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« Surtout ne rien décider » de Pierre Conesa

« Surtout ne rien décider » de Pierre Conesa
« Surtout ne rien décider » de Pierre Conesa

« Il faut par conséquent apprendre à ne pas décider, tout en ayant l’air de le faire. »

« On ne dit pas : “Je ferai” », on fait », professait Henri IV. Las ! Depuis bien des décennies, pour ne pas dire quelques siècles, les gouvernants occidentaux en général et français en particulier font beaucoup de promesses (qui, selon la célèbre formule, n’engagent que ceux qui y croient), ce qui semble les dispenser d’agir. Le livre de Pierre Conesa, « Surtout ne RIEN décider », sous-titré « Manuel de survie en milieu politique (avec exercices pratiques corrigés) », est le terrible constat de cette procrastination générale qui conduit à l’immobilisme, puis au naufrage d’une nation. J.L.

L’art suprême de la non-décision

« En politique le ridicule ne tue pas, seule la réforme est létale », énonce Pierre Conesa, fort de son autorité d’agrégé d’histoire et d’ancien élève de l’ENA. « Il faut par conséquent apprendre à ne pas décider tout en ayant l’air de le faire. […] Apprendre l’art suprême de la non-décision en laissant une trace dans l’histoire, tel est l’objet de ce petit livre qui livre clés en main les techniques à connaître pour donner l’illusion de l’action sans jamais rien décider. »

Le président François Hollande et son nouveau premier ministre Manuel Valls ont-ils médité ce cruel manuel de survie – qui n’est pas sans rappeler le pamphlet de Zoé Shepard sur l’administration française, Absolument dé-bor-dée ! (*) – ou maîtrisaient-ils déjà toutes les techniques de la non-décision ? Certes, Hollande s’était lancé dans l’adoption du « mariage pour tous », mais c’est parce que lui-même et son équipe, trompés par les sondages sociétaux et convaincus que cela passerait comme une lettre à la poste, n’avaient pas envisagé une minute la révolte du pays profond. Mais on ne les y reprendra plus. Si décrié par certains élus socialistes qui menacent de ne pas le voter, leur plan d’économies de 50 milliards d’euros ne prévoit rien dans l’immédiat, alors même que notre situation financière est dramatique. Les résultats annoncés en ce qui concerne la Sécurité sociale, par exemple, ne prendront effet qu’en 2017 alors qu’il suffirait de supprimer CMU et AME – soit les principales pompes aspirantes de l’immigration-invasion, comme disait Giscard… après avoir quitté l’Elysée – pour combler dès cette année une bonne partie du fameux « trou de la Sécu ». Quant à la résolution du « mille-feuilles territorial », si souvent déploré mais jamais démantelé, par le regroupement des régions et l’abolition des conseils généraux faisant double emploi avec les conseils régionaux, elle est fixée à… 2021.

Ce qui confirme la véracité et l’actualité du « théorème de la non-décision », également appelé principe de Bartleby (du nom du personnage de Herman Melville) :

« L’art de la non-décision consiste à se préserver avec assurance, détermination et méthode de toucher à toute réforme inévitable, pour la léguer aussi intacte que possible à son successeur. »

Ce qui fut l’obsession de Jacques Chirac dont Hollande se veut le disciple, et pas seulement en Corrèze : « Il est parvenu à tenir près de cinquante ans de vie politique, jalonnée de maroquins ministériels, à deux reprises premier ministre et enfin deux fois chef de l’État, tout en n’attachant son nom à aucune grande réforme de la société française », rappelle Pierre Conesa qui note d’autre part qu’ « une non-réforme réussie consiste non pas à s’attaquer au problème mais à l’aménager en faisant supporter les conséquences à des tiers, de préférence exclus du débat ». Et de citer la scandaleuse « intégration du régime inchangé des retraites de la SNCF au régime général, décidée par Nicolas Sarkozy » et qui coûte « 1,5 milliard d’euros par an aux autres salariés ».

Ainsi, comme dans beaucoup de sociétés sclérosées, « les réformes indispensables à la survie sont bloquées par les bénéficiaires qui survivent dans les délices culturelles des sociétés finissantes… C’est ainsi que sont mortes les sociétés d’Ancien Régime et plus récemment le système communiste ».

L’exemple magyar

Certes, on ne peut trop jeter la pierre aux gouvernements successifs incapables (ou refusant) de remédier aux dysfonctionnements mortifères tant « les Français détestent les réformes et adorent les révolutions ». Les torts sont ainsi partagés. Mais la vocation et la noblesse du politique sont-elles de complaire aux citoyens pour acheter leur vote ou de se battre au contraire pour le bien de la cité ?

La classe dirigeante française ferait bien de s’inspirer de l’exemple du président magyar Viktor Orbán qui, malgré des oppositions internes et la virulente hostilité de Bruxelles et du FMI flétrissant son « populisme », avait opéré dès son retour au pouvoir en 2010 une révolution sans précédent, à la fois étatiste ou libérale selon les secteurs concernés. Afin de relancer la consommation et donc la croissance, des strictes mesures accompagnées de la réduction du nombre des fonctionnaires (et de l’interdiction des primes dans la fonction publique !), de l’encadrement des chômeurs contraints à des travaux d’intérêt général et d’une réforme fiscale très ambitieuse ont été prises. Résultat : gravement déficitaires en 2010, les comptes courants de la Hongrie sont redevenus excédentaires, le chômage a régressé d’un tiers, le pays a remboursé sa dette au FMI avec un an d’avance, les prévisions de croissance sont de 2% pour 2014, le double de la zone euro… et les élections législatives d’avril ont été triomphales pourViktor Orbán. En récompense de son empirisme organisateur et de sa volonté réelle de réforme, le voici assuré de conserver sa majorité des deux-tiers au Parlement de Budapest.

Jacques Langlois
25/04/2014

Pierre Conesa, Surtout ne rien décider. Manuel de survie en milieu politique, avec exercices pratiques corrigés, Éditions Robert Laffont, 2014, 140 pages.

(*) Sous-titré : Le Paradoxe du fonctionnaire : Comment faire… 35 heures en un mois, Ed. Points/Albin Michel, 2010.

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