Par Rodrigue, jeune cadre de l’industrie financière où il peut contempler les ravages du libéralisme au jour le jour ♦ Les trottinettes électriques envahissent les rues et les trottoirs de plusieurs villes françaises. A Paris, les trottinettes sont partout. Au point de provoquer l’ire de nombreuses personnes. Nous publions ici le réquisitoire mêlant analyse précise et humour d’un contributeur plus éco-responsable encore que les bobos parisiens.
Polémia
C’est un phénomène venu d’autres métropoles branchées auquel tout parisien – et apparemment il se propage dans certaines grandes villes de province – ne peut échapper : le nouveau mode de déplacement du moment c’est la trottinette électrique (1).
Elle est silencieuse, en accès libre moyennant paiement via une application évidemment, selon le modèle de feu Autolib. C’est la star de ces derniers mois. C’est tendance, c’est pratique, c’est écolo. Bref, tous les qualificatifs qui rendent le bobo heureux et décomplexé de consommer du progrès qui innove, comme le disent si bien les rédacteurs du journal La Décroissance.
Mais ces épithètes sont justement de ceux qui nous les rendent suspects et nous font flairer un nouveau coup du capitalisme débridé repeint en vert type start up nation, à la Nicolas Hulot et Yannick Jadot.
Exit le vélo électrique, has been le vélo normal, hérétique le véhicule à moteur à explosion !
Analysons donc de plus près ce qu’il en est de ce mode de mobilité durable, écologique, disruptif, connecté (2)… sous un angle sanitaire et écologique.
Bah oui c’est écologique puisque électrique !
Là déjà, on se pince devant tant de bêtise crasse. En réalité la trottinette électrique est une excellente illustration d’un des mensonges préférés des technolâtres : le Progrès, les nouvelles technologies (3) permettent de réduire notre impact sur l’environnement et ça c’est bien. Il n’y a que des fachos réactionnaires (4) pour dire le contraire.
Ce postulat n’est pas nouveau. Sa première heure de gloire date de la révolution industrielle puis il nous a été régulièrement servi pour justifier la course (fuite ?) en avant technologique et l’ouverture de nouveaux marchés pour soutenir la croissance qui croît et qui sauve et ainsi disqualifier les quelques voix discordantes qui s’inquiétaient de ces nouvelles « avancées » tant en raison de leur impact sur l’écosystème que sur l’emploi (5).
En réalité, c’est bien le contraire, toutes les avancées techniques et technologiques n’ont jamais fait qu’amplifier la consommation de ressources naturelles et la prédation de l’homme sur l’environnement. Exemple : « Les nouveaux moteurs de voiture consomment moins : nous allons pouvoir parcourir les mêmes distances avec moins d’essence. C’est écologique ». Non, nous utilisons toujours plus d’essence pour aller encore plus loin. Et la consommation augmente, les taxes rentrent, le capitalisme jubile et la planète souffre.
Les tartuffes de l’écolo-capitalisme feignent encore de voir dans l’électrique et le tout-connecté une solution à bas impact sur notre planète
Revenons à nos trottinettes. Elles devraient donc permettre aux usagers de se mouvoir de manière écologique dans Paris la Smart City et lutter contre le réchauffement climatique.
Rappelons-leur que les batteries sont faites à partir de matériaux rares, souvent extraits par des enfants dans des conditions ignobles.
Rappelons-leur que bien des questions se posent quant à l’innocuité des batteries et à nos capacités de recyclage. Les propos prêtés à Carlos Tavarès (patron de PSA) sur le virage électrique en termes d’automobile sont clairs (6).
Rappelons-leur que l’électricité utilisée pour propulser la trottinette est majoritairement issue soit de l’énergie nucléaire – avec toutes les problématiques de sécurité et de pollution hors carbone que cela suppose –, soit de la combustion de ressources fossiles. A titre d’exemple, le mix énergétique pour la production d’électricité en Chine, pionnière dans la production et l’utilisation de ces gadgets, est de plus de 70 % d’origine fossile. Côté écologie on fait mieux quand même.
Rappelons-leur que ces trottinettes nous arrivent justement d’Asie par bateaux entiers et que les cargos et porte-conteneurs utilisent l’un des carburants les plus sales au monde : un résidu visqueux du pétrole, lourd et difficile à brûler. On y trouverait beaucoup de résidus de métal, de la cendre et beaucoup de soufre (7).
Rappelons-leur qu’il faut être connecté pour utiliser ces « services » et qu’internet, les applications et la multiplication des données à stocker nécessitent sans cesse plus d’énergie : au total le numérique consomme 10 à 15% de l’électricité mondiale, soit l’équivalent de 100 réacteurs nucléaires (8).
Métro, trottino, boulot, cholestéro, hosto ?
Mais montrons-leur surtout que les utilisateurs de ces cochonneries ne remplacent nullement leur véhicule pour ces appareils mais qu’ils les utilisent au lieu de marcher. Le parisien lambda les voit tous les jours sortir du métro
– voire entrer dans la rame avec – et aller enfourcher la trottinette sur le trottoir ou dans les couloirs de bus.
Les autorités, les médecins, les associations nous rabâchent à coup d’affiches et de spots télévisés coûteux que nous devons marcher au moins une demi-heure par jour, qu’il est malvenu de boire plus d’un verre de pinard sous risque de mourir ou d’avoir un cancer, qu’il faut ingurgiter cinq fruits ou légumes par jour pour rester en bonne santé et voilà que l’on nous incite à utiliser ces saloperies polluantes et affaiblissantes. Fini la marche, on peut désactiver le podomètre Stepz sur l’iPhone !
Oui mais c’est pratique nous dira-t-on : je peux ainsi conserver le nez collé à mon écran … et rentrer dans la vieille dame qui promène son chien. Un article du torchon 20 Minutes pointait récemment les nouveaux désagréments liés à ces machines : dents cassées, traumas thoraciques, aveugles renversés… bref, quasiment un compte-rendu d’une journée de répression des gilets jaunes en Macronie (9). Certains des opérateurs se nomment d’ailleurs Lime, Bolt ou Dott. Mais après vérification, apparemment rien à voir avec le LBD !
On aurait pu aussi signaler que la pollution est également visuelle, que ces machines encombrent les trottoirs et finiront toutes vandalisées, qu’elles sont connectées, enregistrent les déplacements et collectent ainsi des données dont on ne sait à quelles fins elles seront utilisées mais c’était évident.
En réalité ce n’est ni plus ni moins qu’un nouveau marché pour le capitalisme qui se repeint en vert : un an après sa création, la société Bird levait en mai 2018 150 millions de dollars auprès de fonds de la Silicon Valley, la valorisant ainsi à un milliard de dollars (10). Dans la foulée, en juillet 2018, Uber, aux côtés de Google et d’autres investisseurs ont injecté 335 millions de dollars dans Lime, pour une valorisation de plus d’un milliard de billets verts (puisqu’on vous dit que c’est écolo) également (11). En France, le marché des engins de déplacement personnel, a atteint 278 millions d’euros la même année, grâce à une croissance en valeur de 76% des ventes de trottinettes électriques (12).
En conclusion, ces trottinettes sont un nouveau gadget inutile pour le bobo écolo qui s’achète un SUV (13) en parallèle et qui emmerde le piéton parisien, qui lui marche pour se rendre au bistro du coin et prendre un deuxième verre de pinard ! Elles doivent être interdites pour des raisons écologiques, sanitaires et éthiques. A la vôtre.
Rodrigue
21/04/2019
(1) Peut-on d’ailleurs encore appeler ces engins des trottinettes ? En effet, plus question de trottiner et de donner de grands coups de pattes pour le propulser, puisque le plancton qui l’utilise se laisse porter sans fournir le moindre effort et peut ainsi économiser les quelques joules qu’il cherche désespérément à perdre dans son centre de fitness à 100€ par mois. Heureusement également il a un Thermomix connecté qui lui permet de faire des plats bien équilibrés. Le comble est peut-être qu’il se rend au centre de fitness en trottinette électrique !
(2) C’est un article interactif et participatif, mettez l’adjectif à la mode qui vous siéra à partir du moment qu’il n’est ni genré ni racialisé bien sûr
(3) La génuflexion est recommandée
(4) Là aussi vous pouvez mettre les adjectifs qui vous plairont mais seulement s’ils sont genrés, racialisés et déjà utilisés dans une réaction de Castaner pour qualifier la foule haineuse. Fonctionne également avec les qualificatifs entendus lors de l’élection de D. Trump.
(5) Voire leur emploi. Cf les réflexions sur la bombe atomique
(6) « Le monde est fou. Le fait que les autorités nous ordonnent d’aller dans une direction technologique, celle du véhicule électrique, est un gros tournant. Je ne voudrais pas que dans 30 ans on découvre quelque chose qui n’est pas aussi beau que ça en a l’air, sur le recyclage des batteries, l’utilisation des matières rares de la planète, sur les émissions électromagnétiques de la batterie en situation de recharge ? […] Comment est-ce que nous allons produire plus d’énergie électrique propre ? Comment faire pour que l’empreinte carbone de fabrication d’une batterie du véhicule électrique ne soit pas un désastre écologique ? Comment faire en sorte que le recyclage d’une batterie ne soit pas un désastre écologique ? […] Je m’inquiète en tant que citoyen, parce qu’en tant que constructeur automobile, je ne suis pas audible. Toute cette agitation, tout ce chaos, va se retourner contre nous parce que nous aurons pris de mauvaises décisions dans des contextes émotionnels. »
(8) Source : https://www.fournisseur-energie.com/internet-plus-gros-pollueur-de-planete/. Et cela double tous les 4 ans. Selon cette source, si Internet était un pays, il serait le 3ème plus gros consommateur d’électricité au monde avec 1500 TWH par an, derrière la Chine et les États-Unis. En matière d’émissions de CO2, internet pollue 1,5 fois plus que le transport aérien.
(13) Les SUV ont représenté 33% des parts de marché des ventes d’automobiles en France en 2017. Source : https://www.liberation.fr/france/2018/10/11/l-explosion-des-ventes-des-suv-mauvaise-affaire-pour-le-climat_1684613
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Sebleouf [CC BY-SA 4.0]