Par Carl Hubert, juriste et patron du bulletin de réinformation de Radio Courtoisie ♦ Le jeudi 18 juillet 2019, le haut-commissaire à la réforme des retraites Jean-Paul Delevoye a remis au Premier ministre son rapport pour « Un système universel de retraite, plus simple, plus juste, pour tous ». Ses préconisations sont destinées à mettre en œuvre l’engagement du candidat Emmanuel Macron de créer un système de retraite unique – à la place des 42 régimes existants – dans lequel chaque euro cotisé donnerait les mêmes droits à tous.
Un traitement uniforme qui fera des gagnants et des perdants
Cet engagement de campagne apparaît en première analyse comme du bon sens : un système universel peut permettre de dégager des économies de gestion et, surtout, de rendre le système de retraites plus équitable. Mais faut-il traiter tous les travailleurs de manière identique s’ils connaissent des situations différentes ? Par exemple, la pension des fonctionnaires est aujourd’hui calculée sur le dernier traitement indiciaire – et non sur la moyenne des 25 meilleures années – en raison du fait que ce traitement indiciaire obéit à une progression de carrière à l’ancienneté (se référer à une moyenne n’a donc pas forcément de sens, à l’inverse du privé où les carrières ne sont pas aussi linéaires) et car la pension ne tient pas compte du régime indemnitaire : ce mode de calcul est une pure convention et n’est pas a priori avantageux ou désavantageux. In fine, toute différence de prestation est d’ailleurs liée à une différence de cotisation.
Le changement de régime, qui doit encore faire l’objet d’une loi en 2020 et ne devrait entrer en vigueur qu’à partir de 2025, conduira donc forcément à ce que de futurs retraités se retrouvent gagnants ou perdants, selon leur situation particulière. Un salarié du privé qui cotise 43 ans, 18 années en étant mal payé (en début de carrière), 25 années en étant bien payé (en fin de carrière), était assuré d’avoir une bonne retraite : ce ne sera plus le cas puisque dorénavant toutes les années serviront au calcul de la pension. Un enseignant, dont la rémunération comporte peu de primes, bénéficiait d’un taux de remplacement intéressant par rapport à la dernière rémunération : ce ne sera plus le cas puisque l’intégration des primes dans le calcul ne devrait pas compenser la baisse du taux de remplacement (aujourd’hui 75 % du traitement indiciaire). A l’inverse, un haut fonctionnaire verra sa retraite augmenter car son régime indemnitaire représente une part significative de sa rémunération – mais il devra en contrepartie payer davantage de cotisations et verra donc diminuer sa rémunération nette. Quant aux régimes spéciaux, tout dépendra du sort qui leur sera réservé : si les employeurs (SNCF, EDF, etc.) acceptent de cotiser davantage pour financer des règles dérogatoires, les salariés ne seront pas nécessairement perdants.
Un système qui n’est pas sans risque pour le niveau des pensions
Le système universel proposé par M. Delevoye est un système de retraite par points. Cela signifie que tout euro cotisé confère des droits, ce qui est une bonne chose – pensons aux étudiants qui travaillent sans attendre le minimum d’environ 1500 € brut pour valider un trimestre : ils cotisent sans bénéficier d’aucun droit ! En revanche, cela signifie surtout que le montant de la pension dépend essentiellement de deux paramètres : le nombre de points, qui reflète les euros cotisés (10 € = 1 point), et la valeur de service du point lors de la liquidation de la retraite (il est envisagé que la valeur des points soit indexée sur l’évolution des salaires et que 100 € de points donnent droit à 5,5 € de retraite par an).
Autrement dit, la pension dépendra des salaires perçus pendant toute la carrière. Ce mode de calcul risque de faire mécaniquement baisser le taux de remplacement puisque le salaire moyen sur quelques 43 années de carrière sera moindre que le salaire des 25 meilleures années ! Le dossier de presse du rapport Delevoye (page 6) illustre la réforme par un salarié prénommé David qui obtient un taux de remplacement de 70 % du dernier salaire net, mais il est fait l’hypothèse que David a été rémunéré sur la base de 1,5 SMIC tout au long de sa carrière ! S’il a commencé sa carrière à 1 SMIC et l’a terminée à 2 SMIC, le taux de remplacement n’est plus le même puisqu’il n’est que de 52,5 %…
En outre, la valeur de service du point sera amenée à évoluer en fonction de considérations financières : si le taux de 5,5 % envisagé aujourd’hui se révèle trop élevé pour assurer l’équilibre du régime des retraites (notamment si les cotisations des actifs sont insuffisantes pour financer les pensions des retraités, en raison d’une diminution de la population active, d’une baisse du salaire moyen, d’une hausse du taux de chômage…), le gouvernement le diminuera, avec un impact direct sur le niveau des retraites à liquider. Contrairement à ce qui est affirmé, on peut douter de ce que le niveau des pensions sera garanti.
Un « âge d’équilibre » qui pénalisera les catégories populaires
A ces incertitudes consubstantielles à un système de retraite par points – mais aussi à un système de retraite par répartition comme le nôtre – s’ajoute une innovation imaginée par M. Delevoye : la création d’un âge dit d’équilibre, qui serait de 64 ans en l’état de la situation démographique et économique. Cette nouvelle limite s’ajouterait à l’âge légal de départ à la retraite (62 ans) et remplacerait de fait la durée de cotisation minimale pour bénéficier d’une retraite à taux plein (43 années pour les générations nées à compter de 1973). En effet, dans un système de retraite par points, la notion de durée minimale de cotisation pour bénéficier d’un taux de remplacement donné n’a plus de sens puisque la pensions dépend du nombre de points et non pas de la durée de cotisation.
Le rapport Delevoye souhaite néanmoins introduire un mécanisme de décote et de surcote de la pension, pour tenir compte de ce que, plus la retraite est prise tôt, plus elle devra être servie longtemps. Ce n’est pas illogique mais ne sera pas facile à expliquer : l’âge d’équilibre conduirait à ce qu’un euro cotisé ait dans l’immédiat (lors de la liquidation de la retraite) moins de valeur pour ceux qui prennent leur retraite plus tôt (-5% pour ceux qui partiraient à 63 ans au lieu de 64 ans) et vice-versa. Or cet âge d’équilibre pénalisera les actifs qui auront commencé à travailler tôt et qui sont souvent ceux qui ont l’espérance de vie la plus courte (ouvriers, employés), ce qui s’annonce peu juste socialement.
Une politique familiale en trompe-l’œil
Enfin, le rapport vante ses préconisations en faveur des familles et de l’égalité hommes-femmes. Mais le compte n’y est pas en ce qui concerne les majorations de pensions pour charges de famille. Point positif : chaque enfant ouvre droit à une bonification de 5 %, de sorte que ce dispositif jouera dès le 1er enfant et non plus à compter du troisième (majoration de 10% actuellement).
Mais il y a un loup : cette majoration ne vaut plus à part entière pour les deux parents mais devra être partagée entre eux ou réservée à l’un d’eux, sachant qu’en l’absence de choix c’est la mère qui aura la totalité de la majoration (solution la moins coûteuse puisque la pension de la mère est en moyenne plus faible que celle du père…). Ce partage va donc spolier les parents d’une partie des majorations auxquels ils ont droit aujourd’hui. Par exemple, les parents de trois enfants verront leur majoration diminuer de 10% chacun à 7,5 % chacun (s’ils se la partagent – ou 15% pour l’un et 0% pour l’autre dans le cas inverse). On notera que le partage demandé n’est en outre pas favorable à la paix dans les familles.
Vers des mesures d’économies à court terme ?
En conclusion, il faut rappeler que, en 2017, les dépenses de retraite s’élevaient à 325 milliards d’euros, soit 40 % des dépenses de protection sociale et pas moins de 13,8 % du PIB. Un enjeu majeur dans la maîtrise des finances publiques, qui explique que la Commission européenne ou l’OCDE, autres autres, considèrent ce type de réformes comme des « réformes systémiques » à mettre en place afin de mieux contrôler ces dépenses à l’avenir.
Pour des raisons budgétaires, on peut également s’attendre que les mesures de redressement qui n’ont à ce stade pas été mises sur la table soient inscrite au projet de loi de réforme des retraites l’an prochain : pour que le nouveau régime universel de retraite ne soit pas plombé par le passif des anciens régimes dès son instauration en 2025, les paramètres des régimes actuels vont sans doute évoluer de manière à ce que la situation soit à peu près équilibrée cette année là. Il est probable que l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans soit rapproché du fameux âge d’équilibre de 64 ans et/ou que la durée minimale de cotisation soit augmentée plus rapidement que prévu. Un débat politiquement difficile en perspective pour l’exécutif.
On relèvera à cet égard que ces mesures de rigueur seraient évitées si le taux de chômage régressait et si les salaires augmentaient, permettant d’augmenter le volume des cotisations, ce qui renvoie à la politique de l’emploi – actuellement plombée par le libre-échange qui détruit l’industrie et l’agriculture, l’armée de réserve du capitalisme que constitue la main d’oeuvre immigrée et les charges élevées pour financer des dépenses publiques gonflées par l’immigration et le chômage.
Carl Hubert
24/07/2019
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Domaine public
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