Sabrina Lavric, maître de conférences – l’Université de Lorraine
♦ C’est à bon droit qu’une cour d’appel a déduit d’éléments extrinsèques aux propos poursuivis que ceux-ci visaient l’ensemble des immigrés de religion musulmane, et qu’elle a retenu que, sous couvert d’un débat légitime sur les conséquences de l’immigration et la place de l’islam en France, ils tendaient à provoquer autrui à la discrimination, à la haine ou à la violence.
Crim. 20 sept. 2016, FS-P+B, n° 15-83.070
Le 18 décembre 2010, lors d’une réunion publique dénommée « Assises internationales sur l’islamisation de nos pays », M. X… a tenu un discours comprenant notamment les propos suivants : « Ce n’est pas à des voyous que vous avez affaire, c’est à des soldats. Enfin si, ce sont bien des voyous, mais ces voyous sont une armée, le bras armé de la conquête. […] En rendant la vie impossible aux indigènes, les nouveaux venus les forcent à fuir, à évacuer le terrain […]. Ou bien, pis encore, à se soumettre sur place, à s’assimiler à eux, à se convertir à leurs mœurs, à leur religion, à leur façon d’habiter la terre et ses banlieues qui sont l’avenir de la terre. […] Les attaques dont font l’objet les pompiers, les policiers et même les médecins dès qu’ils s’aventurent dans les zones déjà soumises le montrent assez : c’est en termes de “territoire”, de défense du territoire et de conquête du territoire que se posent les problèmes qu’on réduit quotidiennement à des questions de délinquance, de lutte contre la délinquance. […] en de pareilles proportions, la nocence n’est pas un phénomène qu’on peut abandonner à l’action policière ou à celle des tribunaux […]. Le système pénal, qu’il soit policier ou judiciaire, est impuissant. Chaque fois qu’un indigène est sommé de baisser le regard et de descendre du trottoir, c’est un peu plus de l’indépendance du pays et de la liberté du peuple qui est traîné dans le caniveau ».
Cité à comparaître devant le tribunal correctionnel pour provocation à la discrimination ou à la haine raciale, M. X… fut déclaré coupable et condamné à 4.000 € d’amende. La cour d’appel confirma ce jugement en retenant notamment que le prévenu incitait à rejeter les musulmans en tant qu’envahisseurs supposés donc en tant qu’ennemis amenant insidieusement à une lutte contre l’envahisseur et faisant naître chez l’auditeur l’idée de la nécessité d’une lutte para-étatique, compte tenu de l’incapacité des pouvoirs publics à mettre un terme à cette prétendue invasion musulmane, que ses propos constituaient une très violente stigmatisation des musulmans et plus généralement des personnes issues de l’immigration, et qu’en imputant aux immigrés, visés en tant que formant un groupe de personnes à raison de leur non-appartenance à la communauté d’origine française, des méfaits aussi graves, il suscitait immédiatement chez l’auditeur des réactions de rejet, de discrimination, voire de haine ou de violence, l’incitation étant renforcée par le fait que l’auteur suggérait aux « indigènes » de réagir par eux-mêmes, par des procédés illégaux.
Dans son pourvoi, le prévenu invoquait une violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, soutenant pour l’essentiel que ses propos n’étaient que l’expression d’une opinion politique relevant de sa liberté d’expression et qu’ils n’incitaient pas à la violence. Par son arrêt du 20 septembre 2016, la chambre criminelle rejette son recours. Pour la Cour de cassation, c’est à bon droit que la cour d’appel « a […] déduit d’éléments extrinsèques aux propos poursuivis, qu’elle a souverainement analysés, que ceux-ci visaient l’ensemble des immigrés de religion musulmane, et qu’elle a exactement retenu que lesdits propos, au prétexte d’un débat légitime sur les conséquences de l’immigration et la place de l’islam en France, en ce qu’ils présentaient tous les membres du groupe ainsi visé, assimilé au “grand banditisme” et au “crime organisé”, comme des délinquants colonisant et asservissant la France par la violence, et affirmaient que cette situation ne pouvait être abandonnée “à l’action policière ou à celle des tribunaux” […] tendaient, tant par leur sens que par leur portée, à provoquer autrui à la discrimination, à la haine ou à la violence ».
L’article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 punit d’un an d’emprisonnement et/ou de 45.000 € d’amende ceux qui, publiquement, auront « provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». Pour que l’infraction soit constituée, le propos doit d’abord « exprime[r] nettement un rejet absolu d’une personne ou d’un groupe de personnes pour des raisons tenant exclusivement à l’un des éléments énumérés par l’incrimination » (B. Beignier et alii, Traité de droit de la presse et des médias, LexisNexis, 2009, n° 845), de façon à ce qu’un lien puisse être établi entre l’auteur et l’idéologie raciste ou discriminatoire (ibid.). Ensuite, il doit clairement inciter le public à discriminer, violenter ou haïr cette personne ou ce groupe de personnes. En l’espèce, la chambre criminelle estime que les juges du fond ont exactement qualifié les faits en présence de propos visant les immigrés de confession musulmane, incitant à la haine et à la violence (v. déjà, pour des propos visant la communauté musulmane, Crim. 24 juin 1997, n° 95-81.187, Bull. crim. n° 253, D. 1997. 212 ; RSC 1998. 102, obs. Y. Mayaud ; 15 janv. 1998, Gaz. Pal. 1998. 1, chron. crim. 74 ; v. aussi, Rép. pén., v° Provocation, par J.-Y. Lassalle, n° 52 s.).
Sabrina Lavric
4/10/2016
Sabrina Lavric, maître de conférences-Université de Lorraine, a été rédactrice en chef adjointe du Recueil Dalloz et rédactrice en chef de Dalloz actualité.
Source : Publié sur Dalloz Actualité
Correspondance Polémia – 6/10/2016
Image : mouvement nationaliste