Virginie Vota, essayiste.
♦ Source d’enseignement et d’inspiration, le Passé constitue un socle historique immuable qui nous enracine au sein d’une patrie, d’une culture, d’une communauté. En habitant nos mémoires, il façonne le présent à travers nos actions. Comment comprendre les crises de notre époque sans connaître l’Histoire de notre pays ?
Ce n’est pas lui qui détermine notre avenir, bien au contraire, puisque toute rétrospection ouvre la possibilité de choisir une nouvelle direction pour modifier, abandonner ou restaurer une tradition, c’est à dire l’héritage qui se transmet de générations en générations : une somme de savoirs, de pratiques, de valeurs qui forgent notre identité au sein de la société.
Fruit de convictions portées par les siècles, la tradition se nourrit de nos œuvres : pour la perpétuer, il faut rompre avec l’immobilisme et s’affranchir de toute résignation.
Dans la fiction 1984 de George Orwell, sur le point d’entamer son Journal et de commettre un « crime de pensée », Winston se questionne précisément sur le sujet. Hanté par de vagues souvenirs d’enfance dont la mémoire reste le seul écrin, le personnage s’efforce en vain d’oublier. Selon le Parti A.N.G.S.O.C., « celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » Or, dans un monde où tous les repères temporels se trouvent abolis, où les individus sont profondément déracinés, et où le Passé n’existe plus, reste-il encore possible de concevoir l’existence d’une génération future ?
Parce qu’il n’est pas suffisamment lobotomisé, qu’il est né trop tôt, Winston se demande « comment communiquer avec l’avenir. » Pour lui, la tâche apparait impossible parce qu’il ne conçoit pas l’idée de transmission ou de continuité : il ne l’a pas connue. Il n’a pas reçu d’Héritage. Pourtant, un « besoin de l’âme », un manque impossible à combler, le tourmente. Dans sa vision réductrice, soit « l’avenir ressemblait au présent, et on ne l’écouterait pas, ou il serait différent, et son enseignement, dans ce cas, n’aurait aucun sens ». Dans le premier cas, le futur n’est qu’une copie du présent, image de la civilisation dans laquelle il se trouve plongé. Dans le second cas, la rupture entre le présent et l’avenir empêche toute correspondance entre les deux mondes.
Le parti ligote indéfiniment les esprits en les prémunissant contre toute idée de construction temporelle. En perdant ses origines, ou en les réduisant à l’image de fantasmagorie à travers la vision rêvée de cette clairière inaccessible, il ne peut se projeter dans une autre époque, résultat de ses actions présentes. Or, sans perspective, sans recul historique et sans connaissances, la comparaison n’existe plus. En l’absence de tout esprit critique, la résistance est vouée à l’échec.
La République des Lumières instaurée dès le XVIIe siècle, opère de manière semblable, dans l’optique de façonner l’homme nouveau. Un ami de Voltaire, La Chalotais, déclarait lui-même en 1763 dans son Essai d’éducation nationale que « les hommes de la révolution veulent des citoyens. L’“éducation nationale“ les produira. » Pour Claude Nicolet, « il faut se débarrasser de l’histoire subie –celle de la monarchie, comme celle du christianisme ou même de l’Antiquité -, il y en a une autre, nouvelle, en rupture avec la tradition, qu’il faut faire, et faire rationnellement. » [1] L’actualité témoigne constamment de la mise en œuvre de ce despotisme éclairé : omission volontaire du Maréchal Pétain lors de la commémoration de Verdun, suppression de périodes entières de notre Histoire au sein des nouveaux manuels scolaires, substitution de mots de langue française par des néologismes multiculturels dans Le Petit Larousse 2017, réalité falsifiée que nous présentent les médias, etc. pour ne citer que les faits les plus récents.
Pourtant, évoluer ne signifie pas rompre avec nos origines, mais nécessite suffisamment de recul pour construire un avenir embrassant à la fois notre héritage et les innovations. Simone Weil nous rappelle que le Passé figure parmi les besoins vitaux de l’âme humaine, puisque « l’avenir ne nous apporte rien, ne nous donne rien ; c’est nous qui pour le construire devons tout lui donner, lui donner notre vie elle-même. Mais pour donner, il faut posséder, et nous ne possédons d’autre vie, d’autre sève, que les trésors hérités du passé et digérés, assimilés, recréées par nous » [2].
Ainsi, la construction de l’avenir nous appartient. Il deviendra le Passé que nous transmettrons à notre tour aux générations futures. Que de grands exemples et de sources d’émulation l’Histoire ne fournit-elle pas à notre jeunesse ? Sacha Guitry écrivait que la France « se relèverait par les Arts ». Avec son œuvre littéraire, musicale et picturale, De Jeanne d’Arc à Philippe Pétain – de 1492 à 1942, il rend hommage à ceux qui ont préparé à la France « un passé magnifique ». Par cette rétrospective, il nous exhorte à perpétuer et à enrichir notre héritage, parce que « le passé se nourrit des minutes présentes, et c’est ainsi qu’il nous absorbe. Mais ce n’est pas encore assez de dire qu’il est à nous : il est de nous. Il est notre œuvre. Ce qu’on donne au Passé, le Passé nous le rend. Et si ce qu’on lui donne est bien, il nous le rend impérissable. Mieux : il nous le restitue présent ».
Tant d’autres historiens, écrivains ou artistes, témoins de leur temps, ont consacré leur vie à la France, léguant au futur un précieux travail à perpétuer. Alors que notre culture se trouve assaillie de toute part, notre identité menacée, notre pays envahi, nous ne devons pas seulement espérer un changement, mais nous tenir debout : c’est-à-dire reprendre le flambeau, cultiver l’espérance, être fiers de nos racines, et préparer à notre tour les générations à venir. Oui, « préparer à la France un Passé magnifique », tel est le devoir de la jeunesse actuelle.
Virginie Vota
1/07/2016
Notes :
[1] Claude NICOLET, L’idée républicaine en France (1789 – 1924)
[2] Simone WEIL, L’Enracinement, prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain
Correspondance Polémia – 5/07/2016
Image : l’Histoire