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Peut-on réconcilier publicité et identité ?

Peut-on réconcilier publicité et identité ?

par | 28 octobre 2013 | Société

Peut-on réconcilier publicité et identité ?

Jean-Henri d’Avirac, expert en marketing, propose d’utiliser les armes du système contre l’idéologie du système. Marketing et publicité ne représentent au bout du compte qu’une méthodologie et une boîte à outils (et non pas une vision du monde) dont l’efficacité redoutable a largement été démontrée tant dans l’univers de la grande consommation, des produits à forte valeur ajoutée que dans la politique et les médias. L’auteur nous invite néanmoins à garder toute notre vigilance pour rester nous-mêmes et ne pas céder au marketing de la demande néophile et négateur de valeur en lui préférant un marketing de l’offre par essence identitaire. Polémia

Réconcilier publicité et identité… quelle drôle d’idée !

Un premier réflexe nous conduirait à évacuer cette hypothèse, tant l’expression publicitaire dans son ensemble instille du politiquement correct, de la pensée unique, des déviances et une défiance vis-à-vis de tout ancrage vécu comme rigide ou réactionnaire. Il convient toutefois d’analyser en profondeur cette question car la publicité et l’ensemble du plan marketing qui la contient ne sont pas des idéologies, des visions du monde, mais seulement des outils, des armes au service d’une idéologie dominante : l’idéologie marchande.

Il suffirait pour s’en convaincre de voir de l’intérieur à quoi ressemble une agence de publicité de taille respectable… Quatre départements principaux la constituent :

  • la direction commerciale, en relation quotidienne avec l’annonceur, obsédée comme son client par la notion de retour sur investissement ;
  • la direction des médias, en relation quotidienne avec la première et les régies ou centrales d’achat d’espaces focalisée sur le coût au contact utile en télé, radio, internet, affichage ou cinéma ;
  • la direction du planning stratégique, réfléchissant avec le client sur les orientations de la marque ;
  • la direction de la création. Cette dernière est probablement celle qui, depuis les directeurs artistiques jusqu’aux concepteurs-rédacteurs sécrètent le plus de profils atypiques, parfois consommateurs de substances de toute sorte, souvent dépourvus de tout repère et sans cesse à la recherche de sensations nouvelles susceptibles de faire vibrer leur cerveau émotionnel, leur créativité et, au bout du compte, le cerveau limbique du spectateur. Si, d’aventure, il leur venait à l’esprit de nous imposer au travers de leurs créations leur mode de vie ou de se faire les promoteurs d’un combat échappant à la feuille de route (copy stratégie) qui leur est soumise, le recadrage serait immédiat.

L’objectif unique de l’agence et de la démarche publicitaire est bien de faire vendre et non de mener une croisade pour un monde meilleur ou décadent. Ce n’est qu’incidemment que sont instillées des idées ou images tour à tour conformistes, déviantes, dérangeantes, contre nature, dans un souci de création d’impact ou dans une tendance estimée « dominante », s’agissant du marketing de la demande que nous allons décrire. Les yeux rivés sur les compteurs qui révèlent leurs performances (scores de reconnaissance, scores d’attribution à la marque, agrément et incitation à l’achat d’un spot publicitaire), les acteurs de ces officines et encore moins leurs clients n’ont pas une seule minute à accorder à un autre combat que celui de la marque dont ils ont la charge. C’est bien dans le but de mobiliser l’attention du consommateur-spectateur dans un monde surchargé de signes (dans les pays occidentaux : 61 minutes d’exposition quotidienne moyenne à des spots publicitaires télévisés auxquelles viennent s’ajouter tous les autres médias) que les fils de pub n’hésitent pas à avoir recours à des registres d’expression destructeurs de valeur. Leur versatilité naturelle ou de principe les éloigne généralement de toute conviction et de tout lien fort avec le monde qui les entoure.

Alors posons comme angle d’attaque un principe clair : si la publicité et le marketing ne sont pas l’idéologie du système mais les bras armés du système… rien ne nous empêche, comme sur un champ de bataille, de faire main basse sur les armes de l’adversaire. Il nous faudra toutefois le faire avec discernement et comprendre au préalable comment fonctionnent ces Armes de Manipulation Massive.

Marketing de la demande et marketing de l’offre

La publicité n’est qu’un des moyens d’actions du marketing, véritable rouleau compresseur du système. En quelques mots, rappelons ce qu’est le marketing de la demande dont la pratique est de loin la plus commune dans nos sociétés : sa devise est « Je suis ce que vous aimez » (ou que vous aimeriez). Il passe ainsi son temps à tester le champ d’attente, « la demande », pour répondre quasiment en temps réel par un « produit-miroir » ainsi formaté grâce à des études quantitatives, qualitatives, socio-comportementales et parfois même l’analyse des publicitaires. Les produits dits de grande consommation sont pour la plupart concernés par cette approche, ce que les Américains appellent FMCG (Fast Moving Consumer Goods), expression plus explicite car elle exprime le caractère éphémère de cette offre aux rotations rapides, constamment en mouvement, néophile, dépourvue de toute appartenance réelle et vite détruite par le consommateur.

« Vous recherchez un yaourt dans un pot bleu au goût sucré, à la promesse nutritionnelle et à la texture onctueuse, moi Mr Danone, j’ai l’offre qu’il vous faut »… « Vous refusez la gauche bisounours, vous êtes majoritairement tétanisés par le climat d’insécurité et la perspective d’accueillir encore plus d’étrangers sur notre territoire, moi Manuel Valls, j’incarne cette gauche sécuritaire qu’il vous faut »… Jusqu’à la prochaine tendance identifiée, jusqu’à la prochaine volte-face.

Pour comprendre le consommateur, anticiper et répondre à ses attentes, il se dépense chaque année dans le monde près de 50 milliards de $. Le diagnostic qui en découle est la toute première étape qui ajuste sans cesse le positionnement et le ciblage de la marque, l’offre produit, la politique de prix et de distribution et la politique de communication dont la publicité n’est que la partie la plus visible et la plus coûteuse avec près de 500 milliards de $ investis chaque année sur l’ensemble des médias. Ce marketing caméléon n’a évidemment pas grand-chose à voir avec la notion d’identité. Il est même en opposition de phase avec toute identité, spécificité, caractéristique ou ancrage stable considéré comme frein à la nécessaire plasticité de l’offre.

À ce marketing du « Je suis ce que vous aimez », nous pouvons opposer un marketing du « Qui m’aime me suive ! ». Plus anecdotique en termes quantitatifs, mais plus intéressant et particulièrement sophistiqué, ce marketing de l’offre, marketing de « gardien du temple », est celui que l’on retrouve principalement dans l’industrie du luxe, dans les appellations d’origine contrôlée, les produits de terroir, le marketing territorial et touristique (hélas non exempts de quelques impostures) et dans une certaine mesure dans le marketing culturel de l’art et du livre.

Un responsable marketing déboulant chez Moët et Chandon sur une marque du type champagne Dom Pérignon, ancêtre de tous les champagnes, sera prié, quels que soient ses fantasmes d’innovation, de se soumettre aux fondamentaux de cette institution : respect absolu du capital de marque, valorisation de l’histoire du produit, socle identitaire immuable de l’entreprise, sélectivité dans la communication et la distribution… Là où le marketing de la demande racontait des histoires ou une histoire, le marketing de l’offre raconte l’Histoire.

Nul besoin, en effet, d’inventer un personnage tel ce George Killian inventé par Heineken au début des années 1980 pour occuper le segment de marché des bières maltées, Dom Pérignon est là depuis toujours et la fidélité à l’histoire de ce moine qui, au XVIIe siècle, à l’instar du Pape, osa faire des bulles, doit être totale. Ce n’est pas pour autant que le publicitaire et la direction marketing de Moët et Chandon ne vont pas communiquer, favoriser les placements de produit et se poser des questions clés quant à l’environnement concurrentiel de la marque, ses forces et faiblesses, son positionnement, les caractéristiques de la cible à laquelle elle s’adresse et les objectifs spécifiques, mesurables, acceptables, réalistes et temporellement définis qu’elle s’assigne tout comme la stratégie qu’elle poursuit. Là encore, le plan marketing est le passage obligé mais le point de départ est un roc enchâssé dans la terre depuis la nuit des temps jusqu’à la fin des temps que seul l’angle d’une prise de vue pourra faire éventuellement évoluer.

Entre volumes et valeurs

Là où le marketing de la demande crée de la dépendance, des achats automatiques, de l’influence subliminale à travers une publicité répétitive et insidieuse, le marketing de l’offre cherche à renforcer une appartenance à une philosophie, un savoir-faire, une histoire auprès d’un public d’initiés. Le premier crée des chaînes, le second crée des liens. Le premier est « mainstream » (ratisse large), le second est sélectif. Le premier valorise une offre accessible, élastique et en perpétuelle évolution, le second rappelle que la qualité et l’identité ont un prix.

Le marketing politique n’échappe pas à cette dichotomie. Les partis dits de « gouvernement » sont par essence prioritairement en quête d’une forte pénétration du champ électoral et s’inscrivent parfois maladroitement dans ce marketing de la demande. Motivations, sentiments, réactions et comportement du consommateur-électeur se verront ainsi en permanence évalués. Ce sont très exactement les mêmes outils quantitatifs, qualitatifs, socio-comportementaux, publicitaires et les mêmes instituts qui seront sollicités (TNS-Sofres, Ifop, Panelistes, Ipsos, BVA, CSA, Sociovision, CCA…) et ce sont les mêmes agences de communication qui seront consultées (depuis Stéphane Fouks, du groupe Havas, ex-coach de DSK, pour le compte de Manuel Valls, jusqu’à Bastien Millot de Bygmalion, Thierry Saussez ou même Jacques Séguéla, ex-marketeur de Mitterrand, fondateur d’EURO-RSCG, pour l’UMP).

S’agissant de cette dérive sondagière qui caractérise le marketing politique de la demande, le paroxysme a sans doute été atteint avec les montagnes d’études commandées par l’Elysée sous Nicolas Sarkozy. Ce dernier aura introduit « l’opiniologie » comme principe d’exercice du pouvoir, sorte de clientélisme en temps réel, à rapprocher du concept de démocratie participative qui se retrouve finalement dans ce même registre : le politique en tant que force de proposition laissant la place à un miroir.

Les mêmes études conduisant aux mêmes concepts nourrissant les prétendues lignes politiques de ces partis, nous décryptons là les fondements mêmes de la pensée unique dans laquelle, dans un souci de « rassemblement », on prendra soin de gommer ce qui est clivant, ce qui fâche, ce qui dérange, le dissensus, le politiquement incorrect. À ce niveau, une évidence : toute identité véritable, toute conviction sont implicitement considérées par les tenants de ces partis comme suspectes. L’affirmation d’une ligne politique ou de « principes » par tel ou tel leader politique s’apparente alors aux positionnements et à la promesse des produits de grande consommation dans sa fragilité et son caractère éphémère. Paradoxalement, cette oligarchie politique mais aussi les médias et le grand patronat affublent les partis à fort contenu idéologique du sobriquet de « populiste » qu’il faut traduire dans leur langage par « clientéliste »… Passons au scanner de l’analyse marketing les deux principales mouvances concernées : le FN et l’extrême gauche.

Le marketing de l’extrême ?

Le FN s’inscrit, volontairement ou non, dans une stratégie de marketing de l’offre et a considérablement gagné en cohérence depuis sa naissance. À titre d’exemple, contrairement à ce qui est assené par les « observateurs », le virage social du FN ne constitue pas un marqueur clientéliste mais une mise en cohérence idéologique ; le Reaganisme finalement très libéral-mondialiste de Jean-Marie Le Pen était en réalité déphasé par rapport aux options patriotiques et identitaires du Front. De la même manière, le Front national a raison de chercher à se débarrasser de l’étiquette « extrême droite » qui n’est pas son identité mais une marque-épouvantail cultivée par la gauche depuis le XIXe siècle pour diaboliser, excommunier et exclure du débat une partie de l’échiquier politique (y compris la droite au gré de ses envies car lorsque l’extrême droite est Satan, la droite est dans l’antichambre de l’enfer !). L’une des principales difficultés à laquelle sera confronté le parti de Marine Le Pen sera de résister dans les mois et les années qui viennent à l’appel du marketing de la demande car, dans un contexte où sa progression lui laisse espérer l’accession au pouvoir, la tentation du « ratisser large » sera immense. Pour autant, pour quelques points additionnels en ligne de mire, voir fleurir par exemple des castings de candidats à fort quota de minorités présenterait le risque mortel de désaffection du cœur de cible du Front. Là comme en toute chose, qui trop embrasse mal étreint !

Le clientélisme a fini par fabriquer des consommateurs-citoyens matures qui décodent les artifices du marketing de la demande… Il ne faut pas gâcher cette opportunité pour une quête bien aléatoire de respectabilité…

Le plus remarquable contre-exemple de la stratégie du Front, cas d’école en matière d’incohérence sur le fond, le discours et la stratégie, se situe à l’extrême gauche. Du NPA à Mélenchon, l’hybridation des positionnements a ôté toute lisibilité, ce qui explique en grande partie l’effondrement du Parti de Besancenot et la stagnation/dépression du Front de gauche malgré son charismatique leader et une crise systémique amorcée en 2008 qui aurait pu offrir un boulevard aux néo-marxistes. L’apparition de listes électorales composites où coexistaient des profils trotsko-paléo-marxistes, des femmes musulmanes voilées et des écolos décroissants a été le point d’orgue de cette implosion du sens dans des partis pourtant jusqu’alors réputés très monolithiques dans leur identité idéologique en l’occurrence particulièrement connotée laïque et productiviste…cherchez l’erreur !

Rester clair et constant sur son fond de commerce et son positionnement demeure la clé de voûte d’un bon marketing de l’offre par opposition à une agitation attrape-tout.

Identité et publicité

Nous voyons ainsi se profiler la réponse à la question posée : s’agissant d’un marketing de la demande par essence clientéliste au positionnement et à l’offre élastique, la notion d’identité se limite à l’identité de la marque qui est elle-même à géométrie variable et non porteuse de valeurs véritables. Dans ce cadre-là, publicité et identité sont donc naturellement en opposition et non réconciliables. S’agissant d’un marketing de l’offre centré sur des fondamentaux (ancrage, histoire, valeurs, principes et savoir-faire), l’identité est le cœur du réacteur. Elle limite le pouvoir d’action mais nourrit notre système de marques.

Marketing… Cessons de voir à travers ce mot anglais le mal absolu mais un faisceau d’opportunités, une boîte à outils, des moyens méthodologiques, systématiques pour faire « passer » une vision du monde sur une cible considérée.

Vouloir, à la manière d’un Gramsci, déclencher cette révolution dans les têtes qui précédera les révolutions de demain, c’est s’engager nécessairement dans la mobilisation des armes du système. Pas un site internet ne devrait être lancé sans analyse marketing préalable, pas un ouvrage, pas un magazine ne devrait être commercialisé sans une stratégie marketing ad-hoc, pas une association, pas un mouvement ne devrait voir le jour sans qu’il soit répondu au préalable à des questions simples : Quel est mon environnement ? Quel est mon positionnement ? Quelle est ma cible prioritaire ? Quels sont mes objectifs ? Comment vais-je m’adresser à mon public-cible ? Où pourra-t-il me retrouver ? Quelle sera ma promesse ?… On peut poser ces questions et y répondre tout en restant soi-même, mais si, sur le grand mur de la médiasphère, votre affiche n’est pas posée dans les règles de l’art, vous ne serez pas visible, pas audible, pas compris ni évidemment suivi.

Cette manière de voir et de faire est aujourd’hui d’autant plus pertinente que les grandes digues inquisitoriales se fissurent : il apparaît désormais aux yeux de tous qu’une certaine oligarchie intellectuelle s’est établie dans la bien-pensance comme un bourgeois s’établit dans une vieille demeure clinquante, que sa déconnexion du réel est totale et qu’il est grand temps de revenir à des repères vitaux. Le champ historique offre ainsi des fenêtres de tir : la perspective de trouver par effet de saturation des volumes d’adhésion très significatifs en conservant le cap d’un marketing de niche ou encore la possibilité de faire se rencontrer des annonceurs et des médias libres. Le rapport bénéfice/perte que scrutera sans cesse un homme d’entreprise est désormais très probablement favorable à bon nombre de ces nouveaux médias. À titre d’exemple, une régie ou centrale d’achats d’espaces publicitaires qui proposerait aujourd’hui un panel d’offres médiatiques décalées, libres, identitaires pourrait afficher une performance sur le cœur de cible de certains annonceurs marginalisant tout buzz négatif éventuellement suscité par des journalistes malveillants ou des associations chiens de garde du système. En bref, la publicité séduite par un coût au contact performant finira par s’intéresser nécessairement au champ d’expression identitaire, non par choix idéologique mais par nécessité économique et sous la pression de ses clients.

Fort de cette manne et de cette nouvelle visibilité, l’enjeu sera alors plus que jamais… de rester soi-même.

Jean-Henri d’Avirac
6e Journée de la réinformation
26/10/2013

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Jean-Henri d'Avirac

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