Sous l’intertitre « l’influence d’Israël » Le Monde daté du 3 septembre écrit « John Kerry a indiqué ne pas pouvoir envisager que le Congrès vote contre [le bombardement de la Syrie]. Laissant préfigurer l’argumentation de l’administration, il a mis en avant Israël, dont le réseau d’influence est connu pour son efficacité au Capitole ». Selon le Washington Post du 4 septembre : « les groupes pro-israélien et juifs soutiennent fermement l’option d’un raid militaire contre la Syrie et demandent un consensus bipartisan autour de l’usage de la force américaine ». (Pro-Israel and Jewish groups strongly back military strike against Syria). Pour éclairer cette situation Polémia rediffuse l’analyse que nous avions publiée en 2007 du livre de John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, professeurs émérites à Chicago et Harvard sur « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine ». Un livre essentiel pour comprendre la succession des guerres de « l’empire du bien » au Proche-Orient. Polémia
« Depuis ces dernières décennies, et en particulier depuis la Guerre des Six Jours en 1967, la pièce maîtresse de la politique moyenne-orientale des États-Unis a été sa relation avec Israël. La combinaison du soutien constant à Israël et de l’effort lié pour répandre la “démocratie” dans toute la région a enflammé l’opinion arabe et islamique et a compromis non seulement la sécurité des États-Unis mais celle d’une grande partie du reste du monde.
« Cette situation n’a pas d’égale dans l’histoire politique américaine.
« Pourquoi les États-Unis ont-ils été prêts à mettre de côté leur propre sécurité et celle de plusieurs de leurs alliés pour soutenir les intérêts d’un autre État ? »
Telles sont les premières lignes d’un article, publié dans le numéro du 23 mars 2006 de la « London Review of Books » (LRB), sous le titre « The Israel Lobby », avec pour auteurs John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, l’un et l’autre professeurs émérites, le premier à l’Université de Chicago, le second à la Kennedy School of Government de Harvard. En fait, cet article avait été commandé dès 2002 par le mensuel « The Atlantic Monthly » qui, après avoir pris connaissance du travail des deux universitaires, avait renoncé à le publier. Les auteurs ont pensé le soumettre à d’autres revues mais ils se sont vite rendu compte qu’ils n’arriveraient pas à leur fin. Aussi décidèrent-ils de renoncer et de laisser leur texte de côté.
Bien leur en a pris, puisque c’est alors que la rédactrice en chef de la LBR les a sollicités et que le manuscrit a été publié.
« [La thèse] que nous avancions dans l’article était simple et directe. Après avoir fait état du soutien matériel et diplomatique considérable que les États-Unis fournissent à Israël, nous soutenions que des motifs d’ordre stratégique ou moral ne suffisaient pas à l’expliquer complètement. A nos yeux, ce soutien était en grande partie dû à l’influence politique du lobby pro-israélien, un ensemble d’individus et d’organisations travaillant activement à l’orientation de la politique étrangère américaine dans un sens pro-israélien. » Forts des expériences comme celles du conflit israélo-palestinien, de la guerre en Irak et des tensions avec la Syrie et l’Iran, « nous suggérions que cette politique était contraire aux intérêts des États-Unis et qu’elle était même nuisible aux intérêts à long terme d’Israël. »
Les réactions furent aussi immédiates que violentes. Après un foisonnement de critiques venant du lobby dénoncé par les auteurs et de ses membres, ce fut l’Anti-Defamation League (ADL) accompagnée des chroniqueurs du « Jerusalem Post » et des grands journaux américains qui brandirent la bannière de l’antisémitisme. Or les auteurs, qui exercent depuis de nombreuses années dans leur université respective, ne sont pas considérés comme des anticonformistes. Ils se placent constamment du point de vue de ce qu’ils appellent « l’intérêt national des États-Unis » pour exposer leurs critiques. En revanche, à l’étranger, l’article a généralement été bien perçu, avec même certains échos positifs en Israël. La controverse a donc fait l’objet d’une assez grande couverture médiatique, même si, en France, nos médias, très introvertis, ont été d’une discrétion exemplaire, comme ils savent si bien le faire sur les sujets qui fâchent.
La diatribe a débloqué la situation et « il semble que de plus en plus de monde ait compris qu’il fallait mettre ce sujet sur la table, et de plus en plus de gens n’ont pas demandé mieux que de pouvoir parler ».
C’est tout naturellement que John Mearsheimer et Stephen Walt ont pensé que, même s’ils avaient déjà dit l’essentiel, un livre ferait progresser le débat. L’ouvrage a donc été publié aux États-Unis en septembre 2007 et son jeune frère en français, avec un titre traduit littéralement « Le lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », a vu le jour en octobre dernier ; chef-d’œuvre d’érudition et de documentation, il consacre aux notes 23% des pages.
« Mearsheimer et Walt réussissent facilement à construire leurs arguments qui démontrent que le soutien des USA à Israël ne peut s’expliquer par des raisons ni stratégiques ni morales. Seul le pouvoir du lobby d’Israël peut expliquer l’amenuisement des causes morales et stratégiques qui ne cesse de s’amplifier avec le soutien d’Israël par les États-Unis, même au détriment de leurs intérêts stratégiques et nationaux. En fait, le pouvoir exécutif et législatif sont si totalement compromis par le lobby que les différents éléments de la politique US sur le Moyen-Orient “ont été conçus entièrement ou en partie au profit d’Israël, contre ses divers rivaux” », écrit, le 14 novembre 2007, Paul Craig Roberts (*).
Trois grandes parties :
– Le lobby et la politique américaine au Moyen-Orient ;
– Le mode opératoire du lobby ;
– Pourquoi est-il si difficile d’évoquer le lobby pro-israélien ?
« Nous avons trois devoirs à remplir », écrivent les auteurs, « nous devons convaincre les lecteurs :
– que les États-Unis fournissent à Israël un soutien matériel et diplomatique hors du commun ;
– que l’influence du lobby en est la raison principale ;
– que le soutien inconditionnel va à l’encontre de l’intérêt des États-Unis. »
Le développement des arguments se fera au cours de 11 chapitres dont le dernier explore divers moyens d’améliorer la situation.
La conclusion du livre pose sans ambage la question : Que faire ?
J. Mearsheimer et S. Walt apportent des solutions précises qui peuvent paraître trop générales au lecteur européen non familiarisé avec les véritables enjeux. Mais la force de conviction des auteurs incite à poursuivre la lecture jusqu’à la dernière ligne de la 390e page, les 110 dernières étant réservées aux notes.
Nous demanderons à nouveau à Paul Craig Roberts de conclure : « Il n’y a rien d’antisémite à propos de ce livre. Mearsheimer et Walt ne remettent pas en cause le droit d’Israël à exister ni la légitimité de l’État israélien. Ils estiment que les États-Unis doivent défendre Israël contre les menaces à sa survie. Ils ont même de la considération pour l’AIPAC, l’American Israel Public Affairs Committee, à titre de lobby américain légitime et non pas en tant qu’agent d’un État étranger. »
René Schleiter
27/11/07
Notes
- (*) Paul Craig Roberts est économiste, ancien secrétaire adjoint au Trésor dans l’administration Reagan.
- John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt, « Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine », La Découverte, 500 p., 20 euros.