Sur le papier, l’espace politique d’Emmanuel Macron semble assez réduit pour accéder à la présidence de la République. Mais les papiers des analystes, qui par ailleurs n’en finissent pas de construire le phénomène Macron, se heurtent plus que jamais à l’imprévisibilité des opinions publiques. Celui de Jean Henri d’Avirac, iconoclaste et provocateur à souhait, fait la part belle au poids de la communication politique instrumentalisant de façon inédite cette attente de renouvellement. Première publication le 01/12/2016. Polémia
Brouillage de pistes
La victoire de François Fillon à la primaire de la droite n’est pas une bonne nouvelle pour Marine Le Pen. Bien que libéral dans ses options économiques et sociales, l’ancien premier ministre, tranché dans ses orientations et ferme dans le ton tout en parvenant plus ou moins à se dédiaboliser, chasse sur les terres d’un Front devenu fleur bleue (« le bleu des Républicains et la rose des Socialistes »). La nouvelle est, en revanche, excellente pour Macron et son oxymorique « Révolution » d’extrême centre. En préemptant le besoin de renouveau (ce qui est un comble, compte tenu de son parcours), il oppose l’œil vif de la jeunesse décomplexée aux sourcils noirs et broussailleux du croque-mort.
Qui a dit que Jeanne d’Arc « a fendu le Système et rassemblé la France » ? Marine Le Pen, sans doute ? Raté ! C’est Emmanuel Macron en mai dernier. Guillaume Tabard, dans son édito du 17 novembre, a raison de pointer du doigt cette revendication anti-Système émanant souvent de purs produits du Système. Même si leurs ADN politiques ne sont évidemment pas comparables, voilà tous nos « rebelles » curieusement embarqués sur une même promesse, celle du renouveau, vers une même cible : les néophiles.
Macron peut gagner… Tout d’abord parce que l’oracle inoxydable de la politologie française, Alain Duhamel, déclare à l’envi « qu’il a de maigres chances »… Lui qui avait prédit l’élection de VGE en 1981, celle de Balladur en 1995 et un plafond infranchissable de 2% pour le Front national, offre avec ce diagnostic à notre jeune loup une réelle raison d’espérer.
Macron peut gagner car il est hors Système… Oui, oui, hors Système ! Certes pas sur son programme – pochette surprise – ou son profil, qui par sa fibre libérale en est au contraire la quintessence ou la caricature. Il est hors Système par son insolente jeunesse, son inexpérience politicienne face aux vieux briscards tous contre lui, sa fraîcheur d’éromène, et ses solutions gadgets à rebrousse-poil. Au moment même où les candidats de tout bord s’alanguissent sur les sofas d’Ambitions intimes sur M6, en buvant le thé entre copines avec Karine Le Marchand. Au moment où Marine X lance sa nouvelle marque à la rose bleue depuis son QG de la Rue du Faubourg-Saint-Honoré (!…) façon Eau de parfum d’Hermès, la créature du Système, l’ancien de chez Rothschild, prend quant à lui comme rampe de lancement un centre d’apprentissage à Bobigny. On en oublierait presque ses 3 boulets qui lui collent aux basques : ses 4 années au cœur du pire exécutif de l’histoire de la République, ses collusions avec les sphères de la finance internationale et le vide abyssal de son programme sur les questions-clés du moment.
Macron peut gagner car personne n’a vraiment compris le mécanisme qui peut mettre aujourd’hui au pouvoir pêle-mêle un Trump aux USA, Marine Le Pen ou Macron en France, Hoffer en Autriche, Podemos en Espagne, Tsipras en Grèce… Pour le pire ou le meilleur.
Le politologue dépeindra tour à tour le besoin de rupture, l’attente d’un renouvellement profond ou la déferlante populiste sans définir précisément l’adjectif que l’on voudrait contenir dans sa tonalité péjorative oubliant une réalité exprimée par Alain de Benoist ou Vincent Coussedière, ce retour du peuple « qui ne veut mourir ni dans la mondialisation, ni dans le multiculturalisme ». Le psychiatre et le publicitaire défroqué y verront plus froidement cette incurable et fébrile soif de nouveauté injectée par la société de consommation dans l’encéphale d’un citoyen instable et dépendant. Marianne consophile, couguar addict recherche coûte que coûte l’expérience nouvelle, la sensation ultime : ce soir, c’est facho ou bobo ? Tex Mex ou sushis ? Et si on se tapait un jeune mec ?
Juppé, « candidat de toutes les gauches y compris la droite » n’avait certes pas la jeunesse, mais engrangeait à la marge des suffrages lorsqu’il lançait sur un ton anti-Système en narguant les médias : « Je suis ce que je suis et je vous emmerde ». Son retour en terre conformiste aura signé son arrêt de mort politique.
Trump (autre candidat du Système au style de campagne anti-Système) a pour sa part joué de l’outrance qui était au bout du compte le ton attendu, déclenchant une véritable jouissance populaire retenue jusqu’au jour du vote face à ce que Bertram Gross appelle le « fascisme à visage humain » incarné par Hillary, l’Establishment ou notre bien-pensance nationale.
La scène politique est bien devenue surréaliste : Macron candidat des patrons se donne des airs rebelles ; Le Pen, pour laquelle les valeurs de l’islam sont, sans hésitation, désormais compatibles avec les valeurs de la République, se voit doublée sur sa droite par la moissonneuse Sarko-Fillon ; les socialistes englués dans la moraline commémorent et commémorent encore, comme au lendemain de la guerre, comme pour se préparer à l’enterrement définitif de leur parti ; l’extrême gauche immigrationniste continue à faire le lit du dumping social ; les écologistes, une fois de plus, oublient de parler d’environnement et, sous couvert de l’intérêt général, font chauffer leur petite soupe dans leur petit coin devenu un tout petit réduit.
Avec tambours et Trumpettes
Au moment où, par provocation, lassitude ou fantaisie, le peuple excédé aurait envie de retrouver la saine envie de cracher à la figure du dernier notable à la mode, de s’encanailler en parlant fric ou identité, de flirter avec le diable, certains restent campés sur un objectif, une obsession : la dédiabolisation…
Donald Trump a, au contraire, bien compris tout le bénéfice qu’il y aurait à tirer d’une campagne au vitriol. L’homme n’est pas aussi rustique qu’il n’y paraît. Il est un homme d’affaires avisé, le marketing politique n’est pas pour lui une affaire d’idéologue mais bien de businessman, focalisé sur la réussite et le retour sur investissement. L’air du temps lui a dicté une posture à adopter, un ton et des formules à instiller… Rien ne fut approximatif dans cette campagne apparemment dérapante et finalement décapante. Surprenez, mais occupez l’espace et le débat… La notoriété est affaire de construction ; l’image peut toujours se corriger dans une deuxième phase.
Alors, Emmanuel, avec vos conseillers marketeurs, anciens publicitaires de Ricard ou de Saupiquet, vous n’avez plus qu’à nous surprendre pour gagner… Bien sûr, envoyez-nous dès que possible un programme en technicolor ; optimisez votre e-réputation ; parlez avec outrance du fric ; adoptez tambours et Trumpettes ; embrassez sur la bouche une beurette au chômage ; pleurez en direct ; insultez un journaliste en prime time et montrez-nous vos fesses, voire plus si affinités. Alors vous serez l’idole ou la bête noire des médias, ce qui en terme d’ « awareness rate » (taux de notoriété) revient très exactement au même et peut vous assurer un buzz pré-élyséen de premier choix. Ajoutez à cette mixture le soutien bienveillant de l’oligarchie financière, des bobos imberbes de tout poil, des Juppéistes frustrés, des femmes seules et des belles-mères putatives, des socio-libéraux et des libéraux-sociaux, le ralliement à venir du marigot Bayrou, des veaux sous la mère du PRG et leurs empires de presse régionaux, de Niel et Parisot déjà sous le charme, des confréries, des cercles, des ordres, et des loges, du CRIF et de l’Islam de France, et tout cela peut contre toute attente suffire à propulser pour la première fois un quasi-puceau à la tête d’un gigantesque lupanar, nouveau visage de la France.
Jean Henri d’Avirac
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