Yves-Marie Laulan, essayiste, démographe, économiste et géopoliticien
♦ Je laisse naturellement à mes lecteurs érudits le soin de compléter, comme il se doit, cette apostrophe vengeresse. Mais quand même…
Les élections dites primaires avaient été conçues à l’origine comme un mécanisme pour gagner les élections. Elles fonctionnent, en réalité, comme une machine à perdre. Elles devaient, en théorie, rassembler pour réussir. En fait, elles aboutissent exactement à l’inverse. Car elles font débuter la campagne par une guerre civile interne, un combat fratricide qui engendrent des rancœurs difficiles à évacuer et laisse des cicatrices lentes à disparaître. Au surplus, elles ouvrent les hostilités beaucoup trop tôt en exposant au grand jour les faiblesses de son propre camp permettant ainsi à l’adversaire de fourbir ses armes à loisir. Voici pourquoi.
On nous avait benoitement raconté que, grâce à cette procédure préélectorale importée tout fraîche des Etats-Unis, la France allait, à son tour, bénéficier du moyen infaillible de gagner les élections de son camp à tous les coups et sans effort. L’idée ingénieuse, mais erronée comme on le verra , était qu’en rassemblant toutes les voix des électeurs de son camp au bénéfice d’un candidat unique, le parti que entrait en lice allait éviter la dispersion de ses voix sur des candidats secondaires n’ayant aucune chance et améliorer ainsi ses espoirs de remporter la victoire. C’était, en quelque sorte, s’inspirer de la stratégie napoléonienne consistant à mobiliser ses ressources en les ciblant sur les points faibles de l’adversaire. Las, ce procédé ingénieux n’a nullement obtenu les résultats escomptés. Pire, il a permis aux adversaires de mieux titrer parti de la situation préélectorale. Qu’on en juge.
Les primaires de la droite ont, certes, permis, dans un premier temps, à François Fillon, candidat connu mais nullement favori, de s’imposer comme le champion d’une droite revigorée, en renvoyant Alain Juppé, qui avait de bonnes raisons d’espérer de recevoir l’investiture, à ses chers vignobles bordelais. A gauche, on retrouve un scénario quasi identique mais inversé. On voit Emmanuel Valls, premier ministre sortant, dont chacun reconnait la lucidité et les capacités, éliminé au profit de Benoît Hamon, déclaré élu des primaires par une poignée étriquée de militants socialistes fanatiques. On voit bien pourtant que le programme fantasmagorique de l’élu de la gauche est loin de faire l’unanimité dans son propre camp et menace déjà de faire éclater le camp socialiste. Comme le disait jadis Gambetta : « Je vote pour le plus bête ».
Car on est en présence d’un programme onirique, celui d’un candidat qui n’a pas lu la presse, ni les statistiques économiques depuis des années, un bon demi-siècle, peut-être plus encore. Préconiser l’instauration d’un revenu universel dont le coût serait estimé à près de 500 milliards d’euros alors que la France a un endettement de 2200 milliards et que les taux d’intérêts remontent dangereusement dans le monde, relève du rêve éveillé. Comme on dit communément, « faut l‘ faire » (et dire que François Hollande a fait de ce pitre un ministre de l’éducation nationale !).
Cela démontre, soit l’ignorance crasse du candidat socialiste aux élections présidentielles, hypothèse, hélas, la plus probable, soit encore le cynisme avéré de la part du candidat de la gauche qui n’hésite pas à envoyer un message pétri de démagogie absurde à des électeurs innocents, ignares ou aveugles. Et les fameux débats des primaires n’ont pas réussi à crever cette outre grotesque qui prétend nous faire « prendre des vessies pour des lanternes », comme le rappelle opportunément le proverbe.
En revanche, les candidats « hors les murs », comme dirait l’aimable maire de Béziers, caracolent joyeusement en tête. C’est Emmanuel Macron, « l’enfant du miracle », tendrement élevé dans le sérail socialiste auprès de son mentor du moment, François Hollande. Cet Eliacin aux traits angéliques, mais au caractère bien trempé, aurait ainsi, par un détour singulier, de bonnes chances d’accéder à l’Elysée. Car il aura naturellement pour lui la gauche, satisfaite d’échapper par miracle au désastre, mais aussi une bonne partie de la droite, toute heureuse d’échapper au cauchemar de Marine Le Pen, présidente de la République.
Ce dernier a crânement décidé de tenter sa chance en navigateur solitaire sans passer par les pesantes fourches caudines des primaires de la gauche, démontrant ainsi son mépris de l’électorat socialiste, ou tout au moins des militants de ce parti « bouffé aux mites », sachant que bien que, devant le péril, à savoir la perspective de voir Marine Le Pen élue, l’électorat socialiste votera pour lui comme un seul homme , sans qu’une seule voix ne se perde.
Macron a eu pour lui deux bonnes fées qui se sont penchées sur son berceau. C’est, comme on l’a vu l’excellent François Hollande qui n’est pas si ennemi de la finance comme il l’a prétendu. On apprendra plus tard sans aucun doute de singulièrement révélations à ce sujet, quand il aura quitté l’Elysée. Mais aussi la banque Rothschild où il a fait ses classes de banquier. N’oublions pas que ladite banque est, souvent, la « matrice » des présidents de la République. On peut y acquérir en peu de temps un incomparable carnet d’adresses. Le président Georges Pompidou, entre autres, était passé par là. C’est beaucoup mieux que la Banque Lazard qui, elle, se détourne carrément des arcanes de la politique pour se plonger uniquement dans le bourbier des affaires juteuses.
Mais, autre cavalier solitaire qui fait la course en tête, notre chère Marine Le Pen. Il n’a jamais été question, bien entendu, de la faire concourir aux primaires de la Droite car elle dissimule, horreur, sous des traits innocents de Jeanne d’Arc, la hure immonde du fascisme. Il n’empêche que l’insolente empoche, sans coup férir, entre 25 à 30 % de l’électorat. Pas mal pour un parti « hors les murs ».
Quoiqu’il en soit, on voit bien, si on néglige les candidats folkloriques comme le joyeux Mélenchon grand amateur de gaillardises, au terme de cette démonstration, que ce sont les candidats « primairiens » qui sont pénalisés. C‘est le cas de l’infortuné François Fillon englué dans les affaires, ou même du lugubre Benoît Hamon (qui devrait quand même se raser au moins deux fois par jour et passer, au préalable, entre les mains d’un esthéticien chevronné). Ce sont les champions « hors primaires » qui s’en tirent le mieux. Comment expliquer ce paradoxe apparent ?
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L’explication est simple. Comme pour les salades fraîches, l’exposition excessive et prolongée au soleil est nuisible à tout candidat, aussi avenant soit-il. Pourquoi ?
Il n’est pas d’homme politique ayant un long passé sous les feux de la rampe qui n’ait, au fil des évènements, par étourderies, inattention ou simple sottise, commis quelques peccadilles mineures. C’est, humainement, inévitable. Rappelons-nous les fameux diamants de Bokassa sous Giscard. Et si l’on passait au crible fin le parcours de tous nos hommes politiques sans exceptions, aucun n’en sortirait indemne. La preuve en a été fournie tout récemment par l’affaire Bruno Le Roux, ministre de l’Intérieur s’il vous plait, ce qui l’a contraint à une démission express. Et combien de cas moins connus ou inconnus ? Utiliser ce genre de procédé, la dénonciation de turpitudes réelles ou supposées, est tout simplement une question de temps, de moyens et de motivations.
Dans le cas de Fillon la motivation était, dès le départ, au rendez-vous. Le malheur a voulu que François Fillon soit une victime exemplaire, idéale. Ancien premier ministre, il a fait de la politique avec succès depuis plus de 30 ans. Au surplus, il incarne aux yeux de la gauche, et aussi d’une partie de l’opinion publique l’Antéchrist, le diable en personne. Comment ! Ce gaillard est un père de famille fidèle, qui aime sa femme, alors qu’il devrait être interdit, et inscrit dans la Constitution, que, dans un régime normal, républicain, seul un franc maçon, socialiste de préférence, homosexuel bien sûr, ou, à la rigueur, accompagné de ses nombreuses maitresses passées, présentes et à venir, devrait être autorisé à se présenter aux élections présidentielles.
Non content de ça, ce coquin est un catholique pratiquant et le revendique. C’est de la provocation pure. Une honte. Président, nul doute qu’il s’empresserait de faire rétablir l’uniforme dans nos écoles et la prière obligatoire avant le début des cours, comme l’a fait François Hollande pour le mariage gay en urgence, dès son élection. Pire, il serait bien capable d’imposer le respect des professeurs au lieu d’autoriser aux écoliers de leur cracher dessus gentiment. Il faut bien permettre pourtant aux jeunes Français, de fraîche date notamment, de s’exprimer librement dans les écoles de la République. Mais où va-t-on ?
Enfin, pour comble, il prétend imposer une cure de régime aux Français pour rétablir les finances de notre pays. Est-ce que vous vous rendez compte ? Alors qu’il pourrait, comme ses prédécesseurs, continuer à emprunter tranquillement sur les marchés internationaux pour financer nos déficits. Alors que la Grèce, mère de la démocratie, nous a montré le bon exemple, le chemin à suivre.
Pour atteindre un « endettement grec », nous pourrions encore emprunter pendant des années et des années, peut-être 1000 à 2000 milliards supplémentaires, garantis, bien sûr, par l’Allemagne. Un véritable pactole. Pourquoi se gêner ? Et, de surcroît, cela sans aucun risque, en toute impunité. Car le public français pardonne aisément à ses hommes politiques d’emprunter 1000 milliards d’euros de plus, mais se cabre si le même est soupçonné d’avoir obtenu 50 000 euros dans des conditions autorisées par les textes et la pratique, mais qui ne sont pas ouvertes à Monsieur-tout-le-monde.
En bref, François Fillon était la victime tout désignée, l’homme à abattre. Et on l’a abattu, come au tir aux pigeons. A telle enseigne qu’il apparaît dans les sondages en troisième position. El les primaires dans tout cela ?
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Les primaires sont l’instrument privilégié pour désigner une victime, une cible privilégiée à la vindicte de ses ennemis. Une attaque aussi parfaite demande, en effet, du temps et des moyens.
Il faut du temps pour réunir un dossier, rassembler des fiches, fouiller dans les archives aussi loin que possible, plus de 20 ans dans le cas de Fillon. Le temps, les primaires l’ont fourni à ses adversaires.
Les moyens ?
La gauche en dispose plus qu’il n’en faut avec une armée d’informateurs bénévoles et de sympathisants dissimulés dans les rangs serrés de l’administration d’Etat aux Finances, aux Impôts, à la Justice, à l’Assemblée nationale, à la Poste etc., partout où il pourrait y avoir des informations croustillantes à recueillir . Et nul besoin de les payer pour cela. Ils seront tous volontaires. Ceci étant, une opération aussi accomplie ne se monte pas d’elle-même par l’opération du Saint-Esprit. Il faut un chef d’orchestre.
Au surplus, il faut compter avec l’empressement décidément bien suspect d’une partie de la magistrature. Sans doute aucun, le Syndicat de la Magistrature est passé par là.
Et comment diffuser ces informations et les porter à la connaissance du public? L’instrument est tout trouvé : c’est l’excellent Canard Enchaîné, devenu de facto l’instrument médiatique de la gauche réunie. Ce n’est pas le Canard qui risquerait des subir le sort de Charlie Hebdo. Car les djihadistes sont ravis de voir les Français se rouler dans la boue. Cet hebdo travaille indirectement pour eux, à la démolition de la France
C’est l’ensemble de ces éléments qui a permis de réussir ce coup magnifique, voler une élection quasi-assurée, asséné de main de maitre, au moment propice, à la veille des élections. Même le régime soviétique de jadis n’aurait pas été en mesure de monter une opération aussi superbe, couverte du blanc manteau de la vertu républicaine et de l’indignation médiatique. Bravo l’artiste !
Et bravo les Primaires. Elles sont ainsi devenues le moyen privilégié de mettre en œuvre une démolition méthodique du candidat à abatte en l’attaquant, non sur ses idées, mais sur sa personne, procédé auquel la gauche est orfèvre dans notre pays. C’est ce que les Anglais appellent le « character assassination » Notre gauche y excelle. C’est d’ailleurs tout ce qu’elle sait faire.
Mais, me direz-vous, pourquoi désigner la gauche comme le maître d’œuvre de cette machination infernale ? La réponse s’impose d’elle-même : à qui profite le crime ?
Yves-Marie Laulan
22/03/2017
Correspondance Polémia – 1/04/2017
Image : Primaires à droite