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Référendum danois : le silence des journaux

Référendum danois : le silence des journaux

par | 12 décembre 2015 | Europe, Politique

Référendum danois : le silence des journaux

Jacques Sapir, chercheur, dont les travaux sont orientés dans trois dimensions : l’étude de l’économie russe et de la transition, l’analyse des crises financières et des recherches théoriques sur les institutions économiques et les interactions entre les comportements individuels.

♦ Le référendum qui s’est tenu au Danemark le jeudi 3 décembre, et qui a vu la victoire du « non » et des eurosceptiques, continue de soulever des interrogations multiples. La première concerne le faible retentissement médiatique de ce référendum. Assurément, nous sommes en campagne électorale en France. Mais ce quasi-silence des médias est un objet d’étude à lui tout seul. La seconde interrogation porte sur le sens qu’il convient de donner à ce référendum. On voit bien que, dans les rares commentaires à son sujet, on parle de « questions techniques ». Techniques, elles l’étaient assurément.

Mais il faut être bien naïf, ou bien de mauvaise foi, pour ne pas se rendre compte que derrière cette dimension « technique » la véritable question portait sur le processus d’intégration européenne.


Le silence des journaux

Un simple test le prouve. Une demande de recherche sur Google-actualités ne produit que 170 résultats, dont certains ne concernent pas les médias français. Dans une liste d’environ 150 références des médias français, on trouve une très large part d’articles qui ne sont que des reprises, soit in extenso, soit partielle de l’article publié le 3 décembre au soir par l’AFP. La différence avec la presse anglo-saxonne ici saute aux yeux.

Certes, ce n’est pas la première fois que la presse française se comporte de manière plus que désinvolte vis-à-vis d’événements survenant dans un « petit » pays. Cette arrogance de « grande nation » qui ressort spontanément et en dépit de discours pourtant ouvertement européistes n’est pas la moindre des choses qui m’insupportent dans les comportements des journalistes français. A cet égard, il est intéressant de lire les commentaires dans les journaux belges (Le Soir ou La Libre Belgique) ou dans les quotidiens suisses francophones. Ils sont souvent de meilleure qualité que ce que l’on peut lire dans une presse française qui se révèle à la fois partiale et surfaite. Mais cette arrogance n’est sans doute pas la cause première de ce silence.

Ce relatif silence de la presse française traduit, et trahit, une gêne devant le résultat. Les Danois, peuple européen, ont rejeté une proposition de plus grande intégration dans le cadre de l’Union européenne. Ils l’ont rejetée de manière très claire, ce qui a été reconnu par le gouvernement danois. Ils l’ont rejetée aussi dans une alliance entre l’extrême gauche (et la gauche dite « radicale ») et le parti populiste et souverainiste danois, le DPP. On constate une nouvelle fois que, lorsqu’ils peuvent se retrouver sur un terrain commun, des souverainistes de gauche et de droite ont une large majorité. Et ceci gêne sans doute autant, voire plus, les éditorialistes à gages de notre presse nationale. Cela pourrait donner des idées au bon peuple de France. Voici donc une autre raison de ce silence relatif, et il faut le dire bien intéressé. Ce référendum porte en lui une critique de l’européisme. C’est pourquoi il convient de faire silence dessus. Ah, elle est belle la presse libre en France ! Elle est belle mais elle est surtout silencieuse quand il convient à ses propriétaires…

Une question technique ?

Dans les rares articles que les journaux, ou les autres médias français, consacrent aux résultats de ce référendum, on pointe avant tout la nature « technique » de la question posée : fallait-il remettre en cause les clauses dites « d’opting-out » négociées par le Danemark avec l’Union européenne pour permettre une meilleure coopération policière entre ce pays et les instances policières européennes (Europol pour les nommer) ? Mais, si l’énoncé de la question était assurément technique, il faut beaucoup d’aveuglement, bien de la cécité volontaire, pour ne pas voir que la réponse apportée par les Danois fut avant tout politique.

Il convient ici de rappeler que ce référendum a connu une forte participation. Près de 72% des électeurs danois se sont déplacés pour voter, ce qui constitue un record dans des référendums portant sur l’Europe pour le Danemark. C’est bien la preuve que les Danois ont compris que, derrière une apparence technique, la question était bien avant tout politique. D’ailleurs, cette dimension politique ressortait bien de la campagne qui se déroula avant ce référendum. Les questions de la suspension des Accords de Schengen, de l’intégration européenne, des coopérations multiples, furent en réalité largement débattues.

Cette réponse donc politique que les électeurs danois ont apportée, elle a un sens très net : celui d’un refus de toute nouvelle intégration européenne. Face à des questions essentielles, comme celle concernant la sécurité, les Danois ont clairement opté pour le maintien de leur souveraineté et le refus pour une plus grande intégration. Leur réponse traduit le profond désenchantement auquel on assiste quant à la construction européenne. Que ce soit dans le domaine de l’économie ou dans celui de la sécurité, que ce soit sur l’euro ou les contrôles aux frontières, c’est bien à un échec patent de l’intégration que l’on est confronté. Or, la réponse des européistes à cet échec n’est pas de s’interroger sur ses causes mais de demander, encore et toujours, plus d’intégration. En fait, l’intégration européenne est devenue un dogme, une religion. Et celle-ci n’admet aucune critique, ne souffre aucune contradiction. C’est pourquoi les dirigeants poussent à une surenchère mortelle. Mais c’est aussi pourquoi les peuples, qui bien souvent ne sont pas dupes d’un discours trop formaté pour être honnête, refusent justement cette surenchère et exigent qu’un bilan honnête et objectif de cette intégration soit fait.

L’heure des bilans

Ces bilans vont se multiplier, que les dirigeants le veuillent ou non. La Grande-Bretagne votera sur son appartenance à l’Union européenne en 2016 et, n’en doutons pas, on y suit de très près les implications du référendum danois. On votera sans doute sur la question de l’euro en Finlande, en 2016 ou en 2017. Ce vote aura aussi une importante signification. Mais surtout c’est dans sa pratique au jour le jour que l’Union européenne sera confrontée à cette demande de bilan.

Car il est clair que le trop fameux « pragmatisme » européen a engendré des monstres, qu’il s’agisse de l’Eurogroupe, club dépourvu d’existence légale et qui pourtant pèse d’un poids énorme comme on l’a vu lors de la crise grecque de l’été 2015, ou qu’il s’agisse des abus de pouvoir que commet désormais chaque semaine la Commission européenne. On se souvient des déclarations de Jean-Claude Juncker à l’occasion de l’élection grecque de janvier dernier [1]. Leur caractère inouï fut largement débattu. Un autre exemple réside dans la manière dont ces institutions européennes négocient, dans le plus grand secret, le fameux « Traité Transatlantique » ou TAFTA qui aboutira à déshabiller encore plus les Etats et la souveraineté populaire qui s’y exprime. Le comportement de l’Union européenne tout comme celui des institutions de la zone euro appellent une réaction d’ensemble parce qu’elles contestent cette liberté qu’est la souveraineté [2].

Il est plus que temps de dresser le bilan de ces actes, d’évaluer la politique poursuivie par les institutions européennes et leurs divers affidés, de gauche comme de droite, en Europe. On peut comprendre, à voir l’importance de l’investissement politique et symbolique qu’ils ont consenti, que les dirigeants européistes voient avec une certaine angoisse s’avancer l’heure où ils devront rendre des comptes. Mais à recourir à de quasi -censures, à des méthodes ouvertement antidémocratiques pour en retarder le moment ils risquent bien de finir par voir leurs têtes orner le bout d’une pique.

Jacques Sapir
4/12/2015

Notes :

[1] Jean-Jacques Mevel in Le Figaro, le 29 janvier 2015, Jean-Claude Juncker : « la Grèce doit respecter l’Europe ».
Ses déclarations sont largement reprises dans l’hebdomadaire Politis, consultable en ligne
[2] Evans-Pritchards A., « European ‘alliance of national liberation fronts’ emerges to avenge Greek defeat », The Telegraph, 29 juillet 2015,

Sources :

Les-Crises.fr
Russeurope

Correspondance Polémia – 11/12/2015

Image : Kristian Thulesen Dahl, le président du parti politique Dansk Folkeparti (DF) ce jeudi soir à Copenhague, Le non a été notamment défendu par l’extrême gauche et le Dansk Folkeparti.

 

 

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