Par Eric Delcroix, juriste, essayiste et écrivain, auteur de Droit, conscience et sentiments ♦ Dans la décadence américanomorphe que nous connaissons, nous assistons au spectacle subversif de l’ « intersectionnalité des luttes », par laquelle des « minorités » de bric et de broc sont appelées à s’organiser sous le couvert des lois anti-discriminatoires. Ces minorités sont, pour les déconstructeurs et autres trotskystes[i], un substitut au prolétariat trop franchouillard, trop réactionnaire, dont le type fantasmé a été livré au mépris des Bobos sous les traits du Beauf selon feu Cabu, tragiquement intersectionné voici quelques cinq ans…
Très captieusement à cette occasion, le pape François a légitimé par une métaphore l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, en déclarant : « si un grand ami parle mal de ma mère, il peut s’attendre à un coup de poing, et c’est normal. On ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision.[ii] » Si l’on comprend bien, cela ne concerne pas les catholiques, pas intersectionnels et donc toujours appelés par la parole évangélique à présenter la joue gauche quand on les frappe sur la joue droite ! Les Béatitudes ne sont pas pour les musulmans et les intellectuels soumis qui répètent « vous n’aurez pas ma haine » !
Lutte intersectionnelles, section décoloniale
Les décoloniaux s’agitent beaucoup, leur arrogance étant à la mesure de leur impunité. Bernard Lugan vient de publier le Vade mecum du sujet, avec son Pour répondre aux « décoloniaux », aux islamo-gauchistes et aux terroristes de la repentance[iii] et à leurs mensonges. Le titre, pour long qu’il soit, campe au moins clairement l’objet de l’ouvrage.
Pour les décoloniaux, dont les revendications « racisées » s’inscrivent dans les luttes intersectionnelles, la colonisation française aurait pillé les régions d’Afrique d’où ces immigrés ingrats sont originaires. Ils étaient les bons sauvages (horresco referens) et nous aurions compromis pour longtemps leur développement harmonieux et suave (grâce à l’art irremplaçable de leurs sorciers et griots ?). Ils seraient victimes, non à titre individuel, mais à titre héréditaire ; nous serions, nous les Blancs, fautifs de façon tout aussi héréditaire. Il n’en est évidemment rien, et la colonisation, en Afrique, a été un pesant fardeau humanitaire, les pays occidentaux qui ne l’ont pas connue ne s’en étant portés que mieux, comme le démontre Bernard Lugan.
Une agit-prop, inspirée du mouvements Woke américain (« Black live matter »), appelle explicitement à la répression de (nos) délits d’opinion, au mouchardage et à la censure, y compris rétrospectivement (cf. campagnes contre les statues ou le vocable des rues). La question est fort bien traitée par Anne-Sophie Chazaud dans Liberté d’inexpression, nouvelles formes de le censure contemporaine[iv]. Toutefois, l’auteur ne semble pas savoir que, pour ce qui est de la chasse au théâtre incorrect, la France fut hélas pionnière, dans les années quatre-vingt, quand la LICRA lança sa cabale contre le Marchand de Venise de Shakespeare… Mme Chazaud analyse fort bien la notion d’ « offense », à la base de tous ces débordements intersectionnels et dans laquelle elle voit la conséquence « d’une génération éduquée dans le culte de l’enfant roi, qui semble ne plus avoir la moindre aptitude à accepter la contradiction, la frustration, le rapport de force dialectique encadré démocratiquement, constamment abritée derrière l’invocation fragile et perverse d’une souffrance provoquée par l’opinion de l’autre et son expression …[v] »
Le professeur Lugan nous rappelle que la colonisation de l’Afrique sub-saharienne a été voulue par la gauche républicaine dans les années 1880, 1890, pour apporter la civilisation, aux peuplades noires. Jules Ferry ne déclarait-il pas, en 1885 que « les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures ; mais parce qu’il y a aussi un devoir. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » ? Le même thème sera repris encore par Léon Blum, en 1925[vi]. Et de rappeler également qu’au congrès de la Ligue des droits de l’homme, en 1931, « Albert Bayet, son président, déclara que la colonisation française était légitime puisqu’elle était porteuse du message des « grands ancêtre de 1789. »[vii] » Or, nous pouvons constater que le même esprit anime encore nos progressistes au pouvoir en Occident, qui promeuvent un colonialisme humanitaire, y compris par la guerre (Libye, 2011). Évidemment, cela marche moins bien avec les Chinois, peu sensibles au post-évangélisme des droits de l’homme…
Racialisme et lois incapacitantes
Il serait plus que temps de promouvoir des mesures pour renvoyer dans leur pays d’origine ces décoloniaux qui, comme le commande le bon sens, devraient avoir à cœur d’y faire resplendir le génie propre de leurs peuples. Il n’est pas nécessaire d’être gaulliste pour trouver du bon sens dans certains propos de De Gaulle, et d’abord celui-ci : « Un jour viendra où les peuples décolonisés ne se supporteront plus eux-mêmes.[viii] », sachant que le Général parlait des Africains, les peuples asiatiques de notre ancienne Indochine ne doutant pas d’eux-mêmes ni de leur capacité avérée à être indépendants !
Et comme le disait encore De Gaulle : « Nous sommes quand même avant tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne.[ix] » Mais, pour notre malheur, nous ne pouvons pas en tirer les conséquences, et même seulement le dire explicitement, depuis que le gaulliste René Pleven a promu la loi qui porte son nom, bâillonnant le discours des émules de son mentor. Et pourtant, à une agitation et à des provocations racisées, il devrait être possible symétriquement d’apporter une réponse racisée au nom de la majorité non intersectionnelle. Les décoloniaux dehors !
Aux dernières nouvelles, même le Rassemblement national ne demande plus l’abrogation de cette loi incapacitante, fondée sur la prétention progressiste et grotesque d’accéder au Bien. En lisant Anne-Sophie Chazaud, les cadres de ce parti apprendraient pourtant que cette loi sert notamment de support à ce que cet auteur appelle « jiad judiciaire[x] ».
Eric Delcroix
30/03/2021
[i] On parle trop des « anciens » trotskystes, mais n’oublions pas l’adage : trotskyste un jour, trotskyste toujours.
[ii] Huffigton post, 15 janvier 2015, cité par Anne-Sophie Chazaud, dans Liberté d’inexpression.
[iii] Chez l’auteur, <www,bernard-lugan,com>, 25 €.
[iv] Éditions de l’Artilleur, 2020, 18 €.
[v] Chazaud, p. 62.
[vi] Lugan, p. 36.
[vii] Lugan, p. 34.
[viii] C’était De Gaulle, par Alain Peyrefitte, Fayard, 1994, p. 54.
[ix] Peyrefitte, p. 52.
[x] Chazaud, p. 83 et 125.
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