Ivan Blot, en quelque sorte, rappelle des principes de gouvernance indispensables à une bonne marche de la démocratie. Pour ce faire, l’auteur se livre à une comparaison entre deux démocraties de la grande Europe : la France et la Russie. Il dénonce un certain nombre de défauts du système français pour louer les qualités contraires de nos amis russes, tuant ainsi quelques renommées négatives imputées à tort aux anciens Soviétiques. Sans qu’il y ait, à notre connaissance, la moindre relation entre les deux auteurs, nous faisons suivre cette chronique d’une lettre de lecteur, relevée dans le quotidien Le Monde des 8 et 9/06/2014, qui suggère pour la France de revenir à une République parlementaire, tout en préconisant certains garde-fous pour éviter de retomber dans le piège de la République des partis, comme nous l’avons connue sous la IVe. Nous avons pensé que le texte de Monsieur Philibert apportait tout bonnement un complément aux principes énoncés par Ivan Blot et espérons que ce lecteur du Monde nous pardonnera cette initiative.
Polémia
Le mot démocratie est devenu un slogan et beaucoup ont oublié sa signification. Selon la constitution française (article 2), c’est le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple. Quatre conditions sont nécessaires pour rendre une démocratie viable : il faut une économie libre (de marché) avec d’importantes classes moyennes ; il faut un pouvoir souverain à l’égard de l’étranger comme des groupes de pression ; il faut des élections libres et que les élus aient un vrai pouvoir de décision ; enfin, il faut que la politique adoptée respecte les valeurs et les intérêts du peuple (« un gouvernement pas seulement par le peuple mais pour le peuple »).
Comparons un instant la France et la Russie : en France, l’économie est freinée par le poids des dépenses publiques et des impôts. Les impôts sont fixés par l’administration et le Parlement entérine formellement ces décisions malgré l’opposition de l’opinion. L’index de la liberté par pays publié par la fondation américaine « Heritage » non suspecte de favoriser la Russie dit que la liberté économique est plus grande en Russie, notamment en droit fiscal et en droit du travail. Il y a plus de démocratie économique en Russie qu’en France. Depuis 2000, sous les présidences Poutine et Medvedev, le niveau de vie russe a doublé, faisant apparaître d’importantes classes moyennes dont Aristote disait qu’elles étaient indispensables à la démocratie.
Une démocratie doit être souveraine : c’est le cas de la Suisse comme de la Russie. Mais ce n’est plus guère le cas de la France. Les trois quarts des lois proviennent de l’Union européenne et le Parlement français ne peut s’y opposer. Dans le domaine militaire, c’est pire : la souveraineté réelle est dans les mains de l’OTAN, même si la France conserve la maîtrise de sa force nucléaire, vestige dû au général De Gaulle. Dans le domaine judiciaire, la justice française (qui juge « au nom du peuple français », idée démocratique) doit obéir à la Cour européenne des droits de l’homme, ce que De Gaulle n’avait jamais voulu admettre. La démocratie souveraine, c’est davantage celle de Poutine que celle de la France d’aujourd’hui.
La démocratie fait toute sa place aux élections et aux référendums. C’est formellement le cas en Russie comme en France. Le rattachement de la Crimée à la Russie s’est fait par référendum comme ce fut le cas du rattachement de Nice à la France en 1860 (encore que dans le cas de Nice les autorités françaises ne comptabilisaient les bulletins « non » que s’ils étaient accompagnés d’une explication en français !!!). Il faut des élections mais il faut aussi des élus qui puissent s’imposer à l’administration. Il faut pour cela un président qui ait du caractère. C’est davantage le cas de Poutine que du président français : la France vit plus en technocratie qu’en démocratie : ses députés n’ont guère de pouvoir (je fus député français de 1986 à 1988) et le président est entouré de hauts fonctionnaires (les énarques) tout-puissants, surtout ceux du ministère des Finances.
Le résultat de tout cela est qu’en France, les cercles oligarchiques dirigeants font une politique très différente de ce que souhaite le peuple. Seuls 30% des Français, selon les sociologues Bréchon et Tchernia, sont satisfaits du régime (contre 80% des citoyens suisses !). Surtout, le président et les cercles dirigeants sont intoxiqués par l’idéologie du politiquement correct qui les empêche d’écouter le peuple et de s’en inspirer : c’est le cas sur des sujets comme l’impôt, l’immigration, l’insécurité et le laxisme judiciaire, ou le mariage homosexuel. Donc, ce n’est pas un gouvernement « pour le peuple » mais pour les intérêts et l’idéologie de l’oligarchie gauchisante et atlantiste. Sur ce point-là, Poutine est plus démocrate que beaucoup de gouvernements occidentaux car il reflète honnêtement la volonté de la très grande majorité du peuple.
La France, avec son économie dirigiste, sa situation de protectorat obéissant à l’OTAN, le poids de l’administration et des syndicats sur les décisions, le primat de l’idéologie sur la volonté du peuple, est bien moins démocratique que la Russie de Poutine. Quand on lit les résultats des sondages de popularité sur le président Hollande et sur le président Poutine, les résultats sont inversés : moins de 20% du peuple français soutient Hollande, plus de 80% du peuple russe soutient Poutine. La démocratie, c’est la voix du peuple : il faudrait souhaiter que le président Hollande l’écoute enfin et prenne modèle dans ce domaine sur Poutine le démocrate !
Ivan Blot
07/06/2014
Revenir à la république parlementaire
(…) En France, on élit au suffrage universel, une fois tous les cinq ans, un président de la République qui dirige de fait l’exécutif, n’est responsable devant aucune assemblée et reste inamovible. Notre pays vit donc depuis plus de cinquante ans sous un régime de monarchie quasi absolue, seul pays de l’Union européenne dans ce cas ! La plupart des problèmes qui se posent à la France aujourd’hui, y compris au plan économique, viennent en fait de la persistance de ce système. Il est donc urgent d’y mettre fin et de revenir à la république parlementaire. Néanmoins, je pense qu’élire l’assemblée nationale à la proportionnelle serait source de difficultés et d’instabilité. Le plus opportun serait d’adopter le système majoritaire par circonscription à un seul tour, mode de scrutin honnête et efficace, qui seul permet de dégager des majorités stables. Quand au président de la République, qui devrait être un arbitre, une haute autorité morale, et non un chef de l’exécutif, il serait sain qu’il soit élu par les deux assemblées (comme en Italie ou en Allemagne). Le mandat présidentiel, non renouvelable, serait de sept ans.
Ainsi notre pays renouerait-il avec la démocratie politique, qui a pratiquement disparu du paysage français il y a un demi-siècle. Un cadre indispensable pour que nous puissions poursuivre avec nos partenaires de l’UE la construction d’une Europe fédérale dans laquelle se trouvent notre avenir et celui de nos enfants.
Christophe Philibert,
Bordeaux, lecteur du Monde
Le Monde, courriels, 8 et 9/06/2014
Cet article a été initialement publié le 10/06/2014. C’est l’été : Polémia ralentit ses mises en ligne de nouveaux textes et rediffuse de plus anciens avec un mot d’ordre : « Un été sans tabou ». Voici donc des textes chocs aux antipodes du politiquement correct, des réflexions de fond sans concession et à la rubrique médiathèque, des romans et des essais à redécouvrir.
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