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Réflexions sur l’Ukraine « libérée »

Réflexions sur l’Ukraine « libérée »

par | 14 juin 2014 | Géopolitique

Réflexions sur l’Ukraine « libérée »

Les élections en Ukraine viennent de se terminer et le monde entier a pu constater l’état de névrose politique dans lequel se trouve ce pays. Une analyse politique d’Alexandre Latsa au lendemain de l’élection du nouveau président ukrainien.

Une élection sans surprise

Sans trop de surprises c’est l’oligarque Porochenko qui a été élu président du pays avec 54% des voix au premier tour, soit un score équivalant à celui obtenu par Vladimir Poutine en 2000. L’oligarque Porochenko, qui dans ses visites en France durant le Maïdan se faisait systématiquement accompagner de son « ami » Bernard-Henri Lévy, a pu bénéficier d’une situation politique interne difficile (du Maïdan à la Crimée en passant par le Donbass) mais surtout de l’étonnante maladresse de tous les autres principaux candidats, à commencer par l’égérie de la révolution orange, Ioulia Tymochenko, qui n’obtint que 12,8% des suffrages.

La belle Ioulia avait créé un petit scandale durant la campagne en affirmant qu’il fallait « prendre les armes et aller buter ces chiens de Russes et leur foutu chef », « Soulever le monde entier pour qu’il ne reste même plus un champ brûlé dans cette foutue Russie », « Pulvériser (les Russes) à l’arme atomique » et encore qu’elle pourrait « prendre sur-le-champ un automatique et mettre une balle dans la tête de ce salopard (de Poutine) ». Heureusement pour la paix en Europe, et visiblement à la grande déception de la fraction la plus dure du département d’État, Ioulia Tymochenko n’a pas convaincu le peuple ukrainien, malgré ses menaces de Nouveau Maïdan, cette fois dirigé contre ses alliés d’hier.

En troisième place, le candidat du parti radical Oleg Lyashko a, lui, obtenu 8% des voix. Ce dernier avait notamment proposé à la Rada issue du Maïdan une loi permettant de qualifier de « saboteurs et complices de l’occupant russe » tous les citoyens ukrainiens s’opposant à la nouvelle Rada post-Maïdan et aux mouvements de troupes armées dans le territoire ukrainien. Le projet de loi prévoyait que ces mêmes saboteurs devaient être tout simplement condamnés à la peine de mort. Ce dernier a également fondé un bataillon militaire appelé « Bataillon Ukraine », coupable de l’assassinat de deux civils pro-russes lors de l’assaut d’un bâtiment gouvernemental dans la ville de Torez.

Les candidats des partis nationalistes Pravy Sektor et Svoboda obtiennent respectivement 0,7% et 1,16%, des résultats, mettant un terme définitif aux rêves des nombreux nationalistes européens qui ont soutenu Maïdan en pensant que cette révolution allait être en quelque sorte la leur. Les premiers comme les seconds sont sans doute les grands perdants de la bataille d’Ukraine et semblent partager en commun de nombreux traits de caractère tels qu’en premier une touchante naïveté qui, il faut bien le dire, s’apparente clairement à une forme de bêtise.

La tentative de séduction opérée par Dmytro Yaroch envers certains milieux nationalistes (italiens et français notamment) auraient pourtant dû permettre à ces derniers de se rendre compte qu’ils avaient affaire au Jean-Claude Van Damme de la politique ukrainienne. Dans ses interviews, Dmytro Yaroch a en effet réussi à successivement affirmer que le prochain président de la fédération de Russie serait Ramzan Kadyrov (sic), à confirmer la main de l’Occident dans le renversement de Ianoukovich ou encore que Poutine serait (involontairement) le premier promoteur de l’intégration européenne et enfin que Pravy Sektor ne nourrissait aucune haine pathologique envers l’Amérique mais était pour un monde multipolaire… On peut se poser de grosses questions sur l’état neurologique du führer de Pravy Sektor ou sur sa sincérité.

Un axe stratégique de la Baltique à la mer Noire

Sur le plan géostratégique c’est un peu plus clair, Dmytro Yaroch affirme militer pour la création d’un axe stratégique de la Baltique à la mer Noire, avec la participation des États baltes, la Biélorussie, la Pologne et l’Ukraine, contre l’impérialisme russe… Quelqu’un devrait sans doute lui expliquer qu’il s’agit du plan américain de « Nouvelle Europe » déjà en vigueur et que ces États sont déjà l’anneau périphérique de l’Otan, sauf la Biélorussie qui, si elle était à l’avenir déstabilisée par la galaxie Pravy Sektor pour le compte des intérêts américains et renversée comme l’a été le gouvernement ukrainien, permettrait aux États-Unis de disposer d’une base militaire a une heure d’avion de Moscou, comme c’est également l’objectif avec Kiev : une vision du monde bien loin de tout idéal multipolaire et que ne partagent pas du tout les nations de la vieille Europe, France en tête.

La corrélation des objectifs stratégiques globaux américains dans la région et des objectifs régionaux du Pravy Sektor ne sont plus un mystère pour personne alors que ces derniers ont œuvré comme sous-traitants efficaces pour permettre le renversement d’un pouvoir pourtant élu et favoriser la prise de pouvoir d’une nouvelle oligarchie, elle, clairement aux ordres. Nulle surprise dès lors que Dmytro Yaroch dans sa dernière interview ait jugé bon de remercier l’Amérique et de rappeler à quel point la nouvelle Ukraine devait renforcer ces liens avec les États-Unis, tandis que le président Porochenko souhaite, lui, accélérer une intégration européenne pourtant toujours pas souhaitée par une majorité d’Ukrainiens.

Alors que les élections en Ukraine ont sans doute permis à Yaroch de constater qu’il avait plus de soutien dans les galaxies nationalistes ouest-européennes qu’en Ukraine, ses militants ces dernières semaines se cantonnent à ce qu’ils savent faire de mieux : affronter leurs concitoyens, Slaves et orthodoxes avant tout, que ce soit les civils du Donbass ou les policiers ukrainiens qui risquaient leur vie pour 250 euros par mois. Ce faisant, les militants de Pravy Sektor ne font pas que confirmer leur caractère de petits voyous mais mettent également en péril la relation entre l’Europe et la Russie.

Conflit interne et dispositif américain

L’Ukraine, tout comme la Russie des années 1990, fait désormais face à un conflit sur son territoire, clairement nourri par les haines pathologiques que les militants majoritairement issus de Pravy Sektor nourrissent, non contre l’Amérique donc, mais contre la Russie et les russophones. Pravy Sektor bénéficie pour cela d’un soutien de poids : l’oligarque Igor Kolomoiski qui, en dépit du fait qu’il a été le représentant du Conseil européen des communautés juives pendant 5 ans, se retrouve désormais sponsor des mouvances nationalistes radicales qui ont compris que l’antisémitisme était bien moins rentable que la russophobie et l’antipoutinisme. Peut-on qualifier cette surprenante et contre nature alliance de version ukrainienne du front Orange-brun?

L’oligarque Kolomoiski n’est du reste pas le financier de la nouvelle garde nationale par accident mais bien l’une des pièces maîtresses et un relais essentiel du dispositif américain de prise de contrôle de l’Ukraine, dispositif dont les contours commencent à être visibles. Celui-ci dispose, par le biais d’une société écran basée à Chypre (Burisma Holdings), du contrôle de la majorité des sociétés gazières ukrainiennes. Au cours du mois de mai, Burisma Holdings a confirmé la nomination à son conseil d’administration de R. Hunter Biden, fils de Joe Biden, le vice-président des États-Unis, et de Devon Archer, financier et ami de John Kerry.

Pillage énergétique et crise morale

Au pillage énergétique en cours et à la mise du pays sous la coupe d’oligarques (sans doute tout aussi corrompus que l’était Ianoukovich) le pays semble devoir également continuer à s’enfoncer dans la grave crise morale et démographique qu’il connaît depuis le milieu des années 1990. La population de l’Ukraine est passée de 52,2 millions d’habitants en 1994 à 45,4 millions en 2014, soit une diminution de près de 7 millions d’habitants en 10 ans, soit plus que la Russie pour une population 3 fois moindre. À cela il faut ajouter un solde migratoire négatif (près de 700.000 Ukrainiens sont notamment entrés en Russie depuis janvier 2014) et que le pays comporte le plus haut taux de Sida d’Europe, avec près de 1,5% de la population adulte contaminée. Enfin, et peut être surtout, le démographe Emmanuel Todd a récemment rappelé que les inquiétants indicateurs de mortalité infantile (indicateur le plus significatif de l’état réel de la société selon lui) ne laissaient pas beaucoup d’espoir d’échapper à une poursuite de la malheureuse dégradation systémique que connaît l’Ukraine en tant que pays.

Un regard objectif porté sur les événements en Ukraine ne peut que traduire un seul et unique constat : l’Ukraine de 2014 prend le chemin de la Russie des années 1990, que ce soit sur le plan politique, économique, militaire ou démographique. Pour s’en convaincre je renvoie notamment vers cette excellente synthèse sur le site d’Olivier Berruyer.

Un chemin à la russe extrêmement risqué dont les activistes de Maïdan et leurs complices, en Europe et en Amérique, portent clairement la responsabilité puisque les premiers comme les seconds ont, non seulement sacrifié ce pays pour le compte d’intérêts transatlantiques, mais aussi porté un coup direct à la relation euro-russe et aussi à la paix sur le continent.

Il reste à espérer que de ce chaos ukrainien émerge dans un avenir proche un « Poutine ukrainien » pour empêcher la dislocation du pays mais on peut en douter malheureusement pour les Ukrainiens. Au contraire, tout laisse plutôt imaginer que l’Ukraine comme État tel que nous le connaissons n’existe en réalité déjà plus vraiment.

Alexandre Latsa
Source :
La voix de la Russie
09/06/2014

Alexandre Latsa

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