Par André Murawski, conseiller régional Hauts-de-France, vice-président du groupe FN-RBM ♦ Le 10 avril 2018, le quotidien régional « la Voix du Nord » décrivait comme « une avancée significative » la décision de l’université de Lille de reconnaître sous un prénom d’usage les étudiants dont l’identité sexuelle psychique ne correspond pas à leur identité sexuelle biologique. Autrement dit, de reconnaître la « transidentité ».
Présentée comme un moyen de lutter contre des discriminations dont les personnes « transgenres » seraient les victimes, cette décision soulève plusieurs questions.
L’université peut-elle aller à l’encontre des principes d’immutabilité et d’inaliénabilité du prénom dans les actes de l’administration universitaire ? Sur quels éléments de fait et de droit la décision de l’université reposera-t-elle ? Surtout, quelles seront les conséquences des décisions favorables et quel usage extra universitaire pourra-t-il être fait de documents portant un autre prénom que celui de l’état-civil ? Enfin, l’invocation du principe de non-discrimination ne cacherait-elle pas une dérive sociétale faisant peu de cas de l’humain, contrairement aux apparences ?
L’évolution du droit au prénom dans l’histoire de notre pays met en évidence une rupture survenue peu après la seconde guerre mondiale et régulièrement accentuée depuis. Pourtant, la sociologie montre que si le prénom est un marqueur d’identité individuelle, le sentiment de mal-être lié au prénom est extrêmement rare. Dès lors, la démarche de l’université de Lille ne semble pas trouver sa justification dans la seule lutte contre les discriminations, mais elle paraît aussi s’inscrire dans un mouvement libertaire dont les conséquences pourraient bouleverser notre conception de l’Homme.
Du prénom pour la vie au prénom à la carte
Le prénom n’existait pas dans l’ancien droit. On prit l’habitude d’appeler les enfants du nom du Saint sous le patronage de qui ils étaient baptisés. Ce nom de baptême devint plus tard le prénom de l’état civil.
C’est au XVIe siècle, sous l’Ancien Régime, que l’on prit conscience des risques liés à la liberté de changer de nom ou de prénom qui prévalait alors. Ainsi, l’édit d’Amboise, en 1555, posa le principe de l’interdiction de changement du nom qui devint fixe, imprescriptible et inaliénable. Cette évolution était dictée par le constat que la liberté de changer de nom et de prénom facilitait les agissements délictueux et constituait un facteur de fraude fiscale et d’immunité pénale.
Au début de la Révolution, cette immutabilité fut considérée comme une aliénation et chacun put librement changer de nom et de prénom. Cependant, très vite, un décret du 23 août 1793 interdit tout changement. La loi du 6 fructidor an II fut ainsi rédigée : « Aucun citoyen ne pourra porter de nom ou de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance ; ceux qui les auraient quittés seront tenus de les reprendre ». La même loi ajoutait que : Il est expressément défendu à tous fonctionnaires publics de désigner les citoyens dans les actes autrement que par le nom de famille, les prénoms portés en l’acte de naissance ou les surnoms maintenus par l’article 2 ni d’en exprimer d’autres dans les expéditions et extraits qu’ils délivreront à l’avenir ».
Enfin, la loi du 11 germinal an XI limita le choix du prénom à celui des saints du calendrier et à ceux des personnages connus de l’histoire ancienne.
On constate que le droit du XIXe siècle définit le prénom comme immuable pour l’Etat comme pour les individus, en tant que moyen de s’assurer de l’identité du citoyen. Cette situation perdura jusqu’au sortir de la deuxième guerre mondiale.
Ainsi, en 1949 et 1950, deux lois rendirent possible des modifications limitées du prénom dans le cas d’adoption ou de naturalisation. En 1955, il devint loisible de demander à changer de prénom, mais les décisions des tribunaux et des cours d’appel restaient très sévères devant les motifs invoqués par les requérants. Au milieu des années 1960, la Cour de cassation s’inscrivit dans le processus de libéralisation en définissant l’intérêt légitime des demandeurs comme « l’intérêt légitime d’un individu de vivre normalement en société ». Dans les années 1970, plusieurs décisions de la Cour de cassation imposèrent l’usage prolongé d’un prénom comme extension de l’intérêt légitime. Nouvelle évolution, l’article 60 de la loi n° 93-22 du 8 janvier 1993 disposa que « Toute personne qui justifie d’un intérêt légitime peut demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales ». Enfin, la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 dite de modernisation de la justice du XXIe siècle, dans son article 56, déjudiciarisa la procédure de changement de nom en la confiant désormais aux officiers d’état civil employés dans les mairies. On observe donc qu’en moins de 70 ans, la position de l’Etat a considérablement changé à l’égard du prénom dont le caractère immuable et particulier n’apparaît plus en tant que moyen de s’assurer de l’identité d’une personne. Au risque de toutes les dérives.
Du prénom identité au prénom individualité
La libéralisation a pu être jugée comme un conflit entre fonction « dénotative » du prénom (qui permet de s’assurer de l’identité d’une personne), et fonction « connotative » (qui attribue au porteur certaines caractéristiques particulières). Le prénom sert à marquer la filiation, le genre, la religion ou les ascendants, mais il sert aussi de moyen d’identification individuelle. Un trouble ressenti plus ou moins vivement dans l’une de ces dimensions peut amener une personne à initier une demande de changement.
Que représentent les demandes de changement de prénom ? Selon les informations les plus récentes, elles concerneraient un peu moins de 3000 personnes par an, soit 0,004 % de la population française. En 2009, 107 tribunaux de grande instance ont traité moins de 10 demandes de changement de prénom, tandis que des tribunaux plus « importants » traitaient moins de 30 demandes. D’autres sources indiquent que 92 % des requêtes déposées avant la loi de 2016 aboutissaient favorablement. Ces indicateurs montrent la marginalité du phénomène, mais aussi une jurisprudence très « compréhensive » pour ce qui est de « l’intérêt légitime » des requérants.
Le sociologue Baptiste Courmont indique que « la plupart des gens qui changent de prénom sont des personnes en ascension sociale bien que le lien entre changement de prénom et position sociale ne soit pas explicite ». La plupart du temps, il s’agit de franciser le nom suite à l’obtention de la nationalité ou, moins souvent, de le défranciser pour affirmer l’adhésion à une culture minoritaire. Dans ces deux cas, des habitudes séculaires relient identité nominale et identité nationale : francisation ou, au contraire, défrancisation et retour au prénom d’origine étrangère.
Autre motif de changement, la fonction connotative du prénom. Celle-ci est liée principalement au sexe ou à l’âge. Ainsi, un dossier sur dix concerne des personnes qui considèrent que le genre de leur prénom ne correspond pas à leur sexe. Ce sont très rarement des transsexuels, mais beaucoup plus souvent des personnes qui voient leur sexe être confondu en raison de connotations associées au prénom (Emmanuel, Dominique, Claude, Camille, Dylane…). Pour le reste, c’est principalement l’âge que les demandes cherchent à rectifier par la recherche de prénoms plus récents ; par exemple : Joseph, jugé vieillot, devient Jordan, considéré comme plus jeune. Parfois, la demande peut être associée à une mobilisation du corps : « Je n’ai pas la tête de mon prénom ». Dans tous ces cas, les raisons invoquées sont essentiellement d’ordre individualiste.
Le changement peut viser aussi à régulariser un pseudonyme professionnel. Cependant, s’il arrive à des entreprises de demander à leurs salariés d’accepter un nom d’usage dans le cas où plusieurs porteraient le même prénom et pour éviter toute confusion vis-à-vis des clients à qui les noms de famille ne sont pas communiqués, ces méthodes sont mal acceptées en ce qu’elles donnent le sentiment d’une dépossession de son identité. Ici, le prénom peut être cause d’une disqualification possible à l’embauche. Cependant, dans tous les cas de figure, très peu de candidats au changement de prénom font état d’une discrimination sur le marché du travail ou d’une discrimination sociale.
On note donc que la « transidentité » ne représente pas une part significative dans l’ensemble des demandes de changement de prénom. Or, la loi de modernisation de la justice vise précisément à permettre le changement de prénom des « transgenres » qui avaient jusqu’alors beaucoup de mal à changer de prénom. Et l’on peut se demander si le législateur n’a pas essayé de faire du changement de prénom l’une des étapes vers le changement de sexe. Devant ce constat, la démarche de l’université de Lille est-elle justifiée ?
De la non-discrimination au militantisme libertaire
L’université de Lille fonde sa décision de permettre l’emploi d’un prénom d’usage dans les relations entre les étudiants et l’administration universitaire, mais aussi dans certains documents qu’elle délivre, sur son engagement en faveur de la lutte contre les discriminations. L’université affirme être sollicitée chaque année par une trentaine de demandeurs, et évoque l’existence d’incidents lors des examens sur la base de décalages entre le nom, la photo et la personne. Plus globalement, l’université justifie son initiative par les problèmes des étudiants concernés et qui seraient victimes de rejets, moqueries ou ignorance pouvant nourrir mésestime de soi ou créer le sentiment de ne pas avoir sa place à l’université.
Les démarches à accomplir sont d’une simplicité consternante. Il suffit de remplir un formulaire de demande d’utilisation d’un prénom usuel, de rédiger une lettre de motivation et d’adresser l’ensemble au président de l’université qui statue sur la demande. Aucune information ne figure sur la manière dont la demande sera instruite ni par quelle instance, et sur quels fondements le président arrêtera sa décision. Mais en cas de décision favorable, il est indiqué que l’ « étudiant-e » (orthographe nouvelle) pourra disposer d’une adresse électronique et d’une carte multi services. On se demande l’utilité réelle de ces aménagements à partir du moment où la mesure ne s’étend ni aux diplômes, ni aux relevés de notes, ni aux documents réputés officiels établis par l’université.
Or, l’état actuel du droit positif permet le changement de prénom. La démarche doit être accomplie devant un officier d’état-civil du lieu de résidence ou du lieu où l’acte de naissance a été dressé. Il faut pour cela produire l’original d’une pièce d’identité, une copie intégrale de son acte de naissance datant de moins de trois mois, un justificatif de résidence et toutes pièces permettant de justifier l’intérêt légitime du changement sollicité. L’officier d’état civil prend la décision d’autorisation de changement de prénom ou saisit le procureur de la République qui s’y oppose ou non. En cas d’opposition, le recours doit être formé devant le juge aux affaires familiales comme c’était le cas auparavant.
Sans surprise, l’association des maires de France s’est inquiétée du manque de consignes données par le ministère de la justice pour aider les officiers d’état civil dans leur mission, notamment pour ce qui relève de l’appréciation de « l’intérêt légitime ». Une circulaire du 17 février 2017 a voulu répondre à ces interrogations en produisant un « panorama de jurisprudences antérieures sur l’intérêt légitime au changement de prénom ». Les motifs tenant à la transsexualité du demandeur y figurent, et sont définis comme un intérêt légitime caractérisé par « la volonté de mettre en adéquation son apparence physique avec son état civil en adoptant un nouveau prénom conforme à son apparence ».
Pourquoi l’université de Lille, emboîtant le pas aux universités de Tours, de Rennes 2, de Paris 8 et de l’Ecole normale supérieure de Paris, a-t-elle donc ouvert la possibilité d’utiliser un prénom d’usage à la place du prénom d’état civil dont la transsexualité peut pourtant justifier le changement ?
En 2009, un rapport du Conseil de l’Europe rédigé par le commissaire aux droits de l’homme et intitulé « Droits de l’homme et identité de genre » recommandait d’ « élaborer et mettre en œuvre des politiques de lutte contre la discrimination et l’exclusion auxquelles font face des personnes transgenre sur le marché du travail, dans l’éducation et dans le système de santé ».
D’autre part, la suppression des fiches d’état civil en 2001 s’est traduite par une multiplication des modes de preuve concurrents de l’état des personnes. Divers organismes (employeurs, banques, écoles, fisc, sécurité sociale) acceptent plus facilement que l’Etat des identités d’usage, souplesse dont les requérants se servent pour faire plier l’état civil.
Emmanuelle Jourdan-Chartier, vice-présidente de l’université de Lille chargée de la « vie étudiante » a réalisé la démarche en coordination avec l’association « C’est pas mon genre ». Cette association, créée à Lille en mars 2006, adopte un positionnement « résolument ouvert sur la diversité trans’ » en faveur de laquelle elle est donc clairement engagée. La vice-présidente de l’université ayant fait valoir que cette démarche « peut servir d’argument pour faciliter les démarches nécessaires pour un changement d’état civil », il est également clair que l’université de Lille procède en quelque sorte à une réassignation de « genre » administrative fort éloignée de la tradition universitaire, qui n’entre absolument pas dans ses attributions et qu’elle accompagne ainsi une évolution sociétale à laquelle les Français n’adhèrent pas nécessairement.
La société libertaire contre les déterminismes
Depuis les temps protohistoriques, les hommes sont le fruit d’un déterminisme. Déterminisme géographique, historique, religieux, social, culturel. Un homme est issu d’une lignée à laquelle il est attaché et de laquelle il procède. Son héritage génétique lui vient de ses ancêtres les plus proches comme les plus reculés. Les Romains le manifestaient à travers le culte domestique des Lares, les tout premiers des ancêtres, mais aussi des Mânes, tous les autres ancêtres. Un homme est aussi issu d’une famille, cellule de base de la société au sein de laquelle il grandit et forme sa personnalité. Là encore, il est un héritier : d’un nom, d’un ou de plusieurs prénoms, d’une parentèle, d’un foyer, d’une langue dite « maternelle », d’une religion, d’un patrimoine, de traditions familiales. Cet héritage inscrit l’homme dans une généalogie dont il ne peut s’extraire. Au sein de la cellule familiale, l’homme tient la place qui lui échoît et reçoit en héritage les valeurs de vérité, de bonté et de beauté qui ne sont autres que le καλόϛ καί άγαθόϛ des anciens Grecs. Cette existence traditionnelle lui permet de trouver un équilibre entre la raison, l’affectivité et les instincts. C’est elle qui lui permet de trouver un équilibre psychologique et de construire sa personnalité propre.
La société libertaire porte une conception de l’homme radicalement différente de celle qui prévaut jusqu’à présent dans notre civilisation. La marchandisation du monde appelle un consumérisme exacerbé et un individu d’un genre nouveau : l’individu-masse. Cet homme d’un type inconnu des sociétés traditionnelles est le produit de la doctrine égalitariste qui privilégie les droits individuels en ce que ces derniers favorisent la consommation : Tous ont droit à tous les produits du commerce, droit aux loisirs, droit aux vacances, droit aux plaisirs, droit au logement, droit au bonheur… Un ancien président de la République avait résumé cet idéal dans le titre d’un ouvrage à vocation électorale : « la France pour tous ». L’extension de ces multiples et innombrables droits se fait cependant au détriment des devoirs élémentaires : devoir de tempérance, devoir de solidarité, devoir de fidélité, devoir de civisme… Jouet des manipulations publicitaires, esclave de la mode, l’individu-masse ne juge plus en référence à des valeurs morales, qui feraient appel au cerveau rationnel ou au cerveau affectif. Il réagit de façon pavlovienne aux stimuli destinés au consommateur effréné qui sollicitent d’abord le cerveau instinctif. Le moindre caprice doit être satisfait au risque de la frustration. L’insatisfaction débouche sur des troubles psychologiques. L’individu-masse se déconstruit et se reconstruit au gré de la fantaisie d’un ego démesuré, instrument de la marchandisation du monde et du pouvoir recherché pour le seul pouvoir par une technostructure interchangeable et déracinée.
Pour l’individu-masse, coupé de ses racines familiales et adepte d’un relativisme destructeur des valeurs de vérité, de bonté et de beauté, le prénom n’est qu’un bien reçu parmi d’autres. Il doit pouvoir être changé pour les motifs les plus futiles, tels que « l’âge » par exemple, quand le prénom ne correspond plus à l’image que l’individu-masse se fait de lui-même. C’est partiellement cette conception des choses que l’université de Lille autorise, alors que l’Université devrait porter d’autres valeurs. Par exemple celle du respect dû à ses parents, ces grands absents des articles parus récemment sur le sujet du changement de prénom. Car si l’on parle du mal-être très relatif qu’on pourrait avoir à porter tel ou tel prénom, on n’évoque jamais la souffrance que les parents peuvent ressentir lorsque leur enfant rejette cette part d’eux-mêmes qu’ils lui ont donnée, avec la vie et leur amour.
André Murawski
18/05/2018
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Drapeau dédié à la transidentité – Domaine public