Par Arnaud Dotézac, journaliste suisse ♦ Après plusieurs articles sur la question, nous publions à nouveau un texte concernant les perquisitions ayant touché Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise. Comme pour les autres articles, il nous semble essentiel de rappeler que de nombreux points de divergence, parfois cruciaux, existent évidemment entre les positions de la France Insoumise et les nôtres. Reste qu’il est néanmoins essentiel d’analyser ces perquisitions à l’aune d’une radicalisation inquiétante du pouvoir.
C’est ce que ce propose de faire Arnaud Dotézac dans ce texte polémique qui attaque frontalement la légalité des perquisitions.
Polémia
L’art de la manipulation consiste à faire faire quelque chose à quelqu’un qui va dans le sens des intérêts du manipulateur et contre les intérêts du manipulé, de telle sorte que le manipulé soit perdant dans tous les choix qui s’offrent à lui. Les perquisitions dans les locaux du parti de Jean-Luc Mélenchon et à son domicile privé, ainsi que ceux d’une dizaine d’autres personnes qui lui sont liées, sont bien symptomatiques d’une manipulation, en ce que l’opération l’enfermait dans le dilemme suivant:
– soit il ne disait rien et il apparaissait comme un coupable désigné et résigné,
– soit (et cela pouvait être évidemment anticipé compte tenu de sa personnalité) il s’offusquait et il se marquait tout seul du fer rouge des séditieux, irrespectueux des lois et des institutions.
Autrement dit, on le mettait en position de souiller son propre « territoire » politique: celui du débat démocratique respectueux des institutions (comme on l’avait fait avec Fillon sur la moralité). Force est de constater que toute la couverture médiatique et judiciaire a fonctionné d’emblée sur ce registre : on s’offusque d’une colère gravement fautive et inadmissible de la part d’un homme qui aspire aux plus hautes fonctions ; on exige un repentir public, etc.
En toute hypothèse, les perquisitions ont bel et bien été anticipées par la Chancellerie car il s’agit d’une opération interrégionale qui n’a pu résulter que de décisions coordonnées d’en haut, entre des procureurs relevant de ressorts judiciaires distincts.
L’initiative d’une telle opération interrégionale inclut également Edouard Philippe dans la boucle, en sa qualité de ministre de l’intérieur par intérim, s’agissant des arbitrages relatifs à la mobilisation en force des fonctionnaires de police judiciaire et à leur impact budgétaire. On peut d’ailleurs se demander si Gérard Collomb n’aurait pas résisté au projet de telles perquisitions illicites, ajoutant à son désir de quitter le ministère au plus vite. En quoi ces perquisitions seraient-elles donc illicites ?
Perquisitions de La France Insoumise : et si Mélenchon avait raison ?
Le régime des perquisitions et saisies en enquête préliminaire
Avant d’entrer dans le code de procédure pénale de 1958, l’enquête préliminaire se nommait « enquête officieuse » car elle avait déjà pour fonction de court-circuiter les droits de la défense, en place dès 1897, c’est-à-dire depuis la loi Constans qui ouvrît le bureau du juge d’instruction à l’avocat. Si on l’a légalisée ensuite, c’était à la condition expresse que l’usage de la contrainte en soit exclu, de manière à bien la distinguer du cas de flagrance ou de l’instruction. Tel fut le cas jusqu’en 2004 (Loi Perben).
Après quoi, notamment au nom de la lutte anti-terroriste, on a glissé vers deux justices parallèles: le régime de l’instruction avec enquête contraignante mais intégrant la protection des droits de la défense et l’enquête préliminaire avec contrainte mais n’intégrant pas cette protection, à la seule condition qu’un juge des libertés et de la détention l’autorise.
L’enquête préliminaire est donc de nature para-judiciaire, en ce sens que celui qui en décide est le Parquet et non la magistrature assise et que le parquet français est, comme on le sait, subordonné au ministre de la justice. Les perquisitions visant la France Insoumise ont été diligentées par l’Office Central de Lutte contre la Corruption et les Infractions Financières et Fiscales (OCLCIFF), qui inclut, rappelons-le : des policiers, des gendarmes, des officiers fiscaux judicaires mais également des experts informatiques aux contours d’agents publics parfois plus flous. Or, ces fonctionnaires rapportent à leur hiérarchie administrative. Les informations recueillies peuvent même remonter jusqu’à l’Elysée si la Coordination du Renseignement, qui y est installée, le juge utile.
La presse ne cesse de rabâcher que ces perquisitions sont normales. Ce n’est pas tout à fait vrai. Dès lors qu’elles n’étaient pas décidées par un juge d’instruction, leur régime de droit commun (« normal » donc) aurait dû être celui de l’assentiment exprès de la personne visée. Les dispositions de l’article 76 du Code de procédure pénale, sont parfaitement claires à cet égard :
« Les perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction ou de biens dont la confiscation est prévue à l’article 131-21 du code pénal ne peuvent être effectuées sans l’assentiment exprès de la personne chez laquelle l’opération a lieu« .
Or, comme on le sait, ces perquisitions eurent lieu sans l’assentiment des personnes visées, autrement dit sous un régime de contrainte. Si ce régime est certes légal, il n’est plus pour autant « normal » puisqu’il est un régime d’exception justifié, en pratique, par un risque de disparition des preuves nécessitant l’effet de surprise.
Selon l’alinéa 4 du même article 76 du CPP, c’est en effet seulement « si les nécessités de l’enquête » l’exigent que la contrainte est permise. La preuve que l’usage de cette contrainte est bien une mesure d’exception, et non une mesure normale, c’est que le procureur doit en demander la permission à un juge, celui dit « des libertés et de la détention« , qui statue à huis clos par ordonnance non contradictoire.
Quelle fut, pour l’opération Mélenchon, cette justification d’un état d’exception ? Quels furent les éléments produits à l’appui de la requête du procureur ? Etait-ce des écoutes téléphoniques, comme c’est généralement le cas ? Etat-elles légales ? Qu’est-il écrit sur cette requête au regard des pièces fournies ? Qu’est-il écrit sur l’ordonnance d’autorisation du juge? Ce sont des points clés qui méritait toute l’attention de la presse d’investigation. Il est étrange que personne ne l’évoque. Et c’est sans parler des saisies effectuées sans procès verbal.
Aux dispositions du CPP, s’ajoutent les dispositions du fameux article 26 de la Constitution qui protègent tout parlementaire contre toute mesure « restrictive de liberté ». Un procureur a-t-il dès lors le droit d’empêcher des députés de débattre à l’Assemblée Nationale en les bloquant à loisir, en pleine session parlementaire, par des perquisitions sortant du droit commun, et en leur saisissant leurs supports informatiques et téléphoniques, nécessaires à la gestion de leurs travaux? Evidemment que non. C’est tout le sens de cet article 26 que de prévenir une telle entrave. Par ces effets mêmes, cette opération du parquet y contrevient, matérialisant une transgression tout à fait inédite quant à la séparation des pouvoirs, n’en déplaise à un président qui s’en dit garant, contre l’évidence. Mais revenons sur le rôle du juge des libertés dans cette affaire.
Le rôle du juge des libertés et de la détention
Comme on l’a dit, s’il a dû être appelé pour autoriser la contrainte, c’est bien qu’il s’agissait d’une restriction de liberté (celle d’exclure l’assentiment du justiciable à la perquisition), laquelle tombait donc sous le coup de la prohibition constitutionnelle de l’article 26. Mais pour autant, tous les médias continuent de clamer que l’opération est légale. Pourquoi ?
Ce volet constitutionnel n’a en fait, et sauf erreur, jamais été jugé pour la bonne raison que c’est une première. Il n’existe donc pas de précédent judiciaire. Il en résulte que tous les magistrats et juristes bon ton invités sur les plateaux de TV, répètent à l’envie que seule la contrainte par corps serait prohibée sur la personne d’un député mais pas la perquisition, fut-elle opérée hors du régime de droit commun et sous la contrainte.
Mais ce n’est pas ce que dit le texte. Il ne se réduit en aucun cas à la seule contrainte par corps. Son champ est beaucoup plus vaste et on ne voit pas en quoi la perquisition par contrainte en serait exclue, puisqu’elle interfère justement avec les travaux parlementaires. Si aucune jurisprudence n’existe à ce jour, cela ne signifie absolument pas que l’on ne puisse pas inclure cette perquisition dans le régime de l’immunité.
C’est ici qu’on peut se demander si l’indépendance du juge des libertés, tant clamée sur les plateaux de TV, n’est pas sérieusement rognée par le huis clos et l’absence de contradictoire, alors que son ordonnance prend manifestement des liberté avec la Constitution. Car de deux choses l’une, soit il ignorait la Constitution, ce qui est inconcevable, soit il s’est abstenu de demander au Bureau de l’Assemblée nationale « l’autorisation d’autoriser » la contrainte, parce qu’il ne voulait pas que les personnes visées soient prévenues. Il aura donc fauté sciemment ou sur ordre. La question de son indépendance se poserait donc clairement, soit par excès, soit par défaut.
Mais alors s’ouvre un autre débat : le fait d’avoir agi sciemment pourrait constituer un délit de voie de fait qui rejaillirait, par complicité, sur le procureur et sur toute sa chaîne hiérarchique. Jusqu’où monterait-elle ?
En toute hypothèse, faire croire que des pleins pouvoirs sont conférés au procureur et au juge des libertés, en matière de perquisition, relève au mieux de la bévue et au pire de l’enfumage. Le régime applicable aux autres justiciables perquisitionnés permettra de mieux le comprendre.
L’usage de la contrainte constituant une restriction des libertés, il doit légalement demeurer proportionné à l’état « de nécessité » du dossier, et se traduire dans une « motivation adaptée et circonstanciée [qui] s’impose au regard des droits protégés par la Convention européenne des droits de l’homme », comme l’a clairement posé la Cour de cassation, depuis son arrêt n° 5314 du 23 novembre 2016. A défaut, l’opération serait illégale dit-elle et elle a d’ailleurs annulé l’ordonnance qui lui était soumise pour cette raison. L’histoire n’a donc pas dit son dernier mot. D’autant que, pour bien enfoncer le clou, la Cour de Cassation précise que: « cette motivation constitue une garantie essentielle contre le risque d’une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de la personne concernée et doit permettre au justiciable de connaître les raisons précises pour lesquelles ces opérations ont été autorisées ». Là encore, silence radio sur cette jurisprudence essentielle.
Il est toujours attristant que la grande presse s’exonère, parfois pompeusement, de la moindre analyse. Elle se contente en effet de clabauder à qui mieux mieux que « tous les autres partis ont été perquisitionnés, alors pourquoi pas Mélenchon ? » Mais elle évite soigneusement d’en comparer les éléments de proportion, ceux-là même qui permettent de distinguer le légal de l’illégal selon la plus haute juridiction française. A titre d’exemple, une photo d’une perquisition au siège de l’UMP en 2012, révélait que seulement trois fonctionnaires en civil et non armés, y prirent part. On peut également citer la perquisition contre Google en 2016 qui mobilisa certes une centaine de fonctionnaires mais pour un enjeu fiscal d’1,6 milliard d’euros.
Dans le cas de la France Insoumise, il sera difficile de prétendre que la contrainte policière se trouvait justifiée par un risque de disparition des preuves, puisque les intéressés les avaient déjà fournies, s’agissant des comptes de campagne. Idem pour les soupçons relatifs à des assistants parlementaires, relevant d’une dénonciation privée et non des organes du Parlement européen. Et que dire des fuites à la presse qui ne peuvent provenir que de l’OCLCIFF, du parquet et/ou de leurs hiérarchies respectives ? Là encore, une enquête impartiale permettrait-elle de remonter la chaine ? Jusqu’où ?
Si le recours à la contrainte était bien illicite en l’espèce, cela signifierait que l’usage de la force n’aurait été rien d’autre que l’habillage d’un choix arbitraire, politique donc.
Mais la presse aurait été bienvenue de raisonner plus largement, sur les principes mêmes de l’immunité parlementaire.
Qui porte le plus atteinte aux institutions ? Mélenchon ou Macron ?
Une immunité parlementaire insuffisante
Imaginons que le juge des libertés requis pour donner l’autorisation de perquisitionner fut un électeur de la France Insoumise. Aurait-il autorisé une telle opération? Assurément non. Voilà qui démontre instantanément les limites du système et place bien cette opération en travers de la séparation des pouvoirs car l’impartialité judiciaire n’est absolument pas garantie en pareil cas. On comprend du même coup que le respect de l’immunité parlementaire est aussi là, en creux, pour protéger les magistrats du conflit d’intérêt politique et que c’est cela que les médias sont en train de casser.
A faire de Jean-Luc Mélenchon le coupable désigné d’une obstruction à la justice, ils masquent l’intrusion illicite des fonctionnaires de justice dans une sphère doublement protégée, privée et politique, qui est autrement plus grave.
Or, comme Mélenchon l’a déjà rappelé, les journalistes sont mieux protégés que les députés au titre de l’inviolabilité de leurs sources. Il n’est pas non plus inutile de rappeler, également, l’asymétrie abyssale du régime de protection des parlementaires en France, en comparaison de celui dont tous les fonctionnaires et agents européens (y compris les Commissaires européens) bénéficient. Pour les premiers ce sont les perquisitions en force à l’heure du laitier, pour les seconds c’est l’immunité diplomatique et l’inviolabilité absolue des locaux, des correspondances et des archives. Les uns sont élus, les autres non. Cette affaire pourrait donc être l’occasion d’ajuster la loi à un défi nouveau, celui de l’intrusion politique de la judicature dans les travaux parlementaires et les élections.
Au final, si cette opération s’avérait relever du traquenard politique, alors il aura plutôt bien fonctionné jusqu’à présent: les médias se repaissent à satiété des colères et de la vie privée de Mélenchon tandis que le parquet ouvre une enquête pour violence, comme on déploie son éventail.
On aura beau jeu de se draper dans « l’indépendance de la justice » pour justifier la répression contre les élus populistes. Cette répression n’est-elle pas déjà instituée en lutte « contre la peste » ?
Pourtant Mélenchon, autant que Marine Le Pen ont raison: leurs disques durs leur ont bien été pillés et leurs contenus se baladent sans le moindre contrôle.
Cet épisode fusionnant Judicature et macronie ne pressage rien de bon. Mais peut-être est-ce cela que le pouvoir désire ?
Arnaud Dotézac
25/10/2018
Source : Correspondance Polémia
Crédit photo : Place Au Peuple (Flickr: Jean-Luc Mélenchon) [CC BY-SA 2.0], via Wikimedia Commons