À force de compter sur la tradition d’obéissance (ou l’inertie ?) de la Grande Muette pour rogner sans cesse son budget tandis que continuent d’exploser ceux de l’Éducation nationale ou de la « politique de la ville », nos forces de défense sont aujourd’hui plus réduites que ne l’étaient celles de Vichy après la convention d’armistice conclue en 1940 avec le IIIe Reich ! D’où le vibrant Plaidoyer pour l’armée française lancé par Magnus Martel alors que s’exprime une nouvelle « fronde des généraux » que François Hollande, chef officiel des Armées, espère calmer en annonçant qu’il rendra ses arbitrages « d’ici l’été ». Cette stratégie de l’édredon qui, aux élections européennes, a conduit le PS à la catastrophe, calmera-t-elle « la rogne et la grogne », comme eût dit Charles De Gaulle, ou les chefs militaires mettront-ils à exécution leur menace de démission collective ?
Terminé fin 2012, paru un an plus tard après que le « grand éditeur » qui l’avait retenu se fut finalement désisté, ce livre-manifeste dû à un chef de bataillon n’avait pas eu alors l’impact qu’il méritait. Mais la violente et toute récente crise secouant les milieux militaires après l’annonce de nouvelles coupes budgétaires (« entre 1,5 milliard et 2 milliards d’euros », amputant la pourtant draconienne loi de programmation militaire (LPM) adoptée fin 2013 qui mettait déjà en péril l’équilibre global de la défense) replace ce Plaidoyer en pleine actualité. Dans une lettre du 9 mai à Manuel Valls, qui exigeait de la Défense de nouveaux « efforts », Jean-Yves Le Drian n’a-t-il pas rappelé qu’en 2019 son ministère aura « supprimé 82.000 emplois en dix ans » et que les économies sur les crédits d’équipements ont porté sur 720 millions d’euros en 2013 et 355 millions pendant l’exercice 2014 ?
Un quarteron de généraux… prêts à la démission ?
Déplorant le carriérisme et la passivité du haut commandement devant de tels rabotages, Magnus Martel se demandait dans son livre quel général aurait enfin le courage de démissionner avec éclat pour clamer son opposition. Le Plaidoyer a-t-il été lu par les étoilés ? Toujours est-il que, le 22 mai, le général Pierre de Villiers, chef d’état-major des Armées, se joignait aux généraux Bertrand Ract-Madoux (Terre) et Denis Mercier (Air) ainsi qu’à l’amiral Bernard Rogel (Mer) qui avaient déposé le 13 mai leur démission sur la table, et qu’une vingtaine d’autres généraux, estimant ne pas pouvoir assumer leurs responsabilités en cas de nouvelles coupes budgétaires, se disaient prêts à les suivre.
Le phénomène est « nouveau et complètement exceptionnel : je ne crois pas que ce soit déjà arrivé dans l’Histoire », commentait Vincent Lanata, ancien chef d’état-major de l’Armée de l’air, qui soulignait :
« Compte tenu des missions confiées aujourd’hui à la Défense, on ne peut plus envisager de nouvelles réductions de budget. La Défense a déjà donné en termes de réduction, elle a déjà participé à l’effort national : environ 80.000 postes ont été supprimés, sur 400.000, ce qui est énorme ! Aucune autre institution étatique n’a subi les mêmes réductions… Il serait impensable d’aller au-delà. »
L’armée, variable d’ajustement budgétaire
Voilà qui confirme l’analyse de Magnus Martel sur « la situation véritablement misérable que les formations de l’Armée de terre sont désormais appelées à vivre au quotidien, faute d’une disponibilité suffisante des matériels, liée le plus souvent à une absence de crédits nécessaires à l’achat de bêtes pièces de rechange », et la «situation absolument catastrophique » des parcs automobiles, avec les conséquences qu’on devine sur «la vie, l’instruction, l’entraînement, la préparation à l’engagement et le moral des unités » : des unités dont, affirme notre auteur, la valeur aurait singulièrement baissé depuis que, selon la volonté de Jacques Chirac, l’armée de conscription a fait place à l’armée de métier, peut-être en raison d’une erreur d’appréciation.
Si la plupart des chefs militaires applaudirent l’initiative chiraquienne, en effet, c’est parce qu’ils avaient commandé des troupes d’élite, paras ou Légion, dont ils avaient extrapolé les qualités à l’armée professionnelle, oubliant que, comme toute armée, celle-ci devrait compter des unités moins prestigieuses (infanterie, blindés, génie, train, transmissions…) mais tout aussi indispensables. Or, observe le chef de bataillon devenu procureur, les volontaires les plus motivés sont ou bien écartés des pelotons de gradés car soupçonnés de sympathies extrême-droitières, ou bien renouvellent trop rarement leur contrat : s’étant engagés pour servir, ils sont vite découragés par le mauvais état et la pénurie du matériel et notamment des blindés (qui, indéfiniment «cannibalisés» et non remplacés par mesure d’économie, « tournent » désormais à l’intérieur d’un régiment, voire d’une division, et sont donc mal entretenus faute d’un équipage attitré). Cela provoque, pour des garçons qui, au départ, « en voulaient », d’interminables et insupportables périodes d’inactivité, pires que celles que connaissaient les appelés d’antan, mais aussi des morts accidentelles.
La « diversité » à l’épreuve de la Syrie
Certes, grâce aux onéreuses campagnes de publicité, toujours axées d’ailleurs sur la « diversité », on trouve toujours des volontaires. Mais généralement d’un niveau scolaire et intellectuel assez bas – et parfois si « chétifs », note l’officier, qu’on a dû abaisser les seuils d’admission et le niveau des épreuves sportives –, ces personnels voient dans l’armée un substitut au chômage et se fonctionnarisent donc assez vite : le phénomène est accéléré par la féminisation des effectifs, d’où d’ailleurs de multiples dysfonctionnement telles des obligations de mutations conjointes quand une militaire épouse un militaire, des perturbations dans l’organisation de combat quand une gradée se découvre enceinte à la veille d’une opération extérieure (OPEX), des mesures spéciales prises pour la sécurité et le bien-être des femmes pendant ces OPEX se déroulant sur des théâtres peu favorables aux femmes comme le Mali et la Centrafrique, etc.
Et comme si cela ne suffisait pas, d’autres dysfonctionnements découlent de la présence au sein de nos forces de « 10 à 20% » (Martel souligne le flou des statistiques disponibles) de musulman(e)s, « population visant traditionnellement les “niches” fonctionnaires qui assurent une plus grande sécurité de l’emploi et des perspectives de carrière qui, disons-le tout net, sont aujourd’hui clairement démagogiques car s’appuyant sur le concept plus ou moins avoué de discrimination positive ». Cette discrimination n’est pas sans conséquences, ajoute Magnus Martel :
« En 2009, quelques jeunes soldats musulmans ont défrayé la chronique en refusant d’aller combattre leurs frères en Afghanistan. Aujourd’hui, une nouvelles source d’inquiétude se déclare pour la DCRI : nombre de soldats musulmans désertent pour aller se battre en Syrie au sein des groupes radicaux. »
Mais comment le leur reprocher puisque l’exemple vient de très haut ? « Certains voulaient engager nos armées en Syrie à l’été 2012 » et n’hésitèrent pas à « démunir nos forces de précieux matériels optroniques – les fameux équipements non létaux de M. Fabius – pour les livrer aux rebelles syriens », accuse l’officier.
L’armée de métier, panacée ou poison ?
La professionnalisation des armées avait été présentée comme devant « rapporter plus (en économies) pour gagner plus (en efficacité) ». Pour Magnus Martel, qui regrette « cette gabegie sans précédent, cette forfaiture incommensurable, cette haute trahison », c’est le contraire qui s’est produit. La professionnalisation coûte beaucoup plus cher en soldes, charges sociales, retraites et embauche de civils pour remplir les tâches naguère assumées par les appelés. En revanche, certains de ces derniers pouvaient se révéler d’excellents éléments, aptes à constituer un encadrement sérieux et, si on l’avait voulu, une efficace force de réserve. Mais la réforme de Chirac visait un tout autre objectif : la vocation de nos unités étant désormais de servir de supplétifs, aux États-Unis notamment, sur des théâtres d’opération (Bosnie, Afghanistan, Yougoslavie, Libye…) où nos intérêts ne sont pas en jeu, il n’était pas question d’y engager des appelés dont la mort eût paru, à juste titre, inacceptable.
Ayant connu les deux types d’armée, notre auteur milite pour «un retour à un système d’armée mixte associant professionnels et conscrits dans un souci d’efficacité autant que de complémentarité» afin de « répondre à la fois aux besoins mais aussi et surtout aux contraintes et aux impératifs du moment ». Mais cela exige évidemment la « mise en place d’une véritable stratégie pour la France dans le monde » et donc une nouvelle politique étrangère fondée sur une réelle souveraineté recouvrée, à l’opposé du suivisme observé depuis les années 1990 de l’autre siècle par les gouvernements successifs.
Féru d’histoire, Magnus Martel se réfère fréquemment à Dominique Venner, à Aymeric Chauprade et au regretté Me Georges-Paul Wagner. Il est de plus mauvais inspirateurs.
Camille Galic
26/05/2014
Magnus Martel, Plaidoyer pour l’armée française. Enrayer le déclin, Éd. Dualpha 2013, 284 pages avec glossaire et copieux appareil de notes et de références.
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