Par Pierre Boisguilbert ♦ Dans ce dossier de rupture de contrat des sous- marins australiens sous la pression de Washington et Londres, la France est doublement fragilisée. Elle tient le rôle de l’arroseur arrosé et surtout personne ne peut croire en sa volonté dans cette région d’assurer dans la continuité son rôle de puissance majeure. La nouvelle alliance anglo-saxonne doute de la solidité française.
Retour de bâton
Notre pays est un insupportable donneur de leçons. Mais Paris devrait se souvenir que la France a fait à d autres, en pire, ce qu’elle se plaint de subir. En septembre 2014, après l’annexion de la Crimée par la Russie, le président François Hollande conditionnait la livraison de deux porte-hélicoptères Mistral à la signature d’un cessez-le-feu, prélude à un règlement politique à la crise. Poutine n’en a tenu aucun compte. Ce qui a provoqué une rupture unilatérale du contrat signé en 2010, sous la présidence Sarkozy, et estimé à 1,3 milliard d’euros. A l’issue d’un accord de règlement rendu public en août 2016, la France a dû rembourser les sommes avancées par la Russie, soit près d’un milliard d’euros. Les deux navires de classe Mistral, des bâtiments de projection et de commandement (BPC), avaient été construits aux Chantiers de l’Atlantique à Saint-Nazaire (STX à l’époque), sous la maîtrise d’œuvre de DCNS (l’ancien nom de Naval Group). Ils ne sont pas restés en cale sèche pour autant. Sept semaines seulement après la résiliation de la vente des deux navires à la Russie, la France avait déjà trouvé un repreneur : la marine égyptienne, qui venait d’acheter à la France des avions de combat Rafale. L’Égypte pourrait, elle, nous racheter, avec l’argent saoudien bien sûr, nos sous marins ex-australiens.
En octobre 2016 également, la Pologne déclarait renoncer à un contrat de 13,5 milliards de zlotys (soit 3,13 milliards d’euros) avec Airbus, portant sur la livraison de 50 hélicoptères militaires de type Caracal. Il préférait opter pour des Black Hawk américains. Raison officielle invoquée à l’époque : les compensations industrielles proposées par l’hélicoptériste n’étaient pas à la hauteur. Elles étaient pourtant jugées conséquentes, voire démesurées par les équipes d’Airbus Helicopters à l’époque, qui comptaient faire de la Pologne la deuxième base industrielle de l’entreprise après la France. Déjà raté.
Mais ces précédents n’ont eut aucun impact sur des réactions françaises assez peu diplomatiques. Au lendemain du rappel des ambassadeurs français des États-Unis et d’Australie, Jean-Yves Le Drian s’est exprimé sur le plateau de France 2 au sujet du torpillage du contrat des sous-marins avec Canberra. Il a notamment dénoncé la façon dont Joe Biden a annoncé la rupture de ce contrat.
Une méthode Biden qui ressemble, selon lui « à celle de Trump », « sans les tweets et avec une forme de déclaration solennelle assez insupportable ». Biden pire que Trump, comme quoi ! Et il poursuit : « Quand on voit le président des États-Unis et le premier ministre australien, accompagnés de Boris Johnson, annoncer avec tant de solennité cette rupture et des engagements nouveaux, il y a de quoi s’interroger sur la force de l’alliance ».
La Nouvelle-Calédonie, caillou dans la chaussure française ?
C’est peut être la clé du problème. Il y a bien sur des raisons techniques mais l’essentiel est ailleurs. Cet achat s’inscrit dans une alliance maritime destinée à contrer les ambitions chinoises. Comment croire en l’efficacité de l’alliance française alors que notre pays donne l’impression de vouloir abandonner sa souveraineté sur la Nouvelle-Calédonie. On fait tout pour que notre présence se limite à quelques confettis touristiques. La Nouvelle-Calédonie indépendante inquiète nos alliés puisque fatalement elle deviendrait une terre ouverte aux investissements chinois et aux ambitions Géopolitiques de Pékin. Le Drian affirme « Quand on est alliés on ne traite pas avec une telle brutalité et une telle imprévisibilité un partenaire majeur qu’est la France. » Hors la France donne l’impression de ne pas avoir la volonté d’assumer par le maintien de sa souveraineté son statut dans la région de partenaire majeur.
Et de trois en effet ! Indépendantistes et loyalistes de Nouvelle-Calédonie ont lancé en août leur campagne pour le troisième et dernier référendum sur l’indépendance, qui aura lieu le 12 décembre, dans le cadre du processus de décolonisation de l’accord de Nouméa (1998). Entre les deux premiers scrutins. L’intitulé explique bien sur l objectif. Les 4 novembre 2018 et 4 octobre 2020, les partisans du maintien de l’archipel dans la France ont vu fondre leur avance en voix de moitié, de 18 535 à 9 965, et leur score rétrograder de 56,67 % à 53,26 %.
On l’aura compris, en vertu de l’idéologie anticoloniale, on fera voter les Calédoniens jusqu’à ce que les Kanaks – victimes racialisées – l’emportent. Ce troisième scrutin était réclamé par les indépendantistes. « Le gouvernement est évidemment pleinement mobilisé pour garantir la bonne tenue de ce scrutin afin qu’il produise un résultat incontestable pour tous et respecté par tous. Une période de stabilité, de discussions et de transition de 18 mois s’ouvrira à l’issue de ce vote », a déclaré Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, lors du compte rendu du conseil des ministres.
Le résultat incontestable ce sera donc à l’usure le vote pour l’ indépendance. Comment croire que ce pays qui ne veut pas rester peut être considéré comme un allié fiable et majeur dans cette zone du pacifique ?
Le caillou n’aura pas été pour rien dans l’humiliation diplomatique et commerciale de l’affaire des sous-marins français.
Pierre Boisguilbert
20/09/2021