Par Didier Beauregard, essayiste ♦ Les événements de Sisco ont jeté une lumière crue sur les réalités des enjeux identitaires de notre pays. Ils ont mis en exergue, de manière particulièrement violente, la mécanique des rapports de force entre les communautés à partir de l’articulation du couple territoire et identité.
Les Corses ont envoyé à la France contemporaine un message fort qui rompt avec les représentations dominantes de notre modernité idéologique : celui de la solidarité communautaire qui s’exerce sur un territoire totalement identifié à une communauté bien délimitée.
Cet événement brutal et « tribal » restitue le lien anthropologique fondamental qui structure les groupes humains, la différenciation entre le « nous » et « l’autre », le semblable et le différent, l’autochtone et l’étranger. Tout ce que l’idéologie du « vivre-ensemble » rejette, nie et diabolise.
L’enjeu du lien d’appartenance
Les Corses ont réagi collectivement à une situation de violence avec la spontanéité d’une société « traditionnelle » où le lien communautaire est encore le fondement du sentiment d’appartenance. La Corse, compte tenu de ses spécificités culturelles, est probablement le seul coin de France où ce type de réaction peut se produire avec une telle vigueur. En France continentale, où le sentiment d’appartenance s’est très largement dissous face au triomphe de l’individualisme contemporain et le déracinement global des populations, ce lien entre identité et territoire a quasiment disparu et ne peut trouver d’expression collective. L’agression de Toulon sur des femmes en short et leurs époux est impensable en Corse sans susciter en retour une riposte musclée de la population.
Ce sentiment d’appartenance n’a rien d’idéologique ; toutes les sensibilités politiques locales ont fait preuve de solidarité envers la population villageoise et le maire socialiste de Sisco s’est bien gardé de pointer un quelconque « racisme » de ses administrés. On voit là l’abîme culturel qui sépare la Corse du Continent.
L’affaire de Sisco nous confronte donc à la question centrale de l’appartenance et de l’identité qui est au cœur, de fait, de l’enjeu migratoire et de ses récurrences idéologiques.
C’est bien parce que nous ne sommes plus capables de dire qui nous sommes et de fixer les barrières qui délimitent l’appartenance et la non-appartenance que le phénomène migratoire nous plonge dans un tel état de désarroi et de fragilité. Il souligne en creux la vulnérabilité d’individus qui n’ont plus de référents collectifs évidents qui forgent les liens d’appartenance et de solidarité, et l’incapacité, face à ce vide, de trouver des réponses à des situations anxiogènes et déstabilisantes.
La question du burkini s’inscrit bien dans cette problématique. Faute d’assumer clairement un choix identitaire pour refuser le burkini en se réfugiant derrière les prétextes du trouble à l’ordre public, la société française se perd dans des débats politiques et idéologiques sans issue, où quelques « petits juges » hauts fonctionnaires, qui ne représentent qu’eux-mêmes, peuvent, en définitive, imposer leur loi.
Au pays de Brigitte Bardot…
Le sentiment populaire, pourtant, massivement, se sent agressé par cette tenue qui bafoue tout ce que la culture française, et européenne, porte en elle depuis toujours dans le rapport Homme/Femme. Nous sommes bien au cœur d’une problématique identitaire essentielle qui n’ose dire son nom, alors qu’il serait si simple d’affirmer que cette tenue, qui occulte absolument le corps de la femme dans le lieu – la plage – où, par excellence, notre culture magnifie la liberté des corps, est par nature incompatible avec nos manières de vivre.
Tout n’est pas compatible et conciliable et le « vivre-ensemble » n’est qu’une supercherie, s’il permet un détournement de l’espace public au profit d’une identité qui nie les valeurs de l’identité dominante et historique. Au pays de Brigitte Bardot et de Dieu créa la femme, le burkini est une insulte à l’intelligence civilisationnelle !
Territoire et identité
Nous retrouvons là la problématique du rapport fondamental entre territoire et identité. L’espace public, contrairement à ce que dit la doxa moderne, n’est pas un lieu « neutre », où chacun est appelé à se fondre dans une « non-visibilité » de bon aloi. L’espace public est aussi le lieu où les identités se côtoient et se confrontent et, forcément, il restitue, d’une manière ou d’une autre, les rapports de force et les tensions entre les différentes communautés qui l’occupent ou le traversent.
Les familles musulmanes qui à Sisco ont voulu « privatiser », c’est-à-dire islamiser, une plage en chassant les mécréants qui s’y trouvaient ont probablement cru que le rapport de forces était à leur avantage ; la violence en retour qu’elles ont subie les ont vite rappelées à la dure réalité. Sauvées de justesse de la colère villageoise par l’arrivée de la police et des pompiers, elles ont décidé de quitter la Corse après leur mésaventure. Arrêté municipal ou pas, loi ou pas loi, il y a fort à parier que la mode du burkini se fera à l’avenir discrète sur les plages corses. La réappropriation violente du territoire par l’identité traditionnelle a en quelque sorte rapidement réglé le problème en termes de rapports de force. Parions, a contrario, que sur le territoire continental la présence du burkini va proliférer sans susciter d’autres réactions qu’un bavardage impuissant où tous les arguments se neutralisent dans le brouhaha médiatique.
Le rapport de forces identitaire dans l’espace public est bien aujourd’hui un enjeu central de la question migratoire liée à la présence désormais massive de l’islam dans les pays d’Europe. Tant que les solidarités locales ne joueront pas de manière sensible pour maintenir une identité européenne dominante dans l’espace public, les signes de l’islamisation de cet espace se multiplieront inexorablement. Il faut sur ce point absolument balayer la dialectique molle de ceux qui s’offusquent de la prétendue virulence de la polémique sur un sujet jugé futile et secondaire comme le burkini. Les islamistes, djihadistes ou juste traditionalistes, savent très bien ce qu’ils font en transformant les représentations culturelles de l’espace public ; en changeant la nature visible d’une société, ils visent aussi à en transformer l’essence même. Là où l’islam militant ne se sentira pas assez fort, le burkini restera juste une présence visible dérangeante ; là où il se sentira dominant, il contraindra petit à petit les femmes musulmanes à porter la tenue de bain musulmane, la contrainte psychologique peut suffire, et chassera, sans même forcément le besoin de pression physique, les autres femmes qui ne se sentiront plus chez elles.
Le prétendu « droit à la différence » des prétendus esprits « progressistes » ne fait qu’entériner sur la durée le processus de partition géographique ethno-culturel qui se déroule sous nos yeux.
Ne plus compter que sur l’Etat
Les Corses ont montré qu’ils ne supportaient pas cette transformation identitaire de leur territoire construite sur un rapport de forces physique. Les Européens, dans leur ensemble, sont totalement désarmés face à un conflit qu’ils ne peuvent assumer faute de solidarités organiques opérationnelles. L’exemple de la nuit de Cologne est à cet égard particulièrement symptomatique. Dans aucun autre espace culturel au monde que l’Europe, des centaines d’hommes étrangers n’auraient pu agresser en bande des femmes indigènes sans provoquer une réaction extrêmement violente des populations locales. Le plus stupéfiant dans cette affaire de la Saint-Sylvestre n’est pas l’agression elle-même, mais l’absence totale de réponse de la foule environnante ! Le lien collectif dans nos métropoles, mais aussi dans nos villes et villages, a tout simplement disparu.
Les populations européennes, face à la violence des événements qui les frappent, dont le terrorisme n’est que la partie la plus spectaculaire, prennent peu à peu conscience que la réponse à leurs craintes ne relève plus du cadre politique institutionnel censé les protéger. Au contraire, même, leurs dirigeants, tout particulièrement dans le contexte institutionnel européen, s’affirment comme les plus ardents promoteurs de cette société « ouverte » que les peuples subissent sans la désirer et leur ligne politique consiste d’abord à soumettre les populations indigènes à l’inéluctabilité de ce nouvel ordre mondial : une politique relayée par les Etats européens.
L’indifférence abyssale d’Angela Merkel aux sentiments de son peuple, et du reste de l’Europe, face à la vague d’immigration de masse qu’elle a suscitée est un exemple qui fera date dans l’histoire !
Les peuples d’Europe sont seuls face à leur destin et la réponse politique à ce qu’on leur impose comme un mouvement inéluctable de l’histoire doit venir aussi de leur capacité à résister directement, c’est-à-dire à se mobiliser au plus près des réalités du terrain pour faire face aux bouleversements non souhaités que subit leur environnement quotidien. C’est la principale leçon que l’on peut tirer des événements de Sisco. L’avantage du rapport de forces sur le terrain est resté à la population locale parce que celle-ci a fait preuve d’une solidarité sans faille. Le message est clair : il n’est pas possible sur notre territoire de s’en prendre à l’un des nôtres, ou de transformer par la force notre cadre traditionnel, sans une réaction violente et immédiate de notre collectivité : une réaction quasi impensable en France continentale. La récente mobilisation de la population à Calais est toutefois un premier pas vers une volonté autochtone de réappropriation du territoire.
Reconstituer les solidarités organiques est donc bien un défi majeur pour les populations européennes face aux violences à caractère de plus en plus identitaire qui imprègnent leur environnement. Cette solidarité, malheureusement, ne pourra ignorer la dimension de la confrontation physique qui devient un enjeu central du contrôle de l’espace public face au repli des populations blanches dans les quartiers et les lieux qui se communautarisent (ce que les Anglo-Saxons appellent le « white flight »). La radicalité de la réaction corse à Sisco a montré que cette dimension est bien devenue un élément incontournable des rapports de force communautaires.
Didier Beauregard
9/09/2016
Correspondance Polémia – 11/09/2016
Image : Identité corse
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