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Réflexions sur 14-18

Réflexions sur 14-18

par | 8 décembre 2014 | Société

Réflexions sur 14-18

Lorsqu’on parle du premier conflit mondial, la vulgate actuelle jongle avec une série de poncifs : « plus jamais ça, boucherie inutile, généraux stupides, sacrifices vains, pantalons rouges, offensives stériles, fusillés et décimations,… etc. » Systématiquement, les fautes des responsables politiques sont éludées. On rappelle les conférences du commandant de Grandmaison à l’École de Guerre en 1914, mais on oublie de citer le Président Fallières, chef constitutionnel des armées, qui déclara le 9 janvier 1912 : « Nous sommes résolus à marcher droit à l’ennemi sans arrière-pensée, l’offensive convient au tempérament de nos soldats et doit nous assurer la victoire, à condition de consacrer à la lutte toutes nos forces actives sans exception. »

L’époque des guerres courtes est révolue

Les alliances nouées avec la Grande-Bretagne et la Russie avaient en effet imposé le passage à une stratégie offensive : le but fixé aux armées alliées, c’était Berlin. La guerre que les politiques voulaient devait être courte et violente, et les stocks de munitions avaient été conçus dans ce schéma. Aucune mobilisation industrielle n’avait été prévue. Nos responsables politiques n’avaient pas compris que l’époque des guerres courtes était révolue… Seuls Jaurès et Pétain l’avaient entrevue.

Nos dirigeants actuels l’ont-ils compris aujourd’hui ?

Impréparation, mauvaise organisation, insuffisance d’armement

Par ailleurs, initialement, l’organisation du commandement était aberrante.

Joffre, généralissime, ne commandait que les forces de manœuvre du Nord-Est de la France. Les fortifications et leurs garnisons dépendaient du ministre de la guerre. La Marine nationale était aux ordres du ministre de la Marine. Les combats outre-mer étaient du ressort du ministre des colonies.

Ce n’est qu’avec Clemenceau et Foch que l’on parvint à une organisation fonctionnelle…

Si la supériorité des marines alliées était évidente, il n’en allait pas de même au niveau des armées de terre. L’armée russe avait des

effectifs mais manquait de fusils, de canons, d’avions. L’armée britannique, professionnelle, dut se démultiplier en absorbant et formant les appelés, ce qui prit du temps. Et pour le Royaume–Uni, le théâtre d’opérations principal, c’était le Proche et le Moyen-Orient, donc la lutte contre la Turquie et pour le pétrole.

Au point de vue financier, en 1914, le budget militaire français était de 135 millions de francs–or, celui de l’Allemagne équivalait à 216 millions de francs-or.

L’armée française, en dépit du service de trois ans et de la mobilisation, alignait moins d’effectifs que l’armée allemande. Mais surtout elle manquait tragiquement d’artillerie lourde mobile. La classe politique française attendait des miracles de notre canon de 75 mm, certes excellent mais dont la portée était insuffisante face aux 105 et 150 mm allemands.

Le corps d’armée français disposait de 120 canons de 75 mm, le corps d’armée allemand de 108 canons de 77 mm, de 36 obusiers de 105 mm, de 16 obusiers de 150 mm.

L’armée française disposait de 240 pièces d’artillerie, l’armée allemande de 848…

Ce n’est qu’en 1918, grâce à la mobilisation industrielle et à l’arrivée des Américains, que nous eûmes à la fois la supériorité des effectifs et de la puissance de feu.

Sureffectif des officiers généraux et supérieurs

En outre, les nominations de trop de colonels et de généraux pour leurs convictions ou amitiés maçonniques ou anticléricales, l’affaire des fiches, la séparation conflictuelle de l’église catholique et de l’État, … etc. avaient secoué le moral des militaires français. Il fallut, dès les trois premiers mois de la guerre, limoger la moitié des généraux et des colonels…. Par sectarisme, les dirigeants politiques français, de 1905 à 1914, nommèrent trop d’incapables à la tête de nos forces et refusèrent de promouvoir les meilleurs… Je pense en particulier au général de Castelnau, considéré par les Allemands et nos alliés comme le meilleur des généraux français…

Parlons de fusillés. C’est le ministre Messimy qui dès les échecs de l’offensive en Alsace et en Lorraine s’en prend à la lâcheté supposée de nos soldats pour expliquer les défaites : il prescrit de traduire les défaillants devant des cours martiales, et de faire exécuter les condamnés à mort par leurs camarades. Il y a eu pendant cette guerre environ mille condamnations à mort exécutées. 600 pour indiscipline (refus de combattre, mutilation volontaire, abandon de poste, désertion), 400 pour des crimes de droit commun (pillage, viol, assassinat). On n’a fusillé aucun fuyards ou déserteur en 1940 : on a vu le résultat : 4 500 exécutions par les Allemands, 75 000 déportés, dix mille exécutions sommaires en 1944, 1 000 condamnations à mort par des tribunaux régulièrement constitués après la Libération…

Équipements et instruction mal adaptés

Revenons sur le pantalon rouge. En 1900, les Britanniques ont adopté, à la suite de la guerre de Boers, une tenue « kaki », et en 1907 les Allemands la tenue « feldgrau ».

Chez nous, depuis 1897, l’armée essayait un casque métallique. En 1903, l’armée essaya une tenue « boers », gris bleutée, avec chapeau de brousse ; en 1906, c’est une tenue beige bleu, puis en 1911, une tenue vert réséda. Lors du débat à la chambre des députés, demandé par Gallieni pour adopter une tenue moins voyante, en 1911, Etienne, ancien ministre déclara : « la pantalon garance a quelque chose de national ». Et le ministre de la guerre, Messimy, ne prit aucune décision. A l’entrée en guerre, seules les troupes coloniales indigènes (tirailleurs sénégalais) disposaient de la tenue kaki. Ce n’est qu’en 1915 que Joffre put imposer le casque et la tenue bleu horizon.

Dernier exemple, Joffre voulait accroître le nombre de nos camps militaires pour l’instruction des grandes unités, ce que la classe politique française refusa jusqu’en 1911 : les crédits ne furent acquis qu’en 1913, trop tard pour l’instruction de toutes nos brigades et divisions.

Il ne faut donc pas s’étonner du début catastrophique du conflit. Les Allemands s’attendaient à nos offensives d’Alsace et de Lorraine, où notre infanterie fut écrasée par l’artillerie adverse. Certes, la victoire de la Marne brisa la stratégie allemande, et elle permit de lancer la mobilisation industrielle, au prix de l’occupation de près du cinquième de notre territoire, mais elle entraîna la quasi-stabilisation du front occidental pour quatre années.

Oui, il y eut de coûteuses offensives de 1914 à 1917. Mais il fallait soutenir à bout de bras notre allié russe, qui manquait de fusils, d’avions, d’artillerie. Dès que ces « offensives stupides » furent arrêtées à l’été 1917, notre allié russe s’effondra…Et les manœuvres de politiques inquiets du poids pris par les militaires et de chefs militaires limogés, pour se débarrasser de Joffre, puis de Nivelle, ne cessèrent pas avant 1918, lorsque le couple Clemenceau-Foch, établit des relations normales entre le pouvoir politique et les chefs militaires.

Heureusement l’arrière avait le moral

Le Midi toulousain, durant ces quatre ans, fut à la fois :
– un centre de formation de nos conscrits et rappelés ;
– un centre de notre industrie de guerre (cartoucherie, office de l’azote etc.) ;
– un centre d’hôpitaux militaires pour nos blessés ;
– et surtout, l’agriculture du Sud-Ouest contribua largement à la  nourriture de  nos soldats et de notre population, à la fourniture de chevaux et de pigeons voyageurs pour nos armées.

La majorité de notre peuple participa sans réticence à l’effort de guerre. Un de mes grands oncles, de la classe 11, effectua 7 ans de services militaires. Mon grand-père, âgé de 44 ans, fut mobilisé en 1915 ;  marié, père de deux enfants, il ne fut rendu à la vie civile que le 18 décembre 1918. Je ne les ai jamais entendu se plaindre…
Pendant ces quatre années de guerre, l’Académie des jeux floraux [Société poétique toulousaine] interrompit ses activités littéraires et se consacra aux œuvres caritatives : secours aux veuves, orphelins, blessés.
Plusieurs mainteneurs, dont trois proches de la cinquantaine, furent mobilisés et se conduisirent brillamment ; cinq fils de membres de l’Académie tombèrent au champ d’honneur.111
Le 21 décembre1918, à l’unanimité, le général de Castelnau fut élu mainteneur, les maréchaux Foch et Joffre furent élus maîtres-es-jeux.

Le général de Castelnau

Intéressons-nous à Noël, Édouard, Marie, Joseph, vicomte de Curières de Castelnau.

Issu d’une famille de vieille noblesse et de tradition militaire, Edouard de Castelnau fit partie de la 54e promotion de Saint-Cyr (1869-1871). Initialement nommée promotion du Rhin, elle fut rebaptisée promotion du 14 août 1870 lors de la déclaration de guerre. Comme tous ses camarades, Castelnau fut nommé sous-lieutenant le 14 août 1870, et il rejoignit aussitôt le 31e Régiment d’Infanterie, avec lequel il combattit de 1870 à 1871.

Ce fut un officier complet, qui, bien avant la plupart de ses contemporains, avait perçu la nécessité d’une coopération entre les différentes armes et le potentiel de l’aviation.  De 1914 à 1918, il voulut toujours ménager les fatigues et vies de ses subordonnés, ce qui provoqua des tensions avec Joffre et Foch. Il refusait le principe de l’attaque à outrance. Et il n’hésita pas à dire après les offensives de 1915 : « Nous avons péché par infatuation. » Mieux que d’autres généraux il connaissait le prix du sang : trois de  ses fils tombèrent au champ d’honneur lors de la Grande guerre… Lorsqu’on lui annonça la mort de l’un d’entre eux au cours d’une réunion préparatoire, Castelnau répondit stoïquement : « Continuons, messieurs. »
Son catholicisme intransigeant le fit surnommer « le capucin botté ». Clemenceau ne l’aimait pas et avec une de ses formules à l’emporte-pièce, il le traita de « général de jésuitière, indigne des responsabilités qu’il assumait. »

Les prises de position de Castelnau lors de l’affaire Dreyfus, lors du ministère André et de l’affaire des fiches entraînèrent son éloignement de la direction du 1er Bureau de l’état-major de l’armée. Le général Sarrail, directeur de l’infanterie, le fit au moins une fois rayer du tableau d’avancement.

Il fut pourtant nommé général de brigade le 25 mars 1906, et il commanda la 24e brigade à Sedan, la 7e à Soissons, avant d’être promu général de division le 21 décembre 1909. Il commanda alors la 13e division à Chaumont.

Le général Joffre, tout franc-maçon qu’il fût, le prit sous son aile et le fit nommer sous-chef de l’état-major général en 1911. Simultanément, Castelnau fut promu Commandeur de la Légion d’honneur.

La « bataille des frontières » avec les désastreux combats de Morhange et la victoire de la trouée de Charmes, et « La course à la mer »

Au début des hostilités, Castelnau commandait la 2e Armée, dont l’offensive fut arrêtée à hauteur de Morhange-Sarrebourg. Il réorganisa la défense de Nancy, et il obtint une victoire défensive importante dans la trouée de Charmes du 24 au 26 août 1914 : il empêchait les armées françaises d’être tournée à l’Est, et il préparait ainsi la victoire de la Marne. Il remporta ensuite la victoire du Grand Couronné du 31 août au 11 septembre 1914, méritant le titre de « Sauveur de

Nancy ». Le 18 septembre, Castelnau était élevé à la dignité de Grand Officier de la Légion d’Honneur.

Joffre le retira alors du front de Lorraine et il lui confia la mission de prolonger le flanc gauche des armées françaises vers le nord de l’Oise, pour tenter de déborder l’aile droite allemande. Cette partie du conflit est connue comme « la course à la mer » Castelnau entama l’affaire, la mena jusqu’à Amiens, avant de passer la main à Foch.

En juin 1915, Castelnau fut placé à la tête du groupe d’armées Centre, chargé de l’offensive de Champagne du 25 septembre 1915 : en quelques jours, il fit 25 000 prisonniers, prit 125 canons et contrôla une zone de plusieurs kilomètres, jusque-là tenue par les Allemands. A la suite de ce succès, il fut élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’Honneur et il devint l’adjoint du généralissime Joffre, puis son chef d’état-major.

Chargé d’étudier et d’affermir la situation en Macédoine et en Grèce, il parvint à rétablir la sérénité des esprits et à convaincre le roi Constantin de rester l’allié des Français.

Verdun

En février 1916, il organisa la défense de Verdun lors de l’offensive allemande : il prit la décision de défendre Verdun à tout prix, il arrêta la débandade et il fit nommer Pétain à la tête des unités défendant Verdun.

Lors de la chute de Joffre et de son remplacement par Nivelle, il fut placé en non-activité. En 1917, il fut chargé d’une mission d’information en Russie : il y fit preuve d’une grande lucidité. Mal commandée, mal instruite, mal ravitaillée, l’armée russe était incapable de résister longtemps aux Allemands. Après la disgrâce de Nivelle, pour le remplacer, Lyautey et Foch avaient recommandé qu’on nommât Castelnau généralissime. Ses convictions catholiques lui firent préférer Pétain, mais on le rappela à la tête du Groupe d’armée de l’Est. Il était chargé de l’offensive prévue en Alsace et en Lorraine en novembre 1918, annulée lors de la signature de l’armistice.

Soucieux d’épargner les vies et fatigues de ses subordonnés, il avait un très grand prestige dans nos armées et chez nos alliés.
Alors que de l’avis de nos Alliés et des Allemands il avait été le meilleur des généraux français, ses convictions catholiques affirmées en firent le seul de nos commandants de Groupes d’armées à n’être pas nommé maréchal…

La députation, l’Académie toulousaine, la Fédération Nationale catholique, l’association d’entraide de la noblesse française…

Dès le 21 décembre 1918, il fut élu mainteneur de notre Académie, puis à l’Institut de France. Il se lança dans le combat politique.

Élu député de l’Aveyron, il présida la commission de l’armée (défense nationale aujourd’hui). En 1924, il s’opposa à Herriot lors des tentatives de laïcisation de l’Alsace et de la Lorraine. Il créa et présida la Fédération nationale catholique, le comité d’études des questions maçonniques.

Il fut également le fondateur de l’association d’entraide de la noblesse française.

Après le désastre de 1940, le général de Castelnau se retira dans la demeure familiale de Montastruc la Conseillère. Il fit preuve d’une grande réserve envers Pétain et le régime de Vichy. Il s’éteignit le 19 mars 1944, âgé de 94 ans, sans pouvoir assister à la défaite allemande…

Quelques réflexions sur Castelnau

Le général Gallieni
Lorsqu’en 1913, le Président Poincaré consulta Gallieni pour trouver un successeur au général Pau au poste de chef d’état major, la réponse fût : « Castelnau ».
Et pour un deuxième choix, que diriez-vous ? : « Castelnau »
Et pour un troisième ? : « Castelnau » (in L’Œuvre, journal parisien)

Le général Gamelin (alors au cabinet de Joffre)
« … Castelnau était aussi de formation ‘État-major’ et avait longuement servi à l’état-major de l’Armée. D’intelligence brillante, l’esprit vif, non sans adresse, il était un chef séduisant avec parfois des allures de militaire ‘Second Empire’. Ceci dit non dans un esprit critique, mais pour tenter de le définir. J’écris pour tenter, car il était en fait moins saisissable que la plupart de ses émules. Chef séduisant, il était très populaire dans l’ensemble de l‘armée. Mais  il ne cachait pas ses sentiments religieux et conservateurs et ceux qui ne pensaient pas de même l’accusaient de ne pas être toujours impartial. Je n’ai jamais eu de preuve que ce reproche fût justifié, mais il est certain que ses sentiments influaient sur ses jugements, sinon sur les hommes, car on le vit prendre des chefs d’état-major qui n’étaient pas de la même opinion que lui, du moins sur les choses… »

Le général Von Kluck :
« L’adversaire français vers lequel sont allées instinctivement nos sympathies, à cause de son grand talent militaire et de sa chevalerie, c’est le général de Castelnau. Et j’aimerais qu’il le sût. »

Le Major Harbord, du Corps expéditionnaire américain, dans ses Mémoires :
« C’était le général de Castelnau, que beaucoup considéraient comme le meilleur général français, mais royaliste et catholique, donc suspect. Les Américains aimaient beaucoup Castelnau, en partie grâce à son aversion pour les longs discours. Ce bon vieux Castelnau limita ses remarques à lever son verre et à souhaiter que nous puissions bientôt abreuver ensemble nos chevaux dans le Rhin. »

Bibliographie sommaire

– Corinne Bonafoux-Verrax, À la droite de Dieu, la Fédération nationale catholique 1924-1944, Fayard, 2004
– Régis de Castelnau, La France fille du soldat inconnu. Cent ans après le pays n’a pas totalement fait son deuil
– Jack Chaboud, La Franc-maçonnerie, histoire, mythes et réalité, Librio 2004
– Gustave Chaix, Dictionnaire des familles françaises anciennes ou notables à la fin du XIX° siècle, tome 13, p.18-20.
– Yves Gras, Castelnau ou l’art de commander, Denoël, Paris, 1990
– Patrick de Gmeline, La maison Curières de Castelnau Société des lettres, sciences et arts de l’Aveyron, 1975
– Joseph Joffre, Mémoires du Maréchal Joffre 1910-1917 éd. de l’Officine, Paris, 1932
– John Joseph Pershing, My Experience in the World War F.A.Stokes Company, 1931
– Gilbert Prouteau, Le dernier défi de Georges Clémenceau, France-Empire, 1979

Jean Salvan
Général de corps d’armée (2S)
Source : Magistro
03/12/2014

Les intertitres sont de la rédaction.

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