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Reconstitution historique

Reconstitution historique

par | 14 avril 2015 | Politique

Reconstitution historique

C’était jeudi dernier. Le 9 avril 2015. Je me suis retrouvé par hasard en pleine reconstitution historique, Place d’Italie. Les organisateurs avaient eu l’idée de reconstituer un défilé CGT de 1961. Ils n’avaient pas lésiné sur les moyens et les participants étaient confondants de naturel. Très instruits du contexte, en tout cas. Rappelons-nous.

Un certain 13 avril, un mur a été édifié dans la nuit entre les zones soviétique et occidentale de Berlin.

Erich Honecker, secrétaire du parti communiste de RDA, a estimé que 3,6 millions d’Allemands de l’Ouest ayant fui le paradis communiste, ça suffisait.

Les partis communistes relèvent la tête. Fiers de savoir que leur mère patrie se défend contre les fascistes occidentaux. Elle fait mieux : elle installe des missiles à Cuba ! L’Amérique tremble.

Au PCF, l’ordre règne : sous l’autorité de Maurice Thorez, deux divergents ont été exclus. Ces impertinents avaient mal interprété le rapport « attribué au camarade Khrouchtchev ». Maurice Thorez, qui continue à qualifier Staline de « petit père des peuples », n’admet pas que l’on mette en cause les explications pourtant limpides du PC de l’Union soviétique à propos de Staline : « La presse bourgeoise mène une large campagne antisoviétique de calomnies, pour laquelle les milieux réactionnaires cherchent à utiliser certains faits relatifs au culte de J.V. Staline, condamné par le Parti communiste de l’Union soviétique », déclarait le PCUS 3 ans auparavant. C’était pourtant clair !

Les travailleurs français peuvent avoir la conscience en paix et se consacrer à la lutte pour des lendemains qui chantent.

C’est toute cette atmosphère qu’on pouvait retrouver lors de la remarquable reconstitution historique du 9 avril dernier.

Tout le haut de l’Avenue des Gobelins était occupé par des camionnettes chargées de baguettes et de jambon. Les camarades, sous l’autorité bienveillante des chefs de cellule s’affairaient à débiter des sandwichs.

À la hauteur de la mairie d’arrondissement, une estafette Renault de couleur rouge, affichant la bannière de la fédération CGT du Beauvaisis, diffusait sur son haut-parleur une chanson d’époque.

L’interprète de la chanson avait un peu la voix et en totalité la gouaille fabriquée de M. Renaud Séchan. Le texte de la chanson était tout à fait dans la tonalité de l’époque reconstituée.

Il y était question des Français qui commémorent en juillet « une révolution qui n’a fait cesser ni la misère ni l’exploitation », et aussi de ceux qui, en 1940, « s’étaient planqués à Londres à l’abri des bombes », ajoutant que « des Jean Moulin, y’en avait pas beaucoup ! ». La chanson oublie seulement de dire qu’à l’époque, ce dont on ne manquait pas, au PC, c’était des Duclos, Tréand, Catelas pour négocier avec les nazis la reparution de L’Humanité, tout en donnant des consignes pour faire bon accueil au soldat allemand, ce « prolétaire en uniforme ».

Dans la chanson, il y avait aussi une intéressante mise en parallèle entre la France et l’Argentine de Pinochet. Tout n’était pas parfait dans cette reconstitution, mais le cœur y était.

Autre demi-anachronisme, que l’on pardonnera bien volontiers : un autre haut parleur diffusait la chanson à la gloire du « commandante Che Guevara ».

Bien sûr, en 1961, Ernesto Guevara, le fusilleur en grand de Santa Clara, était déjà au faîte de sa gloire : en 1960 il avait même accordé une audience à Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir. Sartre, avec la clairvoyance politique qui le caractérisait déjà, se fit, en rentrant, le chantre de cet humaniste qu’il décrivait comme « l’être humain le plus complet de notre époque ».

Certes. Mais la chanson elle-même est de beaucoup postérieure…

La reconstitution est un exercice difficile, on le sait bien. On ne peut pas effacer toutes les traces laissées par le temps. On n’a pas pu éviter, par exemple, dans certains westerns, de laisser figurer dans le ciel bleu de l’Ouest sauvage les stries blanches d’un Boeing de passage.

Place d’Italie, on voyait bien que Mai-68 était passé par là. La dégaine de sexagénaires barbus aux longs cheveux gris regroupés en queue de cheval, on n’aurait pas vu ça en 1961.

Mais qu’importe le flacon. L’ivresse, quant à elle, se dissipa brusquement lorsqu’un ami croisé par là remit ma dialectique sur ses pieds (comme disait l’autre).

Non ce n’était pas une reconstitution historique ! C’était une manifestation syndicale tout à fait contemporaine ! Même que F.O. était de la partie ! (C’est vrai ; je les rencontrai une demi-heure plus tard Place de l’Hôtel-de-Ville. On ne pouvait pas les manquer : ils étaient au moins… dix).

Un huissier constatant conclurait à peu près en ces termes :

« Je me suis retiré et de ce qui précède ai dressé procès verbal, à l’usage de ceux qui croiraient encore que la pensée marxiste stalinienne est définitivement enterrée dans les déchetteries de l’histoire ».

Non. Le flambeau est repris d’une main ferme par une jeune génération qui a tout oublié. Et pour antiphraser Édouard Herriot, il ne lui reste même pas « la culture » pour surnager au-dessus de son oubli. Et ne croyez pas qu’en disant cela je m’acharne sur les malheureux tartineurs de sandwichs de la Place d’Italie. Ceux-là, ils ont des excuses.

Mais fréquentez donc les cabinets des « élites » politiques socialistes, rencontrez les petits marquis et les précieuses ridicules qui les peuplent. Ces niékulturniy ignorants, mal élevés et fiers de l’être. Ceux-là, si vous voulez faire fortune, achetez-les au prix qu’ils valent et vendez-les au prix qu’ils croient valoir. D’ailleurs, ceux-là, ils n’ont même pas eu besoin d’oublier.

Ça, c’est pour la blague.

Mais plus sérieusement : ce qu’il faut comprendre en observant la reconstitution historique CGT, c’est qu’il existe encore, dans notre pays hautement civilisé des pelotons, des escouades, des régiments de soldats, dont l’évolution mentale s’est figée qui en 1947, qui en octobre 1964, qui en juin 68 ; qui continuent à penser que le Goulag est une invention de la propagande fasciste ; que tout ira mieux quand on aura tout renationalisé, que c’est à l’État d’assurer l’égalité la plus rigoureuse entre tous en distribuant les emplois, les logements et la culture.

Tous prêts à vous coller au mur sur ordre. Convaincus d’agir pour le bien de l’humanité.

Bien sûr que vous n’êtes pas obligés de me croire. Et peut être, après tout, que jeudi dernier c’était une reconstitution historique.

Julius Muzart
14/05/2015

Julius Muzart

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