Lors du vote sur le Brexit comme lors de la présidentielle américaine, les sondages fort décriés permettaient pourtant bien de discerner l’incertitude du résultat. Ce n’est pas la méthode du sondage qui fut fautive, mais bien leur interprétation par des commentateurs trop inattentifs qui amena trop de médias à s’imaginer quasi-certains refus du Brexit comme élection de Hillary Clinton.
Cette fois-ci encore, il faut examiner les sondages de près pour qu’apparaisse le véritable rapport de force. Macron et Fillon sont en réalité au coude-à-coude, Le Pen domine largement chacun d’eux, et l’identité de son adversaire de second tour reste fort incertaine…
L’analyse des résultats des sondages par la plupart des commentateurs se base principalement voire seulement sur les résultats mis en avant dans la première page des enquêtes d’opinion, sans prendre en compte ni l’abstention, ni – crucialement – le niveau de certitude de leur choix exprimé par les sondés.
Cependant, si l’on veut avoir une chance d’éviter les écueils qui ont mené tant de médias à prétendre l’année dernière que les sondages annonçaient refus du Brexit et élection de Hillary Clinton ce qui n’était pas le cas, il est nécessaire de creuser davantage…
Nota : Dans la suite de ce billet, les données exploitées seront celles des cinq derniers sondages publiés par Elabe, Ifop Fiducial, BVA, Opinionway et Harris Interactive entre le 22 et le 29 mars 2017, voir tableau complet en fin d’article (*)
Intentions de vote hors abstention et vote blanc
Au premier niveau, on en reste aux résultats mis en avant par les instituts de sondage.
La première impression est que Emmanuel Macron (25,5%) et Marine Le Pen (25%) se détachent nettement, François Fillon (18%) étant distancé de sept points qui apparaissent bien difficiles à rattraper d’ici le 23 avril, sachant qu’ils ne pourraient guère être récupérés que sur Macron, Dupont-Aignan et Le Pen, lesquels semblent tous bénéficier qui d’une dynamique qui d’une certaine solidité.
C’est à cette première impression que s’arrêtent la plupart des commentateurs. La conclusion étant un second tour Macron – Le Pen, et la très probable élection du chef d’En Marche.
Intentions de vote faisant apparaître l’abstention et le vote blanc
Pour enrichir l’analyse, il est assez naturel de faire apparaître aussi l’abstention et le vote blanc, mesuré en moyenne à 33% dans les dernières enquêtes.
Si les rapports de force entre les différents candidats n’en sont pas directement changés… les marges de progression apparaissent beaucoup plus nettement. Macron comme Le Pen émargent à 17%, Fillon à 12% distancé de cinq points, alors que 33% des Français n’expriment pas de choix ou d’intention de participer au vote. Cinq points à rattraper, voilà qui n’est certes pas fait mais semble déjà un peu plus accessible.
Intentions de vote certaines, prenant en compte abstention et vote blanc
Mais il ne suffit pas d’exprimer un choix, encore faut-il en être sûr ! C’est d’autant plus vrai dans une campagne présidentielle qui voit de nombreux Français exprimer incertitude voire trouble. Or les instituts de sondage mesurent aussi le degré de certitude des intentions de votes exprimées. Il est donc possible de croiser ces données avec les intentions de vote afin d’obtenir les intentions de vote certaines.
La part des Français qui soit affirment ne pas envisager de voter le 23 avril, soit déclarent que leur choix est encore incertain, grimpe à plus de 55% ! De plus, l’équilibre électoral entre les trois candidats de tête est bouleversé, Marine Le Pen (13,7%) prenant un net avantage sur les deux suivants, séparés par bien peu de choses entre Macron (9,9%) et Fillon (8,7%)… plus précisément par guère plus qu’un seul point.
Il est naturellement fort probable que la participation dépassera de loin les 45%, une grande partie des indécis et des peu sûrs de leur premier choix se décidant au final pour l’un ou pour l’autre candidat. Mais l’important est justement que la plupart d’entre eux hésitent encore, et que le jeu est encore largement ouvert.
Ce qui donne une toute autre image du second tour : à côté du scénario Macron – Le Pen issu de la première impression, le scénario Fillon – Le Pen apparaît presque aussi probable.
Et le scénario plus surprenant d’un second tour Mélenchon – Le Pen, nettement plus difficile puisque le candidat de la France Insoumise ne rassemble que 5,5%, ne peut être totalement écarté.
Intentions de vote certaines – L’état des forces à trois semaines du premier tour
L’équilibre des forces en cette fin mars à trois semaines du premier tour peut être résumé ainsi – en faisant disparaître du graphe précédent les indécis et les abstentionnistes.
Exprimé en pourcentage des intentions certaines de vote, l’équilibre électoral en cette fin mars est de plus de 30% pour Marine Le Pen, 22% pour Emmanuel Macron, presque 20% pour François Fillon, plus de 12% pour Jean-Luc Mélenchon et 8% pour Benoît Hamon.
Cet équilibre se déplacera presque certainement d’ici le jour du vote, d’une manière naturellement imprévisible, au fur et à mesure que davantage de Français encore indécis se décideront pour l’un ou pour l’autre, choisiront de voter ou de s’abstenir.
La seule chose qu’il soit possible d’affirmer à ce stade, c’est que l’affiche du second tour est tout sauf déjà décidée.
Second tour – à ce stade, la ligne Macron-Fillon tient, mais…
Les études d’opinion testent les deux scénarios Macron ou Fillon contre Le Pen. L’évolution de leurs résultats depuis fin janvier est résumée ci-après :
Emmanuel Macron comme François Fillon s’accordent à désigner Marine Le Pen comme leur « adversaire principale » suivant les mots du candidat Les Républicains lors du débat télévisé du 20 mars. À ce stade, l’un comme l’autre apparaissent devoir l’emporter contre elle le 7 mai
Plusieurs réserves importantes doivent toutefois être ajoutées :
- Tout d’abord, les études du second tour ne font pas apparaître le degré de certitude exprimé par les sondés. Il est donc impossible d’étudier la répartition des intentions de vote certaines, qui pourrait s’avérer différente, comme c’est le cas pour le premier tour ;
- Les cinq semaines de campagne électorale d’ici le second tour pourraient naturellement faire évoluer les rapports de force ;
- La campagne présidentielle a vu jusqu’ici une véritable farandole d’Importants, personnages politiques apparemment indéboulonnables, se faire remercier sans cérémonie : Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, François Hollande qui eut du moins l’intelligence de prendre les devants, Manuel Valls… Si l’état d’esprit « frondeur » des Français menait à continuer ce véritable jeu de massacre, il n’est pas certain qu’Emmanuel Macron ni François Fillon en soient automatiquement protégés ;
- À noter qu’une affiche du second tour Macron ou Fillon contre Le Pen garantirait que le sujet central du second tour serait l’Union européenne. Or, la dernière fois qu’un vote a été centré sur l’UE, c’était le référendum de 2005 sur la Constitution européenne, qui a vu le Oui initialement à 65% dans les sondages être ramené à 45% le jour du vote, soit 20% des Français qui changèrent d’avis après avoir examiné de plus près la question. Un déplacement moitié aussi grand suffirait à mettre la victoire à portée de Marine Le Pen.
Il est impossible de ne pas conclure – même si les arguments sont plus qualitatifs et historiques que les arguments quantitatifs concernant le premier tour – que le résultat du second tour reste aujourd’hui nettement plus ouvert qu’il n’y paraît.
L’élection de Marine Le Pen, qui serait un événement à proprement parler historique, ne peut absolument pas être écartée.
Alexis Toulet
Source : noeud-gordien.fr
31/03/2017
(*) – Les données exploitées pour cet article sont résumées ci-après :