Par S. Quintinius ♦ Les chiffres clés de l’immigration extra-européenne en France en 2022 viennent d’être publiés par le ministère de l’Intérieur. Ils font ressortir une très forte hausse du nombre d’étrangers extra-communautaires arrivés dans notre pays pour une durée plus ou moins longue. Cette politique n’est pas le fruit du hasard : elle résulte de décisions assumées par le gouvernement, déclinées en autant de plans d’actions dûment budgétés.
Macron et l’immigration
Le président de la République française n’évoque que rarement dans ses discours l’immigration. Il sait que le sujet est « clivant », ce qui est un problème pour celui qui veut « en même temps » rassembler à gauche et à droite. Il sait également qu’il est en déphasage total avec la majorité de l’opinion publique, qui réclame moins d’immigration. Pour calmer une partie de son électorat, il laisse à intervalles réguliers entrevoir quelques rares mesures restrictives.
Ainsi, début 2018, E. Macron envisageait de demander aux Français dans le cadre d’un grand débat public si le Parlement devait fixer des objectifs annuels en matière d’immigration. La promesse est vite tombée aux oubliettes. Quand de nouvelles lois sur l’immigration sont présentées, comme en avril 2018 et en fin d’année 2022, l’objectif d’organiser plus d’éloignements d’étrangers en situation irrégulière est présenté en contrepartie d’efforts budgétaires sans cesse accrus pour l’immigration. Ces annonces sont couronnées du succès que l’on sait.
Au-delà des déclarations de circonstances, les chiffres permettent de mesurer l’ampleur de l’immigration arrivant en France. Pour compléter ce tableau, nous présenterons certaines prévisions du gouvernement français en matière d’immigration dans les années à venir, que celles-ci concernent l’asile, les étudiants étrangers, les éloignements et les retours forcés.
Les limites des chiffres communiqués
Il est important de souligner que les chiffres communiqués par le ministère de l’Intérieur comportent un certain nombre de limites (1). Ils ne comptabilisent pas lesdits « mineurs non accompagnés » arrivés dans l’année. Les titres de séjour ne leur sont le cas échéant accordés qu’à leur majorité. Ils ne comptabilisent également pas l’immigration clandestine, en dépit de l’ampleur considérable qu’elle a prise. Des milliers de clandestins apparaissent dans les statistiques quelques années après leur arrivée en France, si et lorsque leur situation administrative est régularisée.
En l’absence de registre des entrées et des sorties du territoire, le ministère de l’Intérieur ne donne pas d’informations sur le solde migratoire annuel. Pour prendre la mesure de la grande transformation de la France, le tableau serait plus complet s’il recensait également le niveau d’études des nouveaux entrants, celui des Français qui s’expatrient et leur nombre.
Projet de loi sur l’immigration au parlement : reculer pour mieux sauter
Les chiffres clefs de l’immigration extra-européenne en France en 2022
Les visas
Le nombre de visas délivrés à des ressortissants de pays tiers est passé de 712 317 en 2020 à 1,7 million en 2022. Le ministre de l’Intérieur souligne pour minorer cette forte augmentation que « les volumes se situent à ceux d’avant la crise ». Si le tourisme est le principal motif de délivrance des visas pour court séjour (974 430), certains types de visas progressent très fortement :
- les visas délivrés aux étudiants (14 289, + 238 %) ;
- les visas délivrés pour motif économique (255 118, + 160 %) ;
- les visas délivrés pour motif « divers » (188 315, + 151 %).
Les visas de long séjour progressent globalement de 20 % pour atteindre 277 038, avec des hausses particulièrement marquées pour le motif économique (105 573, + 66 %). Les ressortissants indiens, marocains et algériens figurent au nombre des nationalités les plus représentées parmi les bénéficiaires de visas délivrés en 2022.
Perspectives – Le gouvernement français avait annoncé en septembre 2021 qu’il allait réduire drastiquement le nombre de visas délivrés aux ressortissants des pays du Maghreb, afin de contraindre leurs gouvernements à délivrer davantage de laissez-passer consulaires. De fait, le nombre de visas délivrés à des Algériens, des Marocains et des Tunisiens a baissé drastiquement en 2022 (360 821) par rapport à 2021 (766 299). Bien que les résultats de ce coup de pression soient peu probants, G. Darmanin a annoncé en fin d’année 2022 qu’il mettait fin à ces restrictions. On peut donc s’attendre en 2023 à une baisse considérable du nombre de visas refusés – ils ont atteint 500 000 en 2022 – et à une forte hausse du nombre de visas délivrés aux ressortissants des pays du Maghreb.
Les premiers titres de séjour
Les 320 330 premiers titres de séjour (hors britanniques) délivrés en 2022 représentent une augmentation de 17 % par rapport à 2021. Plus de 100 000 premiers titres de séjour supplémentaires ont été délivrés dans l’année par rapport à 2015. Les études ont été en 2022 le principal motif de délivrance, suivi par le regroupement familial. Le ministère de l’Intérieur ne précise pas la nationalité des bénéficiaires de premiers titres de séjour. D’autres recensements statistiques ont fait apparaître qu’ils sont principalement issus d’Afrique (Maghreb, Afrique subsaharienne) (2).
Motifs d’admission | 2015 | 2020 | 2021 | 2022 |
Économique | 20 628 | 26 950 | 36 560 | 52 570 |
Familial | 90 113 | 75 245 | 88 225 | 90 385 |
Étudiants | 70 023 | 71 900 | 85 080 | 108 340 |
Humanitaire | 22 903 | 32 080 | 43 200 | 40 490 |
Divers | 13 866 | 14 360 | 18 610 | 28 545 |
Total | 217 533 | 220 535 | 271 675 | 320 330 |
Perspectives – Le nombre de premiers titres de séjour délivrés pour études devrait continuer à augmenter en 2023. Le Premier ministre a en effet annoncé en 2019 l’objectif d’accueillir 500 000 étudiants étrangers à l’horizon 2027 (3).
S’agissant de l’immigration économique, le projet de loi sur l’immigration qui sera débattu prochainement au Parlement prévoit plusieurs mesures visant à « attirer les talents » : consécration de la carte de séjour pluriannuelle, création d’un passeport talent, etc. (4). Il va en conséquence être de plus en plus facile pour des ressortissants de pays tiers à l’U.E. de venir travailler en France. L’octroi de premiers titres de séjour toujours plus nombreux entraîne mécaniquement une augmentation du regroupement familial. La démographe Michèle Tribalat qualifie ce phénomène « d’auto-engendrement des flux familiaux ».
L’admission exceptionnelle au séjour
Le gouvernement français régularise chaque année des dizaines de milliers d’étrangers entrés clandestinement en France ou qui s’y sont maintenus à l’expiration de leur titre de séjour. Le gouvernement Borne a accordé en 2022 34 029 titres de séjour au titre de l’admission exceptionnelle au séjour, le chiffre le plus élevé depuis plusieurs années. La vie privée et familiale (13 356 titres délivrés) et le travail (10 774) sont les principaux motifs de régularisation. Le gouvernement ne cache pas, notamment dans le cadre du projet de loi sur l’immigration bientôt débattu au Parlement, son ambition de régulariser toujours plus de clandestins.
Les demandes d’asile
Après une brève accalmie en 2020, le nombre des demandes d’asile déposées auprès des autorités françaises recommence à augmenter fortement. La France a reçu en 2022 168 709 demandes d’asile, dont 19 057 demandes de réexamen.
Les demandeurs d’asile sont issus prioritairement d’Afghanistan (1re position avec 22 570 demandeurs), du Bangladesh (10 554 demandeurs) et de Turquie (9 979).
L’OFPRA a rendu 134 454 décisions en 2022. Seulement 38 789 décisions d’octroi de l’asile ont été prononcées. Le nombre de recours est pléthorique : la Cour nationale du droit d’asile a été amenée à rendre 67 142 décisions, se traduisant par 14 156 annulations de décisions rendues en première instance. Au bout du compte, 56 179 étrangers se sont vu attribuer l’asile en 2022. Un chiffre à mettre en perspective avec le nombre de demandes reçues…
2018 | 2019 | 2020 | 2021 | 2022 | |
Premières demandes en GUDA | 126 671 | 138 240 | 81 669 | 104 577 | 137 046 |
Réexamens en GUDA | 11 178 | 12 863 | 11 757 | 16 977 | 19 057 |
Demandes hors GUDA | 24 791 | 26 539 | 22 462 | 12 931 | 12 596 |
Total | 162 640 | 177 642 | 115 888 | 134 485 | 168 709 |
GUDA : guichet unique pour demandeurs d’asile.
Source : ministère de l’Intérieur.
Perspectives – Le gouvernement ne prévoit pour les prochaines années aucune baisse du nombre de demandes d’asile, bien au contraire. Dans un document annexe au projet de loi de finances 2023 relatif à la mission « Immigration, asile et intégration », le ministère du Budget prévoit 160 000 décisions rendues en 2023, 170 000 en 2024 et 170 000 en 2025, soit 500 000 demandes d’asile traitées entre 2023 et 2025 (5).
L’asile semble de plus en plus destiné à régler des problèmes collectifs. Ainsi, l’Agence européenne de l’asile a récemment émis un avis selon lequel les femmes et les filles vivant en Afghanistan sont exposées à un risque de persécution et doivent dès lors bénéficier du statut de réfugié en Europe (6). Compte tenu de la population de ce pays, près de 20 millions de personnes seraient donc potentiellement concernées.
Les effets de l’extension récente des critères d’octroi de l’asile aux personnes exposées aux risques de mutilations sexuelles se font sentir. Selon des chiffres de l’OFPRA, le nombre de personnes protégées pour ce motif, qui est potentiellement considérable, est passé de 14 000 en 2021 à 16 000 pour le seul 1er semestre de 2022 (7).
Les acquisitions de la nationalité française
Le ministère de l’Intérieur indique que 78 711 étrangers ont acquis la nationalité française par décret et par déclaration en 2022. Ce chiffre ne prend pas en compte les acquisitions de la nationalité française suivies par le ministère de la Justice. En 2020, ce ministère avait comptabilisé 21 770 acquisitions de la nationalité française à raison de la naissance et de la résidence dans notre pays (8).
Depuis 2018, plus de 389 000 étrangers ont acquis la nationalité française. Hormis un effort du gouvernement en matière d’apprentissage de la langue, les critères d’attribution de la nationalité française sont peu exigeants en comparaison d’autres pays européens (9).
Les éloignements
Alors que les étrangers en situation irrégulière, notamment les déboutés de l’asile, sont de plus en plus nombreux en France, les éloignements, les départs volontaires et les expulsions organisés ou facilités par les autorités françaises restent à des niveaux dérisoires. Si une progression peut être constatée depuis 2020, on reste loin du niveau de 2019, où 31 404 sorties du territoire avaient été constatées.
2020 | 2021 | 2022 | |
Retours forcés | 9 111 | 10 091 | 11 410 |
Retours spontanés | 1 615 | 1 742 | 1 888 |
Éloignements aidés | 1 658 | 1 570 | 2 098 |
Départs volontaires aidés | 930 | 1 415 | 1 263 |
Total sorties du territoire | 15 949 | 16 819 | 19 425 |
Perspectives – Le ministère du Budget prévoit dans un document annexe au projet de loi de finances 2023 7 200 éloignements et départs aidés exécutés en 2023, 8 000 en 2024 et 2025. L’objectif en matière de retours forcés est exprimé en taux d’éloignement à l’issue d’un placement en centre de rétention administrative : 55 %, alors que ce taux était de 41,5 % en 2021. Au regard de ce manque d’ambition, le gouvernement semble s’accommoder d’une immigration clandestine croissante, au point d’envisager la régularisation massive des étrangers employés dans les métiers dits « en tension ».
La hausse de l’immigration clandestine en Europe continue en 2022
Les Ukrainiens arrivés en France en 2022
Comme de nombreux pays européens, la France a été amenée à accueillir des dizaines de milliers d’Ukrainiens fuyant la guerre dans leur pays. Ils étaient 68 233 à bénéficier fin 2022 d’une autorisation provisoire de séjour. Seuls 2 187 Ukrainiens ont déposé une demande d’asile en France l’année dernière.
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Des perspectives peu réjouissantes
La progression continue de l’immigration extra-européenne, tant légale que clandestine, est-elle susceptible de s’infléchir dans les prochaines années ? Les signaux qui viennent des équipes au pouvoir au sein de l’Union européenne et du gouvernement français permettent d’en douter.
La commissaire européenne aux affaires intérieures, Ylva Johansson, a le mérite de la franchise. Elle ne cache pas le projet de la Commission européenne pour faire face à la baisse de la population dans de nombreux pays membres de l’U.E. : « il est crucial d’ouvrir autant de voies d’immigration légale que possible », déclarait-elle en septembre 2020 (10).
Quant à l’immigration clandestine, le nouveau directeur de l’agence Frontex s’est engagé après une réunion avec la Commission européenne à ne plus pratiquer de « refoulements illégaux » (11). Dans le même temps, Ylva Johansson reconnaissait que l’augmentation du nombre de franchissements irréguliers des frontières de l’espace Schengen est due à l’arrivée d’étrangers qui ne peuvent pas prétendre à la protection internationale et qui doivent donc être reconduits dans leur pays ! Plus récemment, la commissaire européenne a de nouveau fermement refusé la participation de l’U.E. au financement de la construction de murs et de clôtures aux frontières extérieures (12).
Sur le plan national, les prévisions budgétaires du gouvernement montrent qu’il s’attend passivement à la croissance du nombre de demandeurs d’asile, sans prévoir pour autant plus d’éloignements. Le nombre d’étudiants étrangers est lui aussi amené à continuer de croître, conformément à l’objectif fixé par les autorités. La nouvelle loi sur l’immigration prochainement en débat au Parlement devrait faciliter encore plus l’accès des extra-Européens au marché du travail, la hausse de l’immigration de travail entraînant mécaniquement une augmentation du nombre de regroupements familiaux.
Des journalistes ont évoqué en commentant les chiffres de l’immigration en 2022 une très forte pression. Ce terme est-il approprié quand les autorités de notre pays semblent opposer si peu de résistance à ce phénomène qu’ils accompagnent, voire organisent ?
S. Quintinius
01/02/2023
(1) https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Info-ressources/Etudes-et-statistiques/Chiffres-cles-sejour-visas-eloignements-asile-acces-a-la-nationalite/Les-chiffres-2022-publication-annuelle-parue-le-26-janvier-2023
(2) https://ressources.campusfrance.org/publications/chiffres_cles/fr/synthese_chiffres_cles_2022_fr.pdf
(3) https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/bienvenue-en-france-la-strategie-d-attractivite-pour-les-etudiants-internationaux-49178
(4) https://www.assemblee-nationale.fr/14/europe/rap-info/i2920.asp#P319_67002
(5) https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2023/projet-de-loi-de-finances/budget-general/immigration-asile-et-integration
(6) https://euaa.europa.eu/news-events/afghanistan-taliban-restrictions-women-and-girls-amount-persecution
(7) https://www.ofpra.gouv.fr/actualites/lofpra-et-la-protection-contre-les-violences-faites-aux-femmes
(8) http://www.justice.gouv.fr/art_pix/chiffres_cles_2021_web.pdf
(9) https://www.polemia.com/naturalisations-effrayant-manque-exigence-autorites/
(10) https://www.la-croix.com/Monde/Europe/Ylva-Johansson-Il-crucial-douvrir-autant-voies-migration-legale-possible-2020-06-26-1201101991
(11) https://www.taiwannews.com.tw/en/news/4786333
(12) https://www.lematin.ch/story/lue-na-pas-largent-pour-construire-des-clotures-contre-les-illegaux-281497689290