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Réponse à la lettre aux enseignants de Madame Vallaud-Belkacem

Réponse à la lettre aux enseignants de Madame Vallaud-Belkacem
Réponse à la lettre aux enseignants de Madame Vallaud-Belkacem

La suppression des classes bilangues va-t-elle porter un coup fatal aux cours d’allemand ? De droite comme de gauche souffle un vent de fronde contre la suppression des classes bilangues prévue dans la réforme des collèges. L’enseignement de l’allemand est-il menacé par cette mesure ?

« Si les éléments de langage que vous développez depuis l’annonce de cette réforme peuvent tromper certains, et notamment bien des journalistes, ce n’est pas notre cas. »

Madame le Ministre,

J’accuse réception de la lettre (1) que vous m’avez envoyée ce jour, à moi, comme à mes collègues. L’ennuyeux, voyez-vous, c’est que nous avons tous les compétences que les nouveaux programmes mettent en avant : nous comprenons l’implicite et l’explicite d’un texte, ses non-dits, son objectif de communication – et, en plus de cela, nous sommes capables de trouver des informations par Internet, de vérifier nos sources et de mettre en perspective ce que nous lisons.

Si les éléments de langage que vous développez depuis l’annonce de cette réforme peuvent tromper certains, et notamment bien des journalistes, ce n’est pas notre cas.

Vous dites : « La structuration disciplinaire des enseignements est au cœur de la nouvelle organisation des enseignements au collège. L’horaire disciplinaire des élèves est fixé à 26 heures hebdomadaires pour chacun des niveaux du collège ». C’est une présentation des faits pour le moins hasardeuse…Il eût été plus juste de dire que l’enseignement disciplinaire (2) était réduit à 22H pour tous les niveaux, sauf pour celui de sixième pour lequel il était de 23H. Les 4 autres heures seront constituées d’EPI (Enseignements Pratiques Interdiscplinaires mêlant donc plusieurs disciplines) et d’accompagnement personnalisé.

Vous dites : « Cette liberté est une liberté pédagogique donnée aux équipes éducatives. » Est-ce de l’humour ? La liberté à laquelle vous faites allusion, ce sera celle de sacrifier les heures d’enseignement disciplinaire. En Troisième, par exemple, on passe en français de 4H30 actuellement à 4H : la liberté qui est donnée au professeur de français, c’est d’accepter de réduire ces quatre malheureuses heures pour donner du temps à un EPI ou à de l’accompagnement personnalisé. La liberté qui est donnée aux établissements, c’est celle de savoir quelles matières devront abandonner une partie des heures annoncées dans les nouvelles grilles-horaire (3), et à quel niveau (5e, 4e ou 3e) : si « autonomie » des établissements il y a, elle ne sera que celle portant sur les sacrifices à faire… L’accompagnement individualisé, on le prend en 5e sur les mathématiques, les langues, le français ou la musique : voilà notre « liberté ».

Vous dites : « Elle s’accompagne d’une importante augmentation du total hebdomadaire des heures mis à la disposition des professeurs de collège pour la prise en charge des élèves de la sixième à la troisième, qui passe de 110,5 heures à 115 heures à la rentrée 2016, et à 116 heures à partir de la rentrée 2017 (sur les quatre niveaux). » Quand on cumule les heures disciplinaires en cours actuellement, on obtient 108,5 heures ; à ces heures s’ajoutait une « enveloppe » qui permettait d’assurer l’enseignement du latin et du grec, l’existence des classes bi-langues et européennes, le travail en demi-groupe, l’aide individualisée. Un établissement qui offrait l’option latin et grec (11H) avait donc une dotation de 119,5H cette année-là, au moins… En 2017, vous ajouterez aux heures indiquées dans la grille-horaire trois heures pour « le travail en groupes à effectifs réduits – tout particulièrement en sciences expérimentales, technologie, langues vivantes étrangères et enseignement moral et civique – et les interventions conjointes de plusieurs enseignants. » (vous avez oublié l’enseignement complémentaire en latin et grec, une bévue sans doute) : est-ce vraiment plus que ce que nous avions avant ? J’en doute !

Qu’il nous soit permis dès lors de poser une question : qui « paie » la réforme ? Indiscutablement l’enseignement du latin et du grec, qui disparaîtra, vous permettant de récupérer des heures de professeurs enseignant le français, et celui des langues vivantes (au premier rang desquelles l’allemand qui disparaîtra ou presque avec l’abandon des classes bi-langues et européennes). Et bien sûr les enseignements disciplinaires qui devront céder une demi-heure par ci pour un EPI, une demi-heure par là pour de l’accompagnement personnalisé. Il est vrai que les programmes (4) sont devenus « mous », avec par exemple des thèmes obligatoires en Histoire et d’autres laissés à la libre appréciation du professeur : on ne courra plus après les programmes, c’est sûr…On pourra donc construire des maquettes d’éolienne en Troisième, comme le propose la présentation de la réforme (5): c’est joli, sept éoliennes tournant de concert, activées au sèche-cheveux, dans une classe de trente élèves…

Un dernier point, Madame le Ministre, si je puis me permettre. Vous avez omis de parler, dans votre lettre, du latin et du grec. Vous dites que cet enseignement sera assuré, mais permettez-moi de souligner le fait que l’article 6, section I, 2e point de l’arrêté (6) que le Conseil supérieur de l’enseignement a avalisé dit ceci : « À l’issue du cycle [5e, 4e, 3e], chaque élève doit avoir bénéficié d’enseignements pratiques interdisciplinaires portant sur au moins six des huit thématiques interdisciplinaires ». L’enseignement complémentaire de latin (et grec ?), dont vous dites qu’il assure la pérennité de l’enseignement des langues anciennes, est soumis au fait que les élèves désireux de le suivre suivent en même temps un EPI Langues et Civilisations de l’Antiquité. Or, si un élève suivait un EPI-LCA sur 3 ans, il ne pourrait suivre 6 des 8 thématiques d’EPI. Pouvez-vous me confirmer que les élèves qui voudront « faire du latin » (langue et civilisation, comme maintenant !) pourront contrevenir à l’article 6,section I, 2e. Vous comprendrez qu’à défaut de cette confirmation on puisse douter de la pérennité de cet enseignement.

Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de recevoir, madame la Ministre, l’expression de ma plus haute considération.

Pascale Fourier
Source : blogs.mediapart.fr
17/04/2015

Notes

(1) Réforme du collège : lettre de la ministre aux enseignants
(2) Emploi du temps
(3) Grilles horaires
(4) Programmes
(5) Présentation de la réforme
(6) Arrêté avalisé par le Conseil supérieur de l’enseignement

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