Michel Geoffroy, essayiste
♦ Emmanuel Macron, parmi les premiers bienfaits qu’il nous apporte, nous donne déjà l’occasion de parler une langue nouvelle : la macronlangue, dont il nous a appris les rudiments lors de la campagne présidentielle.
Pour être un winner comme lui, parlez la macronlangue en toute circonstance ! La macronlangue repose sur quelques principes simples.
1) D’abord, dites « je veux, je souhaite ou je crois que » à tout propos
Il s’agit d’un vieux tour de politicien qui vise à faire croire qu’il suffit de déclarer vouloir quelque chose de bénéfique pour que celle-ci entre effectivement dans les faits. Il s’agit donc d’une sorte d’incantation malheureusement rarement suivie d’effet. Rappelez-vous tous ceux qui nous promettaient la croissance économique, la fin du chômage ou le changement !
Prenez exemple sur notre Emmanuel national qui, lorsqu’on l’interrogeait sur la crise des réfugiés, répondait « Je crois que si cela est fait dans le bon ordre, de manière intelligente, c’est [l’accueil des réfugiés| une opportunité pour nous (1)». Une façon d’esquiver le fait que, justement, l’arrivée des « migrants » ne se passe pas du tout comme cela !
Exercez-vous : si on vous demande l’heure qu’il est, répondez : « Je souhaite d’abord que chaque Français puisse disposer d’une montre qui donne l’heure exacte ». Si, dans la rue, un SDF vous demande une petite pièce, déclarez haut et fort « Je souhaite la fin de la pauvreté dans notre pays » et… continuez votre chemin.
Si vous vous trouvez en groupe vous pouvez également hausser le ton en fin de phrase, voire crier un peu avec une voix de fausset : cela renforcera l’impression que vous croyez ce que vous dites, que vous êtes un homme de conviction comme Emmanuel durant ses meetings !
2) N’hésitez jamais à dire les choses d’une façon compliquée, ce qui vous fera toujours paraître plus profond que vous ne l’êtes
Ainsi, par exemple, ne dites pas « j’ai parlé avec Donald Trump du climat » mais « j’ai noté la capacité d’écoute de M. Trump et sa volonté de progresser avec nous sur le sujet climatique » (2), ce qui, vous en conviendrez, a une tout autre allure, même si au cas d’espèce notre président s’est mis le doigt dans l’œil !
Ne dites pas « je suis pas très croyant » mais « j’ai toujours assumé la dimension de verticalité, de transcendance, mais, en même temps, elle doit s’ancrer dans de l’immanence complète, de la matérialité (3) ». Nettement plus clair, n’est-ce pas ?
Ne dites pas « je suis pour l’Union européenne » mais « l’Europe ne pourra avancer que si nous la pensons dans le monde (4) ».
Vous avez compris comment faire ? Sinon apprenez par cœur quelques phrases d’Emmanuel Macron que vous pourrez répéter en société avec un air pénétré.
3) Surprenez vos interlocuteurs en devenant subitement familier ou agressif
Cela permet de « casser » votre interlocuteur, comme disent les jeunes. Comme Emmanuel Macron à Lunel, lorsque vous discutez avec un syndicaliste dites, par exemple, d’un seul coup : « Vous n’allez pas me faire peur avec votre T-shirt, la meilleure façon de se payer un costard c’est de travailler (5)». Ou, comme Emmanuel en présence du président Poutine, dites que les médias russes en France sont des agences de désinformation !
Attention cependant : Emmanuel Macron peut se permettre ces saillies périodiques – qui dénotent un certain mépris vis-à-vis de la France d’en bas et d’une façon générale une attitude intolérante d’enfant gâté à l’encontre de ceux qui ne pensent pas comme lui – parce qu’il bénéficie d’une totale impunité médiatique et judiciaire ; et aussi parce qu’il dispose de riches soutiens et d’un service d’ordre efficace.
Si tel n’est pas votre cas, faites preuve de prudence quand même, surtout si votre interlocuteur est manifestement plus gros et plus musclé que vous.
4) Adoptez l’en-même-tempisme !
L’en-même-tempisme est une composante essentielle de la macronlangue.
Cela consiste à affirmer successivement des propositions contraires ou sans rapport évident entre elles, comme nous l’a appris Emmanuel durant la campagne présidentielle, mais en les liant par la locution adverbiale « en même temps ». Ce qui permet de contenter tout le monde en évitant de prendre clairement parti. L’en-même-tempisme correspond au vieux « balancement circonspect » que l’on apprenait à Science Po : faire croire que l’on pourrait associer des points de vue contraires dans une démarche cohérente (on dit inclusive en novlangue) : il donne donc de vous l’image d’une personne sympa, ouverte à la prise en compte du point de vue des autres.
Cela ne correspond pas tout à fait au ni-ni des politiciens de droite : car la macronlangue ne repose pas sur l’exclusion des contraires mais sur leur inclusion, au contraire, comme aurait dit le Capitaine Haddock. Vous n’avez pas bien compris la nuance ? C’est que vous n’êtes pas encore assez macronien !
Prenons donc un exemple pédagogique :
Emmanuel Macron a ainsi affirmé en Algérie que « la colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime contre l’humanité (6) », mais en même temps il a indiqué aux représentants des Rapatriés « Je n’ai pas dit que vous aviez fait un crime contre l’humanité ni que tous les Français qui y étaient avaient commis un crime contre l’humanité (7) », et il a loué en même temps le « travail formidable » fait à l’époque de l’Algérie française par des gens « formidables (8) ». Conclusion : il y a eu un crime mais pas de criminels : encore plus fort que Le Mystère de la chambre jaune (9). Sacré Emmanuel !
On peut aussi obtenir un effet comparable en affirmant deux propositions qui s’annulent, comme nous le montre Emmanuel lorsqu’il disait « La dimension christique, je ne la renie pas ; je ne la revendique pas ». Conclusion : on ne sait pas ce qu’il en pense, mais circulez il n’y a rien à voir ! Ou lorsqu’il a déclaré, après la décision de D. Trump de se retirer des Accords de Paris sur le climat : « Ce soir, les Etats-Unis ont tourné le dos au monde mais la France ne tournera pas le dos aux Américains (10) », ce qui revient à lier deux propositions qui n’ont pas de rapport direct entre elles.
Vous avez compris, l’en-même-tempisme permet de parler pour ne rien dire. Comme le slogan qu’a choisi Emmanuel, « En marche ! », pour sa campagne électorale. Marcher vers quoi exactement ? Peu importe, on vous dit de marcher, alors marchez !
5) Enfin parlez anglais !
Cela montre que vous n’êtes pas un franchouillard replié sur lui-même, un cartésien dépassé ou, pire encore, un électeur du Front national, mais au contraire un homme (ou une femme) ouvert sur le monde et sur les autres. N’hésitez donc pas à parsemer votre propos de mots et de phrases en anglais. Car c’est toujours mieux quand ce n’est pas dit dans la langue de Molière.
La preuve, tout le microcosme médiatique français s’extasie sur la colossale finesse d’Emmanuel déclarant à l’intention du président Trump « Make our planet great again ». Imaginez un instant qu’Emmanuel ait dit cela en français : « Faites que notre planète soit à nouveau grande ». Une phrase ridicule en français, mais tellement géniale en anglais !
Si vous vous entraînez régulièrement à appliquer ces cinq principes simples, vous parviendrez rapidement à maîtriser les rudiments de la macronlangue. N’hésitez cependant pas à compléter votre formation par l’écoute régulière des médias de propagande (notamment BFMTV) et, bien sûr, par la lecture de toutes les déclarations d’Emmanuel Macron, consultables sur le site de l’Elysée.
Vous pourrez alors marcher en cadence, comme les autres !
Michel Geoffroy
6/06/2017
Notes :
- Interview sur la chaîne israélienne i24 news le 25 décembre 2016.
- E. Macron lors du G7 le 27 mai 2017.
- Interview sur France Info mars 2017.
- Le 5 août 2016.
- A Lunel le 28 mai 2016.
- Interview accordée le 14 février 2017 à la chaîne privée algérienneEchourouk News.
- A Carpentras le 17 février 2017.
- A Toulon le 18 février 2017.
- Pour les moins de 20 ans, célèbre roman policier de Gaston Leroux paru en 1907.
- Le 2 juin 2017.
Correspondance Polémia – 7/06/2017
Image : Parlez-vous macron ?
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