Quelques jours avant une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques qui promettait d’être « audacieuse, originale et unique », les piétons de Paris, qu’ils soient touristes ou locaux, s’étonnaient de parcourir des rues évoquant un état de siège plutôt que la grande fête du sport annoncée. Au-delà de la nécessaire protection des biens et des personnes, de quoi ces mesures de sécurité inédites sont-elles le nom ?
Peur sur la ville
De toute évidence, les autorités sont convaincues de la réalité du fameux sentiment d’insécurité, toujours considéré comme un fantasme par les milieux de la gauche intellectuelle.
Des forces de l’ordre pléthoriques, renforcées par de nombreux effectifs de province et les militaires de la mission Sentinelle, ainsi que par des polices étrangères venues d’une quarantaine de pays, patrouillent dans la capitale ou stationnent au coin de rues quasiment désertes, 24 heures sur 24.
Les restrictions à la circulation rendent des zones entières inaccessibles, au grand dam des commerçants qui voient la fréquentation touristique s’effondrer (il est déjà question d’indemnités – payées par les contribuables – pour les dédommager !).
Les riverains ou ceux qui en ont fait la demande motivée se déplacent en présentant un Pass Jeux numérique (avec QR code). Une première en Occident pour ce type d’événement !
Ceux qui en sont démunis se voient interdire de nombreuses rues mais peuvent traverser la Seine en empruntant un des cinq ponts parisiens, au milieu d’un couloir de grilles, si les accès ne sont pas barrés de façon inopinée pour des raisons de sécurité.
Dans les quartiers jugés sensibles, les piétons marchent sur des trottoirs bordés par des barrières métalliques. La police ou la gendarmerie sont présentes à chaque intersection.
Le dispositif de sécurité est complété par des drones de surveillance et les caméras déjà installées dans la capitale (qu’il serait par ailleurs souhaitable d’utiliser davantage pour résoudre les infractions quotidiennes relevant de la petite et moyenne délinquance).
Régulièrement, on entend un hélicoptère de la gendarmerie qui survole Paris à basse altitude, un fait inhabituel au-dessus de la capitale.
Le risque zéro n’existe malheureusement pas. Ainsi, le mur en verre de plus de trois mètres de haut censé prévenir les attentats au pied de la tour Eiffel entraverait la fuite des touristes si des terroristes parvenaient à pénétrer dans l’enceinte.
En 1998
Cette mobilisation policière hors-norme et ces multiples entraves à la circulation automobile et pédestre laissent pourtant songeur si l’on se souvient de l’organisation d’un événement aussi important que la Coupe du monde de football dans notre pays il y a un quart de siècle.
À l’époque, chacun était libre de déambuler sans restriction dans les rues, alors que la menace terroriste était au moins aussi importante qu’aujourd’hui, trois ans après une série d’attentats dans le métro et dans le contexte hautement sensible de la décennie noire en Algérie. En outre, les forces de l’ordre devaient gérer les problèmes posés par les hooligans, ces bandes de supporters incomparablement plus violents que les amateurs de sport qui se rendront à Paris pour les JO.
Les services de renseignement étaient alors parvenus à entraver les actions terroristes sans que la population n’en subisse les conséquences dans sa vie quotidienne.
Que s’est-il donc passé pour que des quartiers entiers de la capitale soient aujourd’hui placés sous très haute protection ?
26 ans plus tard
Dans les années 1990, les médias de grand chemin diffusaient la propagande néo-libérale de la mondialisation heureuse et du village global dans lequel la victoire sportive de la France « Black-Blanc-Beur » s’inscrivait admirablement.
En 2001, le match amical de football France-Algérie, interrompu à cause de l’envahissement du terrain du Stade de France par des supporters algériens, ternissait quelque peu ce récit.
L’année 2012 annonçait la reprise du terrorisme islamiste dans notre pays qui ne l’avait plus connu depuis 1996.
Depuis la fin de la Guerre froide, ces terroristes n’opéraient plus au sein de réseaux structurés et soutenus en sous-main par tel ou tel État agissant en fonction d’intérêts identifiables. Sévissant en Occident et dans les pays musulmans, ces djihadistes révélaient souvent des profils d’islamo-délinquants ou de cas pathologiques qui passaient à l’acte en s’inspirant, via les réseaux sociaux notamment, de la cause du « Djihad global ».
Le conflit en Syrie amenait également de nombreux volontaires à rejoindre la zone syro-irakienne pour combattre le régime de Bachar al-Assad, à une époque où le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius déclarait que le Front al-Nosra faisait « du bon boulot » (en 2014, l’ONU plaçait ce groupe sur la liste des organisations proches d’Al Qaïda).
Selon la DGSI, plus de cinq mille volontaires partaient ainsi d’Europe, dont plus du quart depuis la France. Ces filières se tarissaient progressivement du fait de l’action des services intérieurs et du déclin territorial de l’État Islamique, combattu par la coalition internationale (ajoutons, en toute objectivité, que l’intervention militaire russe en 2015 se révélait décisive). La question du retour de ces individus en Europe restait évidemment un enjeu majeur.
La France présentait évidemment un terreau favorable en raison des conséquences sociales et culturelles d’une immigration croissante et mal maîtrisée, conjuguées à un sentiment de déracinement d’une partie de la population née sur le sol national, propice aux pratiques les plus extrêmes chez les éléments radicalisés.
Dans le même temps, les États européens, adeptes du « Laissez faire, laissez passer » cher aux libéraux, allégeaient considérablement les contrôles aux frontières, permettant ainsi au grand banditisme puis à des « petites frappes » de se procurer des armes auprès de trafiquants implantés dans les pays de l’ex-Yougoslavie.
Aujourd’hui, la récente réforme de la Police judiciaire voulue par l’ex-ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin tombe d’autant plus mal que le continent européen sera immanquablement le lieu de destination de quantités d’armes de guerre en provenance d’Ukraine (cf. Polémia du 03/03/2023).
Les frontières sont ouvertes, des grilles et des barrières s’érigent à l’intérieur de la cité… Ceux qui se déplacent dans Paris doivent présenter des QR codes.
Des mesures provisoires et localisées, dit-on… pour commencer !
En effet, au-delà de la menace terroriste, nos dirigeants ont évidemment en tête la possibilité de manifestations de contestataires en tous genres – Gilets jaunes, agriculteurs, écolos, pro-Palestiniens, antifas, etc. – durant une période où les médias du monde entier couvriront les compétitions sportives.
Selon toute probabilité, lors d’un événement prochain, nos gouvernants mettront en place le même type de réponse en invoquant le danger terroriste.
Il est même à craindre qu’une partie non négligeable de la population appellera de ses vœux ce type de contrôle social, sans pour autant valider les réponses politiques qui permettraient d’en atténuer les causes.
À partir de là, rien ne s’opposera à son déploiement quotidien, à l’instar du modèle chinois.
Après le Pass sanitaire, le Pass vaccinal et le Pass Jeux, nous pourrions avoir un Pass carbone destiné à sauver la planète du dérèglement climatique (conformément à l’idéologie ambiante et indiscutée selon laquelle celui-ci est d’origine anthropique), un Pass manif destiné à garantir la sécurité à l’occasion des manifestations d’opposants (sous prétexte de prévenir les agissements des black blocs) ou encore un Pass ouverture à l’autre réservé aux adeptes de l’intersectionnalité dûment certifiés.
En attendant, avec ou sans QR code, en marche au milieu des grilles et des barrières !
Johan Hardoy
27/07/2024
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