Avoir été en délicatesse avec la justice constitue-t-il un atout de poids pour accéder à la présidence du Conseil constitutionnel ? Ce fut en tout cas le cas pour l’ancien ministre mitterrandien des Affaires étrangères Roland Dumas et de l’ancien Premier ministre également mitterrandien Laurent Fabius. En fonction, lui, depuis le 8 mars 2016 et qu’au terme de ses trois mandats, le chef de l’État a officiellement annoncé le 10 février vouloir remplacer par Richard Ferrand, l’un des principaux « marcheurs » vers l’Élysée, auxquels Emmanuel Macron dut sa victoire de 2017. Choix que doivent valider ce 19 février le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale, ainsi qu’une majorité des 122 membres des commissions des Lois dans les deux assemblées.
Une instance pratiquant le coup d’État juridictionnel
Nos lecteurs savent depuis longtemps à quoi s’en tenir sur la nocivité du Conseil constitutionnel qui, créé par Charles de Gaulle en 1958, a depuis longtemps abandonné son rôle initial, soit la vérification de la constitutionnalité des lois, pour imposer la Bien-Pensance, ancêtre du wokisme. Comme l’expliquait ici le 3 octobre dernier l’éminent juriste Éric Delcroix, auteur sur la question de l’essai Droit, Conscience et sentiments : « Dans l’ordre interne, l’État de droit nous a été imposé par le coup d’État juridictionnel perpétré en 1971 par le Conseil constitutionnel qui, sortant de sa neutralité axiologique, a affirmé qu’il pouvait s’appuyer sur le préambule de la constitution, riche en proclamations philosophiques fumeuses. » Or, ajoutait l’ancien avocat,, notre personnel politique non seulement n’a pas réagi là-contre, mais Sarkozy abondant en ce sens en a fait une Cour suprême à l’américaine, lui permettant de traiter de recours individuels contre les lois, sans délai de prescription (modification constitutionnelle de 2009). Depuis, notre Conseil constitutionnel est devenu le véritable constituant, pouvant faire dire n’importe quoi à la Constitution en épigone de la cour américaine ».
Avec ce résultat qu’on a mis « au sommet de l’ordre juridique des juridictions des juges non élus, qui sont au-dessus de la loi élaborée par le législateur démocratique, alors que pour de Gaulle lui-même, « en France la Cour suprême c’était le peuple, ce qui était conforme à notre tradition républicaine, maintenant démantelée ».
Le frère Ferrand, un père (Noël) pour sa grande famille
En ce qui concerne Richard Ferrand, le peuple a jugé puisque ce hiérarque de la Macronie, ministre de la Cohésion des Territoires en 2017 puis président de l’Assemblée nationale de 2018 à 2022, perdit son siège de conseiller régional lors des élections régionales de 2021, et, l’année suivante, lors des législatives de juin 2022, son siège de député du Finistère, cas rarissime pour un titulaire du Perchoir dans les annales du Palais-Bourbon. Il est vrai qu’entre temps l’avait cramé la révélation par plusieurs organes d’information dont Le Monde, de ses agissements, et surtout de son favoritisme éhonté, comme directeur jusqu’en 2012, date de son élection à la députation, des Mutuelles de Bretagne où les Loges règnent en maîtres.
Ainsi, sous son règne, son ex-femme Françoise Costal, artiste plasticienne, avait facturé aux Mutuelles de Bretagne des travaux d’aménagement d’un Ehpad situé à Guilers et qui avait bénéficié d’une subvention de 1,66 million d’euros du Conseil départemental du Finistère, dont le même Ferrand était vice-président. De même les Mutuelles de Bretagne auraient-elles ensuite fait effectuer d’autres travaux (montant : 184 000 euros), cette fois dans un local appartenant à Sandrine Doucen, sa nouvelle compagne, qui doubla ainsi gratis la valeur de son bien et facturait « par ailleurs régulièrement aux Mutuelles de Bretagne des services de conseil juridique ». Toujours aussi bon prince avec les deniers publics, Ferrand élu député embaucha comme assistants parlementaires « Hervé Clabon, compagnon de son ex-adjointe Joëlle Salaün, devenue directrice générale des Mutuelles de Bretagne [où il continuait d’exercer] puis son fils Émile Ferrand alors âgé de 23 ans », en oubliant de déclarer ces liens patrimoniaux et professionnels à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
Ces diverses révélations ayant déclenché un scandale, Eric Mathais, procureur de la République de Brest, ordonna l’ouverture en mai 2017 d’une enquête préliminaire confiée à la PJ de Rennes. Dès octobre 2017, toutefois, l’affaire fut classée sans suite par le parquet de Brest qui considéra que, faute d’un préjudice avéré, les infractions d’abus de confiance et d’escroquerie n’étaient pas constituées, et que l’infraction de prise illégale d’intérêts était de toute façon prescrite.
Qui était alors procureur général près la cour d’appel de Rennes ? Mme Véronique Malbec, catapultée ensuite du 16 juillet 2020 au 28 février 2022 directrice de cabinet du ministre de la Justice (Nicole Belloubet) puis, à partir du 14 mars 2022, membre du Conseil constitutionnel, sur proposition du président de l’Assemblée nationale. Autrement dit Richard Ferrand. Le monde est petit si très grands sont les appétits.
Dumas et Fabius, autres voyous de la République
Certes, l’avocat Roland Dumas, président du Conseil constitutionnel de mars 1995 à sa démission forcée en février 2000 (avec toutefois l’autorisation de prendre le titre de président honoraire), avait lui aussi un assez lourd passif judiciaire : dessous de table perçus dans les scandales Elf et des frégates de Taïwan, complicité d’abus de confiance dans le cadre de la succession du sculpteur Giacometti dont il était l’exécuteur testamentaire, ce qui lui valut d’être condamné, de manière définitive, à douze mois d’emprisonnement avec sursis et à 150 000 euros d’amende, ou ententes suspectes avec divers dirigeants arabes dont Hafez el-Assad et son ministre de la Défense le général Tlass. Ce dernier, beau-père par la cuisse gauche de Dumas qui avait séduit la milliardaire Nahed Tlass-Ojjeh, assez amoureuse pour vouloir offrir un scanner à l’hôpital de Sarlat, fief électoral de son chéri — l’affaire échoua quand on apprit que le général Tlass, dont la maison d’éditions avait réédité Les Protocoles des Sages de Sion, était lui-même l’auteur d’un essai antisémite, L’Azyme de Sion — ce qui provoqua l’annulation en 1986 de sa thèse en Sorbonne.
Mais si Dumas fut un voyou de la République, pour parler comme sa maîtresse Christine Deviers-Joncour qui intitula ses Mémoires « La putain de la République », du moins était-il un excellent juriste, au point que François Mitterrand déclarait : « J’ai deux avocats : pour le droit, c’est Badinter, pour le tordu, c’est Dumas. »
Quant à au multidiplomé (École normale supérieure, Sciences po, ENA) et inamovible Laurent Fabius, il ne fut pas seulement, devenu par la grâce de Mitterrand « le plus jeune Premier ministre jamais donné à la France ». Il fut aussi celui qui instaura l’impôt sur les grandes fortunes – mais en excepta la possession ou la vente des œuvres d’art, au grand soulagement de son père André, le plus grand antiquaire de la place de Paris.
Il fut surtout le « responsable mais pas coupable » du retentissant scandale du sang contaminé qui coûta la vie à 1 200 hémophiles ou accidentés de la route transfusée avec du sang recueilli dans les prisons, à l’initiative d’un autre futur président du Conseil constitutionnel (de mars 1986 à mars 1995), Robert Badinter. Alors garde des Sceaux, ce « ténor du Barreau » et grand humaniste voulait en effet « mieux insérer dans la société » les taulards et les drogués — dont de nombreux sidaïques. Projet bien entendu applaudi par Fabius, qui, par sa mère l’Américaine Louise Strasburger-Mortimer, était pourtant bien placé pour connaître l’ampleur des ravages exercés par le sida aux Etats-Unis.
Juppé le sauveur ?
On voit que, si Richard Ferrand – qui doit sa brillante carrière (malgré un cursus universitaire plutôt étriqué : un simple DEUG d’histoire et d’allemand) à ses attaches maçonnique comme à la gratitude de l’Élyséen – est finalement promu, il ne déparera pas dans la galerie des affreux constituée par ses prédécesseurs.
Mais les vœux de l’Élysée seront-ils exaucés ? Et que se passera-t-il si 74 parlementaires sur les 122 votant à bulletins secrets retoquent la candidature de Ferrand ? Aux termes de la Constitution, en effet, « le chef de l’État ne peut procéder à une nomination quand l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés ». Il faudra alors choisir un autre candidat avant le 8 mars, date du départ de Fabius, le faire accepter et, en cas de nouvel échec, choisir parmi les gnomes déjà en place un président par intérim, intérim dont l’échéance peut être prolongé.
Selon Ouest-France, la planche de salut serait l’inoxydable Alain Juppé, 80 printemps bientôt mais qui lui non plus ne déparerait dans la galerie des affreux. Pour ses agissements en sa double qualité de secrétaire général du RPR et de maire adjoint de Paris aux finances, de 1983 à 1995, et ainsi considéré « comme un élément clé d’un système de financement occulte d’emplois au sein du RPR financés par la mairie de Paris et des entreprises désireuses de passer des contrats publics », il fut mis en examen en 1999 pour « abus de confiance, recel d’abus de biens sociaux, et prise illégale d’intérêt ». Il fut condamné en correctionnelle le 30 janvier 2004 à 18 mois de prison avec sursis et à une peine de dix ans d’inéligibilité, cette dernière peine étant réduite en appel à un an. Ce qui ne l’empêcha pas, toujours « droit dans ces bottes », de se faire réélire en 2006 maire de Bordeaux (où il s’opposa en 2010 à la loi interdisant le port du voile intégral dans l’espace public car « il ne faut pas donner le sentiment d’une stigmatisation de l’islam »). Et – merci Macron – d’entrer en 2019 au Conseil constitutionnel.
Des « sages » illégitimes et l’enfance sacrifiée
Le Conseil constitutionnel, dans tous les cas, sera essentiellement constitué de politiciens, pour la plupart anciens députés, et ne comprendra plus que deux juristes. « Une évolution significative qui ne va pas dans le bon sens », regrette Bertrand-Léo Combrade, professeur de droit public à l’université de Poitiers, d’autant que « le Conseil constitutionnel est critiqué depuis qu’il joue un rôle de contre-pouvoir en censurant des textes au fond ».
Quelle sera dès lors sa légitimité et comment ne pas mettre en doute l’impartialité qu’il est censé incarner ? À l’évidence, il s’opposerait par exemple à tout référendum sur la réforme pourtant si nécessaire de l’École ou sur la limitation, non moins indispensable, de l’immigration et des « droits » des immigrés. Déjà, Marine Le Pen a dénoncé à juste titre « la dérive » qu’est la transformation « en maison de retraite de la vie politique » du Conseil, qui « se doit d’avoir au moins une apparence de neutralité ». Ce dont il sera fort éloigné.
Mais cela n’inquiète nullement Emmanuel Macron, adepte du « tout-discursif » comme on l’a vu avec la dissolution de l’Assemblée nationale. Et comme on le reverra sans doute très prochainement avec la nomination attendue de Sarah El Haïry à la tête d’un ministère chargée de l’Enfance, de la Jeunesse et des Familles, dont la disparition avait été beaucoup reprochée à François Bayrou, y compris par le chef de l’État, depuis quelque temps apôtre du « réarmement nataliste ». Urgent en effet si l’on pense que la France, toutes communautés confondues, n’a enregistré en 2024 que 660 000 naissances, soit 100 000 de moins qu’en 2018.
Toutefois, si Mme El Haïry, née de parents marocains mais premier ministre français à revendiquer son homosexualité (le 8 avril 2023 dans le magazine américain Forbes), devint quelques mois plus tard l’heureuse mère, avec sa compagne, d’un enfant viable, ce fut par PMA — Procréation médicale assistée. N’y a-t-il pas de la part de Macron une profonde perversité à la choisir comme incarnation et porte-parole des mères de famille ? Mais quoi ! Il fallait bien lui donner — comme à Ferrand — une compensation puisqu’elle avait perdu aux législatives de 2024 son siège de député de Loire-Atlantique.
Quel mépris pour notre peuple ! Mais cela n’empêche pas Brigitte Macron de répéter que « les Français ne méritent pas » son Manu puisque, selon le dernier sondage Yougov pour le Huffington Post du 7 février, seuls 18 % d’entre eux « approuvent l’action » de leur président. D’aucuns penseront que 18 %, c’est miraculeux compte tenu de son bilan.
Camille Galic
17/02/2025
Crédit photo : Jacques Paquier [CC BY 2.0]