Par Étienne Tarride, avocat ♦ Quelle que soit l’opinion qu’on puisse avoir sur la personnalité de Marine Le Pen, la suppression arbitraire par deux juges militants de la subvention du Rassemblement national (RN) est profondément choquante. C’est également une décision contraire à la Constitution dont l’article 4 dispose que « les partis concourent à l’ expression du suffrage » et « qu’ils exercent leur activité librement ». La prétention des juges à contrôler leur activité et celle des parlementaires est une violation flagrante du principe de séparation des pouvoirs. Nos lecteurs trouveront ci-dessous une analyse de Maître Étienne Tarride, un avocat politiquement plutôt éloigné du RN, mais d’esprit libéral.
A l’heure où des partis politiques qu’on aime ou qu’on n’aime pas – je n’aime, pour ma part, ni l’un ni l’autre – sont poursuivis, ou pourraient l’être, par les instances européennes et nationales, une question de fond se pose qui n’est pratiquement jamais invoquée.
Les Partis en cause sont le Rassemblement National et le Modem qui auraient bénéficié de subventions pour rémunérer des assistants parlementaires et auraient en réalité rémunéré des personnes travaillant pour le parti et non pour le députés européens ou français.
Les dirigeants de l’un de ces partis ont dû quitter le gouvernement, l’autre est menacé d’asphyxie financière. Dans les deux cas, nous nous trouvons en présence d’une anomalie juridique qui confine à l’imposture.
Assistant parlementaire, des contours flous
La notion d’« assistant parlementaire » n’est pas définie que ce soit en droit Européen ou en droit Français. Il n’est indiqué nulle part quelles peuvent être les fonctions exactes d’un assistant parlementaire. Il suffit de relire le premier essai en ce sens, la Loi dite, sans doute pour rire, « Loi de moralisation de la vie politique », adoptée en 2017 pour constater que c’est le parlementaire lui-même qui définit les fonctions de son ou de ses assistants. Il n’existe aucune procédure définie permettant à une quelconque autorité de contesterle droit pour le parlementaire de confier telle ou telle tâche à l’un de ses assistants. Il n’existe aucune procédure de mise en garde. La loi de 2017 ne précise que l’interdiction faite aux parlementaires de recruter des membres de leur famille.
On voit mal, dès lors, sur quel texte pourrait reposer une mise en examen valide sauf à violer délibérément la règle fondamentale « Pas de délit sans texte ». C’est probablement la raison pour laquelle les Juges font appel à d’autres textes à grand renfort d’imagination et notamment à l’incrimination d’emploi fictif théorie qu’il apparait difficile de soutenir dès lors que la tâche à laquelle le collaborateur est astreint relève du seul choix du parlementaire sans contrôle administratif préalable ou à posteriori.
Un lien constant avec le parti
S’agissant de l’utilisation d’assistants parlementaires à la réalisation de travaux dans l’intérêt exclusif du parti auquel appartient le parlementaire, l’imprécision juridique conduit à l’imposture que ce soit dans le cadre européen ou dans le cadre national.
Le Parlement national, comme chacun le sait vote la Loi et contrôle l’exécutif qu’il peut renverser. Le Parlement européen participe à l’adoption des directives européennes et contrôle la commission qu’il peut renverser. Ainsi en est-il au moins dans les textes.
Le parlementaire national comme le parlementaire européen a donc, tout au moins en principe, vocation à émettre des votes sur tout sujet. Il n’est pas, dans cette tâche, un électron libre mais le membre d’un groupe et d’un parti politique qui a présenté aux électeurs un programme. Un programme général et pas seulement, s’agissant du Parlement européen, un programme limité aux relations souhaitables entre les Etats et l’institution européenne.
Dès lors, les assistants parlementaires qui participent à l’élaboration du programme du parti participent effectivement à la tâche des parlementaires de ce même parti.
A moins, évidemment, que les juges considèrent que les parlementaires aient vocation à s’affranchir totalement ou partiellement de leurs engagements électoraux, et dans ce cas il faudra l’écrire noir sur blanc dans les jugements à venir, j’invite même la défense à en demander acte.
A moins que l’astreinte consistant à prêter attention à des doutes ou des colères, à conserver des secrets et à diffuser des points de vue dans des cercles restreints mais importants pour le parlementaire – non je ne pense pas seulement à Pénélope Fillon -, soit jugée trop légère pour mériter salaire.
A moins, enfin, que le fait de conduire une voiture ou de faire le ménage soit tenu pour trop subalterne pour être rémunéré. Là aussi, il faudra que les juges le disent clairement, aucune manifestation d’esprit de classe n’est à dédaigner.
En conclusion, le régime des assistants parlementaires est trop incertain pour permettre des poursuites. La responsabilité entière en incombe aux pouvoirs exécutifs et aux Bureaux des Assemblées qui n’ont jamais voulu se préoccuper du sujet. Il serait donc plus que souhaitable que les prétendues infractions à des textes inexistants soient oubliées et que les autorités compétentes s’attachent à définir précisément le rôle des assistants parlementaires que le contribuable finance.
Etienne Tarride
11/07/2018
Source : Correspondance Polémia
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