Patrick Buisson a récemment tourné le dos à la thèse de l’union des droites, qu’il avait pourtant vaillamment défendue pendant des années. Désormais, c’est le clivage libéral/antilibéral – défendu notamment par Alain de Benoist – qui lui paraît le plus opportun. De quoi déclencher la réaction ferme mais amicale de Jean-Henri d’Avirac. Les propos tenus ci-dessous s’inscrivent pleinement dans l’esprit polémique défendu par notre fondation. Débat d’idées, discussions franches et oppositions de style… vive la polémique ! Polemia
Au lendemain des Européennes, Patrick Buisson – dont les analyses sont toujours un grand moment d’intelligence débarbouillé de tout préjugé politiquement correct – aura été sur le devant de la scène socio-politique sur le registre : l’Union des Droites (qu’il avait jusque alors encensée et recommandée ) c’est fini !. Le nouveau clivage qui s’imposerait désormais à nous serait l’opposition entre Libéraux et antilibéraux.
- Thèse étayée par l’analyse d’un effondrement de la droite classique devenue microscopique donc dépourvue de poids politique dans cette improbable « Union »,
- Thèse séduisante pour qui aurait lu l’excellent livre d’Alain de Benoist Contre le libéralisme qui, d’Adam Smith à la figure du bourgeois, décortique cette idéologie mortifère mais au bout du compte devenue un système qui fabrique aujourd’hui plus d’addicts que de militants.
- Thèse illustrée par le sauvetage in extremis d’un Président de la République d’Extrême Centre par la bourgeoisie, faisant d’Emmanuel Macron le candidat naturel de la Droite pour 2022.
Alors même que Patrick Buisson nous invite à laisser de côté dans l’analyse politique du moment les logiciels du 20e siècle, ils se pourrait qu’il ait, dans cette affaire, une fois n’est pas coutume, un train de retard, piégé, lui le maître des mots, par un champ lexical et sémantique en constante évolution en terme d’expression et de perception.
Bourgeoisie, Droite, Libéraux…. Quelle valeur pour ces mots ?
Buisson nous parle de « Classe bourgeoise » qui a voté Macron… S’il s’agit là des habitants des beaux quartiers et de la petite bourgeoisie de Province, il n’a évidemment pas tort. Les études et le résultats des élections en attestent.
Toutefois, il semble aujourd’hui plus intéressant de considérer « l’esprit bourgeois » que la « classe bourgeoise » ; celui-ci transgresse évidemment tous les clivages connus et s’enracine même à la gauche de la gauche ou dans la France périphérique. L’esprit bourgeois s’illustre avant tout par la peur de perdre ses avantages matériels qui éloigne les profils de droite ou de gauche de toute revendication identitaire ou révolutionnaire. Le tout petit retraité qui craint pour l’avenir de sa toute petite retraite est imbibé d’esprit bourgeois, le gauchiste polarisé sur « ses avantages acquis et le maintien de ses conquêtes sociales » est mâtiné d’esprit bourgeois.
Bon nombre d’entre eux ont voté LREM par peur de perdre des sous et pourtant ils ne sont pas bourgeois au sens buissonnier du terme.
Par ailleurs, l’opposition qu’opère Patrick buisson entre libéraux et anti-libéraux n’a peut-être plus d’opérationnalité politique car le terme « libéral » pose de multiples problèmes :
- Il renvoie à une vision strictement économiste du monde ce qui est infiniment trop réducteur si notre objectif est de camper un clivage.
- Sa définition est (au risque d’enfoncer des portes ouvertes) à géométrie variable selon qu’il se raccroche au Libre échangisme mondialisé ou à la liberté d’entreprendre éventuellement enracinée voire protectionniste. La vision capitaliste transnationale et financière des multinationales étant la plupart du temps en opposition de phase avec celle des PME qui incarnent plus naturellement le tissus organique de la troisième fonction des sociétés traditionnelles européennes.
- Sa perception peut englober une approche libérale/libertaire qui le rend à la marge sympathique aux yeux d’une certaine gauche voire d’anticapitalistes patentés tétanisés par l’alternative identitaire ou le retour de la « bête immonde » ;
- Sa valeur de communication, par le fait de ses multiples acceptions est tout à fait discutable car un positionnement en marketing comme en marketing politique doit pouvoir s’énoncer clairement en une page, en une phrase et en un mot. Un mot chargé si possible d’une définition unique et parfaitement intelligible : une marque efficace en somme !
Tout cela ne serait pas très grave et même totalement défendable si Patrick Buisson était un philosophe parlant du libéralisme dans son approche strictement idéologique. Seulement voilà, notre homme est un fournisseur de munitions pour la classe politique et son statut l’oblige à considérer la valeur communicante des mots.
Revenons sur ces mots qui émaillent en vrac le paysage politique. Le terme « conservateur », qui évoque une certaine rigidité et une dualité là encore confuse entre conservation matérielle et préservation identitaire, est à peine plus satisfaisant d’autant que lui est traditionnellement opposé le terme « Progrès », plus mobilisateur et par essence évocateur d’avenir, même si sa religion se trouve fort heureusement affectée par la prise de conscience de ses effets délétères.
Quant à la « Droite », elle a pour toutes ses raisons perdu toute substance (cf.droite et gauche c’est fini in Le moment populiste). Les derniers repères ayant volé en éclat depuis que la Droite a choisi de se revendiquer comme telle en optant dans le même temps pour une politique de gauche ! Macron n’ayant plus qu’à donner l’estocade et à prélever les oreilles et la queue de ce taureau déboussolé. L’étiquette de « droite » est-elle pour autant dépourvue de tout potentiel ? Il est permis de douter. Des évaluations s’imposent et l’émergence d’une « vraie » droite vertébrée reste le préalable.
Mondialistes et antimondialistes
Au clivage apparemment séduisant Libéral/antilibéral proposé par l’Ecole Buissonnière, nous opposerons le clivage mondialistes/antimondialistes, plus proche de notre vision du monde car, par-delà une bipolarisation strictement économiste, il est des sujets qui tutoient nos tripes et notre ADN, notre culture et notre civilisation.
Parmi les antilibéraux, peut-on oublier que se logent d’irréductibles internationalistes marxistes ou simplement humanistoïdes qui érigent en valeur absolue un métissage ethno-culturel universel et favorables à l’avènement d’une autorité transnationale enfin garante du Bon, du Vrai et du Bien, à l’explosion des frontières nationales ou régionales, négateurs de toute identité vécue comme réactionnaire voire fascisante toujours prompts à mettre en place une police de la pensée ou une police tout court pour brûler en place publique les réfractaires à leur rééducation morale ?
Parmi les défenseurs de l’entreprise qui se définissent parfois eux-mêmes comme libéraux, peut-on occulter ceux qui demeurent allergiques à l’économie mondialisée (terrain de jeux privilégié des grandes entreprises voire des multinationales), hostiles au capitalisme financier (souvent présenté à juste titre comme un véritable ennemi de l’entreprise) et ces patrons de TPE/PME promoteurs d’un protectionnisme national, européen voire euro-continental et d’une économie localiste, enracinée ? Parmi ces libéraux qui ont défilé à la Manif pour tous et qui ont pu voter en marche aux européennes, il va sans dire que bon nombre sont « récupérables » dans le champ identitaire, antimondialiste pour peu que l’offre politique soit claire et présentable.
Le tsunami migratoire qui déferle, l’islamo fascisme qui gagne insidieusement du terrain, le déclassement du français Moyen et la désertification de la France périphérique à nouveau « en marche » sont autant de points d’accroche pour faire renaître une volonté politique ou simplement un instinct de survie.
Cher Patrick Buisson, votre impertinent serviteur, accessoirement l’un de vos fidèles lecteurs, ne se retrouve ni chez vos libéraux ni chez vos antilibéraux. Il est antimondialiste, comme le sont les patriotes, de Marine aux gaullistes en passant par Marion qui a, pour sa part, remarquablement saisi toute la complexité du problème sémantique. Comme le sont aussi les vrais écologistes (enracinés ou décroissants, anti et non altermondialistes c’est-à-dire « eco tartuffes ») ou les héritiers de Chevènement et comme le seront demain, à la faveur des chaos systémiques qui s’annoncent, bon nombre de nos concitoyens.
Cependant, vous concernant, l’inquiétude n’est certainement pas de mise. Nous savons déjà que les ondées pré-automnales raviveront les racines du Buisson potentiellement en sommeil.
Jean-Henri d’Avirac
07/09/2019
Crédit photo : Domaine public
- Présidentielle : la machine médiatique en marche - 1 octobre 2021
- Pourquoi Emmanuel Macron peut gagner (Acte II) - 25 juillet 2021
- « Qui tient les médias ? » Conférence de Jean-Henri d’Avirac - 3 juin 2021