J’ai fait mon service militaire pendant la Guerre d’Algérie, pendant deux longues années. Plus tard, j’ai été nommé directeur à l’Otan du temps de la Guerre froide. J’ai eu enfin le privilège d’être conférencier à l’École supérieure de guerre pendant un certain nombre d’années. C’est dire l’attachement profond, et le respect, que je ressens pour l’institution militaire et les hommes qui l’incarnent. Car l’armée française représente, en effet, à mes yeux, un des derniers viviers de notre société qui cultive encore, dans la discrétion, les qualités d’honneur, de sacrifice, de courage et de patriotisme tant vilipendées aujourd’hui dans tant de secteurs de notre pays.
La tristesse de la mort de ces quatre soldats, venant après tant d’autres, ne peut manquer de nous affecter profondément. Mais avant même de se demander s’il devient urgent de rapatrier notre contingent et dans quels délais, débat qui fait les délices tardives de nos candidats en campagne, il conviendrait, sans doute, de se poser au préalable la question de savoir pourquoi ils ont été envoyés là-bas.
J’avais, pour ma part, tenté de répondre par avance à ces douloureuses interrogations par divers articles (qui figurent, pour la plupart, dans ce même blog). J’y développai plusieurs idées qui sont devenues, au fil du temps, des vérités d’évidence.
La première était que, comme au Vietnam naguère, cette guerre était clairement ingagnable, « a no-win war », comme le disent les Américains (La guerre en Afghanistan le 2 décembre 2009). C’est bien ce dont on commence à se rendre compte aujourd’hui.
La seconde était que le retrait d’Afghanistan s’inspirerait très vraisemblablement du « processus vietnamien » qui devait permettre, au moins pour un temps, de sauver la face (Vietnam et Afghanistan le 9 juillet 2011). Il s’agirait de la décision de créer une force purement autochtone destinée à relever les troupes alliées, comme jadis au Sud Vietnam. On déclarerait ensuite avec solennité que, la guerre étant gagnée, comme autrefois au Vietnam, il devenait possible de se retirer dans l’honneur du champ de bataille, ce que l’on se propose de faire au plus tôt. Il va sans dire que cette retraite entraînerait dans l’instant le retour sur scène des Talibans comme cela avait été le cas avec l’irruption de l’armée du Nord Vietnam sur les talons des Américains.
La troisième réflexion était que le renforcement de l‘engagement français en Afghanistan sous l’actuel président de la République était en quelque sorte la conséquence logique du retour de la France à l’Otan (La Libye, l’Otan et l’Afghanistan le 17 mai 2011). Il fallait bien, en effet, donner la preuve que la France était redevenue un bon et fidèle allié de l’Oncle Sam, d’où la décision de porter le contingent français d’une petite centaine de conseillers sous Jacques Chirac à 4.200, au plus haut de notre participation, et de l’engager dans des zones de combat dangereuses (contrairement aux Allemands).
Mais le prix à payer pour cette initiative guerrière a été lourd : 82 soldats tués (et combien de blessés ?), dont les derniers dans les circonstances navrantes que l’on sait, abattus par traîtrise dans le dos par un fanatique. Décidément, l’idée que nos instructeurs puissent construire une armée afghane fiable et combative dans des conditions acceptables semble bien prendre l’eau.
C’est qu’une dernière leçon se dégage de cette tragédie. Time Magazine rapportait dans un de ses derniers numéros un état de choses fort inquiétant en Afghanistan, à savoir le terrible mépris réciproque existant entre les troupes alliées, notamment américaines, et les soldats afghans, ceci entretenant cela. On comprend mieux dans cette situation le geste stupide et criminel de marines américains urinant sur le cadavre de leurs ennemis, ce qui aurait provoqué le geste fou du tueur afghan. Bien entendu, comme il se doit en pareilles circonstances, le commandement s’est empressé de déclarer qu’il s’agissait d’un acte isolé. Bien entendu. Mais poursuivre l’instruction de l’armée afghane avec le risque permanent d’un coup de feu dans le dos est beaucoup demander de l’abnégation de nos troupes.
Dès lors, la question qui vient naturellement à l’esprit est de savoir si cela valait effectivement la peine d’y envoyer nos hommes, et pourquoi, alors que la perspective d’un retour à l’horizon de 2014 est déjà actée.
Le curieux de la chose, qui révèle la profondeur de la veulerie de nos médias et de nos politiques, est que jusqu’ici aucune voix autorisée ne se soit élevée pour poser cette même question. Sans doute la Gestapo ne risque-t-elle guère de sonner à nos portes à 6h du matin en ce début de siècle. Mais les réflexes de couardise jouent comme si cela était déjà le cas. Il semblerait que notre pays n’ait guère fait de progrès en matière de courage politique, ou de courage tout court, depuis 1942, l’année terrible de la Deuxième Guerre mondiale. Où sont les Zola ou les Clemenceau ou les De Gaulle de jadis ? La race en serait-elle éteinte comme celle des dinosaures ?
Yves-Marie Laulan
24/01/ 2012