La Grèce, point de mire de toute l’Europe, sortira-t-elle ou non de l’euro ? Cette petite démocratie, dont le peuple ne supporte plus les oukases de Bruxelles, est au bord du chaos généralisé. Plongée dans une paralysie politique depuis les élections de dimanche dernier qui n’ont dégagé aucune majorité, la Grèce rend fous tant les instances européennes que les investisseurs étrangers qui ne craignent qu’une seule chose, qu’elle s’abandonne aux forces anti-rigueur exprimées par les urnes. Françoise Monestier, qui a une bonne connaissance du pays, tente d’apporter un peu de clarté à une situation pour le moins inextricable, qui, c’est à craindre, peut fort bien gagner d’autres démocraties en déliquescence.
Comme l’écrit le journal grec de centre-droit « Kathimerini » en évoquant les élections législatives du 6 mai dernier : « Le peuple grec a mis hier une pierre tombale sur le système partisan qui a gouverné la Grèce pendant trente ans. Il a massivement rejeté le Pasok en tant que système de pouvoir. Il a tourné le dos à la Nouvelle Démocratie. Cependant, il n’a pas donné de solutions sur la manière dont le pays sera gouverné au cours d’une période extrêmement difficile. » Bon diagnostic mais qui ne rend pas compte de la réalité d’un pays qui n’en est pas à sa première tutelle… et constitue un véritable poison pour l’Europe si cette dernière continue à vouloir sauver, coûte que coûte, cet indéfendable partenaire.
Le paysage politique grec est sérieusement sinistré et les deux partis au pouvoir depuis près de quarante ans sont discrédités pour avoir imposé au peuple grec une cure d’austérité dictée conjointement par le FMI, la Banque centrale européenne et le gouvernement de Bruxelles, et pour ne pas avoir mis en œuvre les réformes économiques et fiscales qui auraient pu permettre au pays de s’en sortir mais auraient mis fin aux compromissions levantines qui sont l’apanage d’une classe politique corrompue.
Le vote dominical du 6 mai 2012 reflète la colère d’une population qui a été bernée depuis près de quarante ans par de vaines promesses et des engagements fumeux pour toujours consommer davantage aux frais de la princesse Europe. A eux deux, le Pasok et la Nouvelle Démocratie recueillent 32,5% des suffrages… autant dire une défaite patentée pour les deux formations qui, depuis le début de la crise financière, se renvoient la patate chaude de la dette pour finalement confier les rênes du pays à un valet des marchés financiers, Lucas Papademos, coupable d’avoir fait entrer la Grèce dans la zone euro, après quelques savants maquillages de comptes effectués par Lehman Brothers.
Ottoman un jour…
En 1897 déjà, après la faillite de 1893, la Grèce était sous la triple tutelle de ses créanciers européens. La France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne avaient créé une Commission financière internationale basée à Athènes et chargée de contrôler directement le budget de l’Etat. Grâce à cette tutelle, le pays avait pu emprunter et mettre en œuvre d’importants travaux d’infrastructure, quatre cents ans d’occupation ottomane et soixante-dix ans d’emprunts détournés par la classe politique de l’époque ayant empêché le pays de se moderniser. Après l’achèvement de la libération des territoires et des populations grecques sous domination ottomane arrivent les guerres balkaniques et le Traité de Londres de 1913 qui voit le triplement du territoire grec et le doublement d’une population qui passe à cinq millions de personnes. L’expansionnisme grec en Thrace et en Anatolie se heurte au nationalisme des Jeunes Turcs et de Mustapha Kemal, désireux d’en découdre avec les Grecs. Le Traité de Lausanne met fin à l’aventure grecque avec la tragédie de Smyrne et l’arrivée sur le continent de près d’un million et demi de Grecs levantinisés. La situation financière du pays continue de se dégrader pendant que la classe politique de l’époque multiplie les compromissions, pratique le clientélisme et la corruption. En 1932, une deuxième faillite s’abat sur le pays, même si la Commission financière internationale créée en 1897 siégera à Athènes jusqu’en 1936.
En 1947-1949, enfin, lors de la mise en place du Plan Marshall, les Américains constateront les profondes disparités entre un pays ruiné par la guerre civile et des banquiers et des marchands prospères filant le parfait amour avec des responsables politiques mendiant l’aide étrangère et ne se préoccupant absolument pas de la pauvreté du peuple. Seuls les Colonels, mais sur une durée trop courte, mettront en pratique une vraie justice sociale et seront finalement lâchés par Washington au moment de la désastreuse affaire de Chypre.
Vers un coup d’État militaire ?
Le nouveau responsable de la Nouvelle Démocratie, Antonis Samaras, est largement responsable du chaos dans lequel il vient de précipiter son pays et l’Europe. N’est-ce pas lui qui a exigé, au lendemain de la démission de Georges Papandreou, de nouvelles élections législatives ? Il souhaitait devenir premier ministre et rafler ainsi la mise. En fait, il n’a réussi qu’à aggraver la crise et à ressusciter une extrême gauche radicale, habituée aux combats et bien décidée à mener la bataille de la rue avec l’aide des immigrés clandestins. Un temps ministre des Affaires étrangères au début des années 1990, Samaras n’avait pas de mots assez durs à l’égard du voisin de Macédoine yougoslave issue de l’éclatement de la Yougoslavie titiste, et il a toujours pratiqué la politique du pire. En 1992, après avoir provoqué la chute du gouvernement, il crée un parti droitiste, le Printemps politique, et défend l’immigration albanaise. Il fait venir, dans la ville grecque de Ioannina, des contingents entiers d’Albanais afin de les présenter à des chefs d’entreprise désireux d’avoir une main-d’œuvre à bon marché pour le plus grand bonheur du patronat hellène… et de la mafia albanaise. Après le coup raté de dimanche dernier, son avenir semble compromis…
Ce n’est pas le cas d’Alexis Tsipras, jeune communiste ambitieux fédérateur de l’extrême gauche grecque. Il se présente comme le fils naturel d’Olivier Besancenot et de Jean-Luc Mélenchon. Bref, tout un programme. Communiste inféodé à Moscou dans sa jeunesse, il rejoint, pour les législatives de 1989, le Synaspismos, coalition nouvellement créée regroupant d’anciens fidèles de Moscou et des communistes partisans d’une Grèce ancrée dans l’Europe. Quelques années plus tard, il participe à la constitution du mouvement Syrisa qui regroupe, outre ses anciens camarades, des trotskystes, des maoïstes… et des écolo-communistes. Bref, un véritable inventaire à la Prévert. En 2006, l’ingénieur Tsipras rafle la troisième place aux municipales d’Athènes avec 10% des voix. Deux ans plus tard, il prend la tête de cette coalition d’extrême gauche et exploite les émeutes de 2008 à Athènes, après l’assassinat d’un jeune bobo de quinze ans par les forces de l’ordre. Il devient député en 2009 et se pose en farouche opposant des plans d’aide à la Grèce en contrepartie d’une cure d’austérité. Symboliquement, il a raflé dimanche dernier la première place dans la circonscription de Papandreou dans le Péloponnèse.
Cet incontestable succès est à partager avec les nouveaux élus de Chryssi Avghi (Aube dorée), un mouvement populiste d’extrême droite qui est implanté depuis des années dans les faubourgs des grandes villes et qui a déclaré la guerre aux prières de rue, en particulier à Athènes. Les militants de ce mouvement sont très présents dans les quartiers occupés, aident les personnes âgées à retirer de l’argent dans les distributeurs ou organisent des distributions de vêtements et de nourriture. Ils ont obtenu 21 sièges dans la nouvelle assemblée, dont 7 à Athènes et au Pirée, 2 dans la ville de Thessalonique, le reste se répartissant dans l’ancien fief de la famille Caramanlis à Serrés ou dans la région de Corinthe, très touchée par les problèmes d’insécurité liés à l’immigration arabo- musulmane.
Pour l’instant, le pays est ingouvernable et les deux partis arrivés en tête aux élections ont dû renoncer à constituer un gouvernement. Le nouveau responsable du Pasok, Evangelos Venizelos, ancien ministre de l’Économie, tente de constituer un gouvernement avec la droite, un dirigeant de la gauche dissidente et Alexis Tsipras, opposé au mémorandum d’accord de la Grèce avec les bailleurs de fonds du pays. Les Bourses européennes dans leur ensemble ont dévissé et certains financiers européens seraient sur le point de perdre patience, exaspérés par les exigences des dirigeants hellènes. Certains d’entre eux n’hésitent d’ailleurs pas à évoquer la possibilité d’une sortie du pays de l’euro, mais Cohn-Bendit veille au grain, plaide pour le maintien du bourbier grec et veut à toute force que le Pasok, la Nouvelle Démocratie et l’ultra-gauche trouvent un terrain d’entente. Il va même jusqu’à agiter la menace d’un coup d’Etat militaire dans ce pays où le désespoir rend tout possible.
Françoise Monestier
11/05/2012
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