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Rachida Dati, un itinéraire en trompe-l’œil

Rachida Dati, un itinéraire en trompe-l’œil

par | 26 janvier 2024 | Politique

Rachida Dati, un itinéraire en trompe-l’œil

Par Johan Hardoy ♦ La dernière chronique de Jean-Yves Le Gallou dans Polémia, « Rachida Dati : la grande imposture en route vers 2027 », nous amène à nous intéresser à deux livres parus en 2009 : Belle-Amie (Éditions du Moment, 178 pages) des journalistes Michaël Darmon et Yves Derai, et Du rimmel et des larmes (Éditions du Seuil, 228 pages) de la journaliste et écrivain Jacqueline Remy. Ces ouvrages décrivent le parcours et la personnalité de celle qui était alors garde des Sceaux et maire du très chic VIIe arrondissement avant de devenir dernièrement ministre de la Culture.

Une rouée de comédie

Pour les amateurs de littérature, les circonstances de l’ascension singulière de Rachida Dati ne sont pas sans rappeler le roman de Maupassant « Bel-Ami », qui relate l’histoire d’un ambitieux et séducteur sans scrupules.

À l’instar de ce personnage, l’intéressée a su séduire des personnalités de l’establishment telles qu’Albin Chalandon, Marceau Long, Jean-Luc Lagardère, Jacques Attali, Henri Proglio, Simone Veil et bien d’autres pour parvenir à diriger un ministère régalien, malgré une inaptitude au travail notoirement connue dans les arcanes du pouvoir.

Elle a également su mettre en avant ses origines maghrébines, tout en se montrant « outrée qu’on la désigne comme une beurette » [B-A, p. 13]. Ainsi, en 2006, quand Nicolas Sarkozy a invité les ambassadeurs arabes en poste à Paris pour aborder les questions d’immigration et de l’islam en France, « Rachida Dati est allée voir un par un tous les diplomates avant le déjeuner pour leur demander de mettre sur la table la question de la nomination d’une personnalité d’origine arabe au gouvernement. (…) Tout s’est exactement déroulé comme Rachida l’avait souhaité : les ambassadeurs ont soulevé le problème entre la poire et le fromage. Sarko a entendu le message en présence de Dati. Elle était aux anges. » [B-A, p. 41].

Un rapport au réel erratique

Rachida Dati exprime volontiers plusieurs vérités en fonction des interlocuteurs et du contexte.

Elle a grandi à Chalon-sur-Saône, au sein d’une famille nombreuse dont les parents étaient marocain et algérien. « Pour apitoyer ses protecteurs », elle peut dépeindre son père comme un chômeur alors que celui-ci a travaillé toute sa vie, notamment comme maçon [R & L, p. 32].

« Tous les témoins de cette époque le disent, les Dati ne sont sûrement pas très à l’aise, si nombreux. Mais ils ne sont pas dans la misère. Plus tard, Rachida dressera, auprès de ses mentors, un tableau très noir de sa condition familiale. » En outre, « la famille Dati a été largement aidée par les services sociaux pendant des années » [R & L, p. 31].

Après l’obtention de son baccalauréat, elle s’inscrit à la faculté de médecine de Dijon. Cette matière ne l’intéresse pas vraiment mais elle aspire à exercer une profession socialement respectable. Son ressentiment marqué contre la bourgeoisie ne l’empêche pas, bien au contraire, de l’imiter au niveau vestimentaire [R & L, p. 38].

Ses amis de l’époque la dépeignent comme une paresseuse qui n’étudie pas sérieusement ses cours : « Ce n’était pas une intellectuelle, on ne la voyait jamais lire, à part la presse people. » [R & L, p. 40.]

Contrairement à ses dires, elle ne travaille pas à plein temps pour payer ses études mais exerce tout au plus quelques petits boulots occasionnels dont la teneur réelle est noyée au milieu de déclarations ultérieures sujettes à caution [R & L, p. 41 et 45].

Sans surprise, elle rate par deux fois sa première année de médecine. Elle choisit alors les sciences économiques et obtient un DEUG en trois ans, avant de s’inscrire à Paris II Assas où elle parvient à acquérir une maîtrise de sciences économiques.

Rachida Dati : la grande imposture en route vers 2027 ?

« Culot et séduction »

En 1987, Rachida Dati, qui va bientôt avoir 22 ans, est invitée dans une réception célébrant l’indépendance de l’Algérie. Une fois dans la place, elle obtient les coordonnées téléphoniques de Roger Hanin puis se rapproche du garde des Sceaux Albin Chalandon qui l’invite à déjeuner.

Des rendez-vous discrets s’ensuivent, gérés par le directeur de cabinet Pierre Bousquet de Florian qui l’aide plus tard à intégrer la compagnie Elf Aquitaine en tant que chargée d’études au service comptabilité finances.

Par la suite, elle occupe diverses fonctions chez Matra Communication (grâce à Jean-Luc Lagardère), au siège londonien de la BERD (grâce à Jacques Attali) puis à la Lyonnaise des eaux. Selon sa biographie officielle, elle est également nommée conseiller technique à la direction juridique de l’Éducation nationale durant le mandat de François Bayrou.

Une courte carrière de magistrate

Le parrainage d’Albin Chalandon lui vaut les faveurs du président du Haut conseil à l’intégration Marceau Long. Ce dernier la présente à son tour à Simone Veil qui la prend sous son aile. Ces relations permettent à « Belle-amie » d’intégrer, sur dossier, l’École nationale de la magistrature.

À l’issue de sa scolarité, elle est nommée au tribunal de Péronne, dans la Somme, en tant que juge-commissaire en charge des procédures collectives. Marceau Long est présent lors de son intronisation et la nouvelle magistrate est revêtue de la toge de sa « marraine » Simone Veil [B-A, p. 24].

Ses collègues l’apprécient peu car ils la trouvent « cassante et hautaine », d’autant qu’« elle pose d’entrée ses conditions à sa hiérarchie : “Ma vie est à Paris. Je viens deux jours par semaine.” » [R & L, p. 92]. Simone Veil intervient en sa faveur quand le Premier président de la cour d’appel d’Amiens la convoque pour lui demander de modifier sa pratique professionnelle [R & L, p. 93].

Elle est rapidement mutée au tribunal d’Évry, en tant que substitut du procureur de la République à la section financière, où « ses voisins de bureau ont l’impression que son travail ne l’intéresse qu’à moitié, qu’il s’agit d’un tremplin » [R & L, p. 94].

L’entrée en Sarkozie

Au printemps 2002, avec l’aide de ses sponsors (notamment Pierre Bousquet de Florian, devenu directeur de la DST) et malgré le refus initial de Claude Guéant, Rachida Dati est reçue personnellement, au grand étonnement de ses collaborateurs, par Nicolas Sarkozy qui la recrute dans son cabinet comme conseillère technique [B-A, p. 17].

Pour s’intégrer dans ce cercle, « elle fait le clown pour séduire » ou raconte sa vie de façon émouvante en allant jusqu’à détailler ses peines de cœur [R & L., p. 106 et 107]. Si elle tranche dans le milieu compassé des costumes gris, elle ne présente manifestement pas les qualités requises pour évoluer dans un cabinet ministériel : « Il était impossible d’imposer à Rachida des tâches parfois contraignantes. Tout ce qui l’intéressait, c’était comment s’incruster » [B-A, p. 27].

Rachida Dati suit Nicolas Sarkozy lors de sa nomination à Bercy et devient conseillère chargée des faillites des entreprises, puis elle est nommée à la direction des Affaires juridiques du conseil général des Hauts-de-Seine quand il quitte le gouvernement.

Dans ce dernier poste, elle « ne laisse pas le souvenir d’un bourreau de travail » et le directeur général des services doit lui demander d’éviter de recourir de façon systématique à la sous-traitance des dossiers complexes par un cabinet d’avocats [R & L, p. 123].

Au moment de la crise du couple Sarkozy, elle en profite pour s’attirer les bonnes grâces du Président en envoyant chaque jour des dizaines de SMS à Cécilia pour la supplier de revenir avec son mari.

Quand Sarkozy revient au ministère de l’Intérieur, elle est promue conseillère juridique de son cabinet. Là encore, « Rachida Dati s’arroge le pouvoir, mais pas les responsabilités. Cela se termine par une belle panique lorsque, faute de “nègre”, la conseillère prévention ne parvient pas à fournir le ministre en fiches lorsqu’il défend son projet à l’Assemblée. En revanche, quand il s’agit d’être sur la photo, elle déploie une énergie admirable » [R & L, p. 129].

En janvier 2007, elle est désignée comme porte-parole de la campagne présidentielle de Sarkozy, en compagnie de Xavier Bertrand.

Garde des Sceaux et maire du VIIe !

En 2007, Sarkozy est élu président et Dati nommée ministre de la Justice. Cécilia a pesé dans ce choix surprenant, de même que l’influent conseiller Alain Minc.

Les magistrats la jugent rapidement « incompétente » [R & L, p. 218.]. Elle court-circuite régulièrement son directeur de cabinet, pourtant respecté par ses pairs, qui démissionne au bout de deux mois, bientôt suivi par plusieurs conseillers.

Ses relations avec le monde judiciaire se détériorent : « Elle mouche les hauts magistrats comme des écoliers en faute, les fait poireauter, les reçoit en dix minutes, les gronde quand les chiffres ne sont pas bons. » [R & L, p. 163.]

« Mais elle tranche surtout avec la pauvreté de sa dialectique, le minimalisme de ses propos quand il s’agit d’aborder, dans l’intimité de son bureau ou à table avec ses invités, sa conception de la justice et les grandes réformes à venir. » [R & L, p. 187.]

À rebours de la culture de ce milieu, « elle essaie ses tenues entre deux séances de parapheur dans son bureau de ministre, pose en robe de Galliano (Dior) tachetée panthère rose à la une de Match et parade dans les pages intérieures en bottes noires, bas résille, et robe du soir fendue, dans les salons de l’hôtel Park Hyatt » [R & L, p. 169]. Selon la presse, les frais de représentation de la Chancellerie explosent [R & L, p. 170]. Pire, la direction de la maison Yves Saint Laurent doit la menacer d’un scandale pour la convaincre de rendre des vêtements de luxe qu’elle prétend ne jamais avoir essayés ! [R & L, p. 171.]

Par ailleurs, « Rachida Dati prend Rama Yade pour tête de Turc », sous prétexte que celle-ci « incarne moins bien la diversité qu’elle-même puisqu’elle est issue d’un milieu bourgeois » [R & L, p.142].

L’arrivée de la nouvelle épouse du Président, Carla Bruni, l’amène à s’éloigner de sa « sœur » Cécilia en ne répondant plus à ses appels et à ses SMS.

Finalement, Nicolas Sarkozy lui « déniche un point de chute » : « J’aurais fait de cette fille une parlementaire française ancrée dans une circonscription imperdable, une maire à vie du VIIe arrondissement, je ne vois pas de quoi elle pourrait se plaindre. » [B-A, p. 130.]

À charge pour elle de s’y domicilier, de participer à des réunions, de fréquenter les églises et les marchés, ce qu’elle sait faire magnifiquement, au grand ravissement de la bourgeoisie locale…

Johan Hardoy
26/01/2024

Crédit photo : Simon Kirby [CC BY 3.0]

Johan Hardoy

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