« Dieu, mais que Marianne était jolie, quand elle marchait dans les rues de Paris…» Oui, Marianne était jolie, quand elle incarnait la France dans son unité, descendante de La Liberté guidant le peuple de Delacroix.
Une Marianne qui mêlait les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité qui rassemblent les Français au-delà de leurs convictions politiques avec cette féminité qui nous rappelle que l’esprit français repose sur un commerce apaisé entre les sexes, héritage de l’amour courtois et de la galanterie, qui fait que les femmes ont toujours eu en France une place que les pays latins d’un côté, les pays anglo-saxons de l’autre, leur déniaient.
Marianne, aujourd’hui, a un nouveau visage qui apparaît sur les timbres que nous sommes tous amenés à utiliser. Il est d’ailleurs affiché depuis quelques jours dans tous les bureaux de poste. C’est le visage d’une jeune femme blonde avec des fleurs dans les cheveux. Passons sur le kitch du dessin, qui relève d’un mauvais goût assez pompier. Le problème vient du discours qui entoure ce dessin, et notamment de la part des artistes, David Kawena et Olivier Ciappa, qui en sont les auteurs. Car, d’après ceux-ci, il s’agit d’un portrait d’Inna Shevchenko, la jeune Ukrainienne chef de file des Femen. Bon, la ressemblance n’est pas frappante, tous les artistes ont voulu imprimer un peu de douceur sur le visage de leur personnage. Mais l’intention est là, et elle en agace plus d’un.
Pour comprendre cette nouvelle guerre que certains qualifieront un peu vite de picrocholine, il faut d’abord rappeler le processus qui a abouti à ce choix. Car il nous raconte les merveilles de la démagogie ordinaire. En effet, parmi les diffférents dessins proposés par les artistes sollicités, le président de la République a voulu que ce soient des lycéens qui décident lequel deviendrait l’image de Marianne sur ce petit bout de papier crénelé qui incarne le service public à la française. Hommage à la jeunesse, l’avenir de la France, les futurs citoyens… c’est beau comme un discours électoral.
Moralité, les jeunes gens ont été conformes à ce qu’on attendait d’eux, ils ont choisi un dessin du plus parfait mauvais goût, mais qui, surtout, était agrémenté du discours le plus politiquement correct qui soit. D’après Olivier Ciappa, voilà donc une Marianne « égalité des droits – mariage pour tous ». Parce que les Femen, hurlant « Pope no more », seins nus, avec des cornettes de bonnes sœurs, Inna Shevchenko expliquant avec arrogance que le féminisme, avant les Femen, c’était « des vieilles femmes malades qui lisent des livres », c’est « l’égalité des droits ». Dans un sens, ce n’est pas faux. Droit à l’hystérie, à la caricature, à l’intolérance… Les Femen nous prouvent que nous sommes dans une société libre, où elles peuvent exprimer toutes les idées qui leur seraient interdites ailleurs, et c’est toute la grandeur de la France. Encore faut-il qu’il ne soit pas interdit de proclamer publiquement sa consternation devant l’inanité de leur action.
Mais le fait de choisir une Femen comme visage pour Marianne, qui est censée symboliser la République, la capacité de la communauté nationale à décider de son destin, prouve que personne, chef de l’Etat en tête, n’a plus en considération le caractère essentiel de l’unité nationale. Mettre en avant un personnage qui clive à ce point le pays, notamment en insultant une part de ses habitants, c’est ne pas voir que la France souffre déjà gravement de ses diverses fractures idéologiques qui se creusent et qui font s’affronter des pans entiers de la société.
Moi président, nous avait promis François Hollande, on ne dresserait plus les Français les uns contre les autres. La Marianne qu’il a contribué à afficher dans tous les bureaux de poste de France a eu cette déclaration sur Twitter, qui résume assez bien la haine et le mépris de certains pour ceux qui ne pensent pas comme eux, et qui ont le mauvais goût de ne pas être du côté de la modernité triomphante : « Désormais, tous les homophobes, extrémistes et fascistes devront lécher mon cul pour envoyer une lettre ! » Etant entendu que sont homophobes, extrémistes et fascistes les Français qui ont exprimé non seulement leur opposition, mais même leur simple réticence au mariage pour tous. Marianne n’est plus la France. Parce que la France n’est plus la France, mais un amas d’individus sans valeurs communes.
Natacha Polony
Source : Le Figaro
03-04/08/2013