer qu’il n’avait plus le choix : face au refus occidental de négocier, il devait intervenir militairement contre l’Ukraine avant que celle-ci n’entre dans l’Otan.
Les dirigeants américains de l’administration Biden voulaient en effet cette guerre pour affaiblir la Russie, la couper durablement de l’Europe et discréditer définitivement Poutine. A l’époque, certains stratèges Étatsuniens en étaient encore à imaginer un découpage de la Fédération de Russie, chaque entité devenant une démocratie libérale selon le modèle américain. Ils ont donc leur part de responsabilité dans cette guerre que beaucoup d’observateurs ont qualifiée de « guerre par procuration. »
Les Américains face au monde multipolaire
On peut dès lors se demander pourquoi les Américains changent maintenant si brutalement de stratégie géopolitique. La réponse est évidemment liée à l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche, à sa posture patriote
« America first », à son rejet des organisations multilatérales comme l’Onu, le Giec, sans doute aussi l’Otan et même l’Union européenne. Une approche qui l’a mené à prendre en compte la réalité de plus en plus multipolaire du monde d’aujourd’hui, laquelle était niée voire combattue par ses prédécesseurs.
Du temps de l’Union soviétique, les États-Unis détenaient, naturellement et sans conteste, le leadership du monde libre. Ensuite, après l’effondrement de l’URSS, ils ont cru pouvoir continuer à diriger non plus le monde libre mais le monde entier selon leur méthode éprouvée : multiplier au besoin par la guerre les vassaux et les enserrer dans une organisation ad hoc de liens économiques ou militaires.
Mais c’était cependant sans compter avec l’émergence de nouvelles puissances souvent appuyées sur de très anciennes civilisations qui non seulement rejettent toute tutelle américaine mais nourrissent à l’égard de l’Occident un ressentiment profond pour les avoir longtemps dominées. Donald Trump est le premier président à prendre en compte ce nouveau contexte qui, il est vrai, correspond bien à ses convictions et aux attentes de ses électeurs : plutôt que de courir le monde pour chercher à le vassaliser c’est la nation qu’il faut renforcer et quelques alliés solides et puissants qu’il faut fidéliser.
C’est la que réside le nœud du bouleversement géopolitique provoqué par Trump. Les Américains ont fini par accepter le fait qu’ils ne pouvaient pas s’opposer à l’arrivée sur la scène mondiale de nouvelles puissances comme l’Inde, la Chine et plusieurs autres en Amérique du Sud, en Asie ou au Moyen-Orient constituant autant de pôles civilisationnels indépendants et qu’il leur fallait donc abandonner leur ancienne stratégie consistant à multiplier les vassaux car ils allaient se heurter aux puissances émergentes qui, elles, ne se soumettraient pas. Ainsi en en a- t-il été de la Russie avec Poutine. Celle-ci en effet n’a pas fléchi, elle a conquis des territoires et a su jouer sur le plan économique et militaire des puissances émergentes pour contrer les sanctions occidentales. Une posture gagnante qui a sans doute sollicité l’intérêt de Trump qui aime les gagnants.
La première puissance mondiale
La nouvelle stratégie américaine serait donc toujours la recherche du leadership mondial mais par une autre démarche, celle consistant à s’imposer comme la première puissance dans le monde. C’est pour cette raison que l’adversaire principal des États-Unis serait désormais la Chine. Pour l’emporter sur ce pays colossal, Trump estime nécessaire de renforcer les États-Unis d’abord. D’où les droits de douane pour rapatrier le maximum d’industries sur leur sol et les prétentions territoriales sur le Groenland, Panama et le Canada pour étendre le potentiel de l’Amérique. Les nouveaux stratèges américains prévoiraient parallèlement de trouver des alliés solides parmi les principaux pôles du monde nouveau qui se met en place. Sans doute comptent-ils toujours dans le Pacifique sur le Japon mais leur principal objectif pourrait bien être maintenant la Russie, un pays immense aux ressources naturelles considérables qu’ils vont chercher à détacher de la Chine.
Telle est, me semble-t-il, la nouvelle logique américaine et dans ce cadre s’inscrivent naturellement la connivence de Trump avec Poutine et le retrait américain du vieux continent considéré, quant à lui, comme décadent, faible et donc inoffensif, bref sans intérêt.
Les dindons de la farce
Les dirigeants européens ont donc des raisons d’être inquiets du changement stratégique que viennent de réaliser les Américains. Quant aux peuples du vieux continent, ils devraient leur en vouloir de leur faiblesse, de leur lâcheté et de leur indigence. Comment ces hauts responsables ont-ils pu croire à une agression russe à « la Hitler » contre l’Ukraine.
S’ils avaient pensé à défendre les intérêts de leur peuple plutôt que de faire la morale écolo-moralo-wokiste au monde entier, s’ils avaient noué des relations d’entente et de coopération avec la Russie, un pays à la culture profondément européenne et à l’économie totalement complémentaire des nôtres et s’ils n’avaient pas suivi les États-Unis comme des moutons jusqu’à aller contre leurs propres intérêts, ils ne seraient pas aujourd’hui dans la position du dindon de la farce.
Le drame, c’est qu’il ne s’agit pas d’une farce !
Bruno Mégret
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